Prendre du recul et situer l’humain
Il faut tenter de nuancer notre appréciation des certifications, croit André Bourassa, architecte au cabinet Bourassa Gaudreau. Selon lui, les certifications ont un aspect mercantile qui profite beaucoup aux entreprises étrangères de l’industrie du bâtiment. Il peut, parfois, y avoir une contradiction entre les objectifs du développement durable vus sous la lunette d’un autre pays et les décisions qui sont prises en vertu des grilles de pointage qui sont utilisées pour juger de la performance d’un bâtiment au Québec. « Comment peut-on justifier que des immeubles démesurément vitrés soient certifiés LEED alors qu’un verre énergétique est cinq fois moins isolant qu’un mur adéquat ? Si on réussit à maintenir ces immeubles dans un état de température adéquat en été comme en hiver, c’est parce qu’on les équipe de systèmes mécaniques très performants, mais très énergivores aussi. » M. Bourrassa plaide pour prendre un certain recul et entamer une réflexion en amont de la certification. « Mon souhait ? J’aimerais beaucoup que l’on se penche sur la philosophie de la certification. À savoir, qu’est-ce qui nous pousse à être certifiés – nous, ou lesbâtiments que nous concevons – nous, ou les bâtiments que nous construisons. »
En outre, Jean-Paul Boudreau, architecte chez JPB architectes, insiste sur le fait que les certifications ne doivent pas dicter notre rapport au développement durable. « Ce n’est pas parce qu’on a une certification LEED, que l’on a fait notre devoir en matière d’environnement. » Selon lui, trop d’objets d’architecture sont construits au détriment de bons projets qui prennent en considération l’environnement dans lequel le bâtiment se construit. Les projets devraient plutôt s’appuyer sur un meilleur rapport au monde, dans son sens le plus large : relation de l’immeuble à la rue, au quartier, à la ville, à la nature et à l’humain pour favoriser les rapports sociaux et les solutions plus organiques. L’obtention d’une certification ne serait pas nécessairement ce qui fait la force d’une démarche de bâtiment durable. « Cela prend un peu de philosophie, de l’éthique même. C’est avant tout se questionner sur les gestes que l’on pose et les répercussions sociales et environnementales que l’on va engendrer. » M. Boudreau juge que l’on doit revenir à la dimension humaine de l’architecture, à un rapport au monde plus équilibré, beaucoup moins axé sur la technologie très énergivore et à l’esprit marchand qui domine actuellement. « Le jour où l’on va retrouver cette connexion-là, je pense que l’on va faire une architecture complètement différente et beaucoup plus respectueuse de l’environnement. »
Siège social du groupe Attijariwafa, Rabat Souissi, Maroc – Certification HQE. Source : AWB – Architecte : Omar Alaoui
Quant au concept de conception intégrée, Jean-Paul Boudreau l’aborde sous un angle beaucoup plus élargi, incluant nécessairement aussi l’aspect réalisation. « Nous devons plutôt l’aborder selon la désignation et la définition de la Commission de coopération environnementale (NDLR : www.cec.org/fr). Il est plus approprié de parler de conception et de réalisation intégrées de projet. Conception et réalisation sont interreliées », note l’architecte. À son avis, le secteur de la construction a longtemps souffert d’un manque d’intégration. Inspiré par le Guide de conception et de réalisation intégrées du CEC 5 , l’architecte appuie l’observation de la Commission présentée dans l’introduction de ce guide : « Le statu quo pousse une variété d’entreprises et de particuliers à participer à des phases d’un projet et à ne prendre des responsabilités qu’à l’égard d’éléments qui entrent dans leur champ de compétence ou de responsabilité. Par exemple, les architectes sont chargés de la planification et de la conception ; les ingénieurs, de la structure, de la mécanique, de l’électricité ; l’entrepreneur, de construire le bâtiment. Les propriétaires, eux, sont confrontés aux conséquences. » L’approche du CEC pousse aussi à intervenir « hors vase clos », constate M. Boudreau, qui réfère à un autre passage du Guide : « Cette méthode de travail en série permet rarement de construire un bâtiment qui est optimisé comme un système. Le résultat final peut plutôt laisser à désirer et ne satisfaire même pas les besoins du propriétaire. Au fil des ans, différentes approches ont été élaborées en vue d’aider les professionnels à exécuter un projet de construction de façon plus collaborative. Ces approches comprennent : le partenariat, un processus de conception intégrée, une conception et une construction sans gaspillage, une démarche intégrative ou une réalisation intégrée de projet. Chaque approche a aidé les équipes de projet à connaître une plus grande réussite en favorisant un certain degré d’intégration dans les responsabilités des divers membres de ces équipes. » Pour y arriver, le Guide énonce cinq principales étapes à mettre en place afin que les équipes de projet obtiennent le genre d’intégration qui aura des effets transformateurs et tangibles : harmonisation des valeurs, harmonisation des objectifs, choix d’un modèle fonctionnel et d’une structure contractuelle, planification du processus et suivi du déroulement.
Jean-Paul Boudreau rappelle que la vocation de chaque projet sur le plan de la responsabilité écologique est devenue cruciale en cette période de crise environnementale. Une approche plus réaliste face à cette crise consiste donc à chercher et à adopter des voies qui permettent le renouvellement de nos pratiques et d’échapper à une « mentalité en vase clos ».
Établir des objectifs ambitieux : un appel au gouvernement Malgré certaines lacunes, on s’entend à dire que les certifications ont contribué à l’émergence de l’industrie du bâtiment durable au Québec. Plusieurs professionnels ont adopté la démarche de façon importante, tout comme les promoteurs et les donneurs d’ouvrage. Il s’agit d’un outil intéressant, qui aurait avantage à être développé et soutenu par l’État. Pourquoi ? Parce qu’en l’absence d’un « mieux- concevoir⁄mieux-construire » réglementé par l’État, le Québec perd une forte influence et une expertise essentielle face aux intérêts privés des certifications étrangères. « Si, à un moment donné, un critère devient contre-productif, il faut être capable de rétablir ça pour enfin acquérir une expertise qui nous
est propre en matière de développement durable », insiste André Bourassa.
La Maison du développement durable, premier bâtiment certifié LEED Platine NC au Québec. Source : MDD – Architecte : MSDL
À elles seules, les certifications ne peuvent résoudre l’adaptation aux changements climatiques. « On veut que l’industrie de la construction diminue son impact
sur l’environnement, mais que fait le gouvernement pour y arriver ? » souligne Ricardo Leoto. Le Québec a besoin d’un encadrement propice à l’essor de bâtiments durables axés sur une véritable réduction de l’empreinte environnementale. Si l’État cherche à promouvoir les systèmes normalisés d’évaluation et les conduites responsables dans le domaine du bâtiment, il gagnerait à exiger des modalités de suivi et de surveillance une fois le bâtiment complété. Pour ces trois experts, il ne fait pas de doute que l’État doit encadrer les pratiques et accorder des certifications seulement en échange d’objectifs environnementaux ambitieux soutenus par une vision et des balises à la hauteur des enjeux et du climat québécois.