Les deux ponts Darwin sont donc le point de rencontre de cette « circulation hiérarchisée », là où se croisent le boulevard urbain de L’Île-des-Sœurs, et le sentier des piétons et cyclistes. « Originellement, le concept est là, mais les normes de construction et la conception de l’époque privilégiaient l’automobile, avec des glissières de sécurité en tôle ondulée galvanisée (GTOG) pour empêcher un véhicule de dévaler la pente. On est donc dans les années 60 dans une sorte de paradoxe, avec un projet urbain novateur pour améliorer la vie des usagers, mais aussi avec à côté un traitement urbain formel qui appartient au registre routier », poursuit l’architecte. L’intention est donc de réconcilier ces deux propositions rudimentaires et de réussir à développer une solution qui à la fois améliore le vocabulaire tout en répondant aux exigences de sécurité.

Photo : Stéphane Brügger
Vu de la route : un design en mouvement épuré
Le concept retenu par la ville consiste à créer un parapet incurvé en forme d’arc. Ce choix esthétique élimine les GTOG tout en créant un dégagement sécuritaire à plus de 4 m des voies de circulation. Le résultat dessine un effet de mouvement inédit et élégant tout le long des 37 mètres de l’infrastructure.
Vu du sentier : un jardin secret et apaisant
Entre les deux voies des ponts, le terre-plein central s’ouvre et se creuse. Il dessine deux arcs de cercle partant de la route qui descendent en pente vers la piste cyclable. Cette enclave ainsi délimitée que le piéton traverse offre une occasion d’aménagement paysager sous forme de petites terrasses recouvertes de plantes et d’arbustes. Les faces externes des ponts sont garnies de demi-sphères en creux et de tiges. Elles créent l’illusion dimensionnelle d’un bas-relief représentant des fleurs stylisées tandis que le passage s’illumine désormais à la nuit tombée dans des teintes chaudes grâce à un éclairage DEL durable. Cette ouverture agréable et cette intention lumineuse sécurisante évitent au marcheur la sensation de tunnel.

Photo : Stéphane Brügger
Un matériau écologique et sourcé localement : la pouzzolane de verre moulu
La grande nouveauté dans la reconstruction des ponts réside dans le choix inédit des matériaux. Ils sont réalisés en béton moulé sur place, avec l’incorporation de 10 % de verre recyclé finement moulu. Cette première mondiale 100 % québécoise et brevetée est le résultat de 17 années de recherche de l’Université de Sherbrooke et de la Ville de Montréal. L’ajout de verre comme liant tiers a un impact direct sur les émissions de CO2 de la construction. La pouzzolane de verre moulu (PVM) du projet aura nécessité 40 000 kg de verre recyclé local, soit l’équivalent de 70 000 bouteilles de vin.

Photo : Stéphane Brügger
Une technique québécoise pour des infrastructures urbaines plus durables
Le PVM des ponts est plus blanc, avec une coloration moins brute que les agglomérats traditionnels. Il est aussi beaucoup plus solide, avec l’ajout de barres d’acier inoxydable qui renforcent la durée de vie des nouveaux ponts, estimée à plus de 125 ans, contre 75 pour une structure en béton classique. L’ouvrage est candidate à la certification environnementale ENVISION, l’équivalent du LEED pour les infrastructures urbaines.
Adapter un héritage urbain
« C’est important de reconnaitre la valeur initiale du projet résidentiel de L’Île-des-Sœurs comme une expérience novatrice de vie urbaine, avec cette préoccupation de hiérarchie piétonne et automobile. On a donné un nouveau souffle à cette belle idée des années 60 en améliorant son langage, sa présence physique et visuelle, dans une logique contemporaine », constate Jacques Rousseau.