L’élément exceptionnel qui caractérise le vaste territoire du Parc national des Pingualuit est le cratère des Pingualuit – mieux connu sous le nom de cratère du Nouveau-Québec –, un trou immense né de la collision d’une météorite avec la Terre et rempli d’une des eaux les plus pures de la planète. Mais, pour accueillir les visiteurs dans les conditions extrêmes de la toundra, il aura fallu deux ans de travaux acharnés et une volonté locale peu commune. Robert Fréchette, à l’époque directeur du Parc national des Pingualuit, Administration régionale Kativik (ARK), connaît bien le secteur pour l’avoir souvent parcouru et survolé. « Le plateau d’Ungava est caractérisé par la toundra arctique, décrit-il. Ce sont des champs de blocs à perte de vue. C’est un faux plat qui domine le nord du Québec. Il n’y a pas d’arbres à des centaines de kilomètres à la ronde, et il est traversé par de grandes rivières ». Il explique que le cratère se trouve à 100 km par voie terrestre de la petite communauté de Kangiqsujuaq, le point d’entrée de ce territoire considéré comme un joyau par les Inuits.
Construire – Le défi
En route vers le cratère, l’ARK, maître d’œuvre des infrastructures du projet, devait construire trois chalets pour l’accès hivernal, alors que le trajet s’effectue en motoneige ou en traîneau à chiens. « On connaît les conditions de l’Arctique, poursuit Robert Fréchette. Il peut y avoir du blizzard, les températures changent. Il y a le froid intense, les vents et tout ça. » Chaque chalet peut donc héberger 12 personnes, et même plus en situation d’urgence. Plus loin, à 2,4 km au nord du cratère, on a aussi construit quatre autres bâtiments sur la rive sud du lac Laflamme, deux permettant l’hébergement de 8 personnes chacun, un réfectoire commun, et un servant d’entrepôt et de logement pour les gardiens du parc. Sept bâtiments construits en pleine toundra et toute une aventure étalée sur deux années.
Deux des refuges sur le bord du Lac Laflamme (été 2007) – Photo : Robert Fréchette, ARK.
« Il faut aller porter les matériaux à plus de 100 kilomètres de la communauté, mais il n’y a pas de routes, pas de sentiers, explique Robert Fréchette. Il y a un balisage pour l’accès hivernal fait avec des inukshuks, des bonshommes de pierre. Mais l’été, il n’y a rien. » La philosophie du parc est de garder l’endroit le plus vierge possible. Dans ce contexte de pergélisol, tous les bâtiments sont montés sur des trépieds avec vérin. Chacun arbore quatre panneaux solaires, de 2 pieds par 8, qui alimentent huit batteries, essentiellement pour l’éclairage et les prises électriques. Pour les quatre constructions du lac Laflamme, l’eau est pompée à même le lac, puis traitée par filtration. Le système de 12 volts des panneaux solaires permet l’utilisation d’une petite pompe qui donne l’eau courante, stockée dans des réservoirs. Le chauffe-eau, le poêle et le frigo fonctionnent au propane.
Mais, sans aucune route, sur une telle distance, le transport des matériaux s’est avéré le plus grand défi pour la création du parc. Tout a commencé en plein hiver, avec un Twin Otter, un avion de brousse, qui a atterri sur le lac Laflamme gelé. À son bord, une petite excavatrice démontée, qu’il a fallu remonter sur place, afin de pouvoir tracer une piste d’atterrissage longue de 1000 pieds au printemps suivant. La première année pour deux bâtiments seulement, le Twin Otter fera pas moins de 50 voyages de transport de matériaux. « Un voyage au cratère, c’est plusieurs milliers de dollars pour l’aller-retour. Des opérations comme ça entraînent des coûts exorbitants », confirme Robert Fréchette. Les matériaux livrés par desserte maritime sont entassés sur le tarmac de l’aéroport. Voyage après voyage, une équipe de main-d’œuvre locale charge la cargaison dans le bimoteur au point de départ, alors qu’une autre la décharge au lac Laflamme. Par chance, l’année suivante, l’équipe de Robert Fréchette bénéficie de l’aide de la minière Xstrata Nickel. Celle-ci leur permet gratuitement de transporter les matériaux sur les bateaux de minerai allèges qui remontent jusqu’à l’aéroport Donaldson, à la mine Raglan.
Transport de matériaux vers le Lac Laflamme – Photo : Robert Fréchette, ARK.
De là, ce sont plus de 150 000 livres de matériaux qui seront transportées sur des traîneaux tirés par motoneige. « Le transport était effectué par les Inuits, sur une distance incroyable et dans des conditions extrêmement difficiles, se rappelle Robert Fréchette. Les Inuits passent leur vie à faire de la motoneige. Ça fait partie d’eux. Mais, c’est vraiment un effort incroyable de toute la communauté de Kangiqsujuaq. » Lors du projet, deux menuisiers venus du sud sont engagés afin de lire les plans des ingénieurs et architectes. Mais, l’essentiel de la main-d’œuvre est constituée de gens du village.
Pour la construction en hiver, les ouvriers construisent des abris de 12 pieds par 16 qu’ils transportent en motoneige d’un site à l’autre pour pouvoir loger sur place. Sur chaque site, durant six semaines, ils construisent et vivent en autonomie complète dans la toundra, notamment grâce à des génératrices. « En septembre, on est déjà sous le point de congélation. On peut travailler jusqu’en novembre, disons, mais en novembre il fait moins -15 °C, -20 °C. Avec le facteur vent, il fait très froid. Ça prend du monde qui fait fort », insiste Robert Fréchette. Selon son propre aveu, après deux ans, ce qui apparaissait au début comme une mission impossible s’est matérialisé avec énormément d’énergie et d’implication. Il n’y a qu’un bâtiment à terminer ce printemps.
Transport d’un abri vers un site de construction – Photo : Robert Fréchette, ARK.
Ne reste plus aux visiteurs qu’à découvrir ce nouveau parc national québécois, non loin duquel fjords et falaises se succèdent sur la côte déchirée de la Baie d’Ungava.
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