Après que Molière vint y jouer Le Tartuffe en 1664 grâce à Philippe d’Orléans, frère de Louis XIV, le château connaîtra une descente aux enfers. Tour à tour, il devient caserne militaire à la Révolution française, puis dépôt de mendicité sous Napoléon, hôpital militaire occupé par les Allemands durant la Seconde Guerre, maison de retraite jusqu’en 2014 et, finalement, il est abandonné.
Façade sur rue à Villers-Cotterêts du château restauré en Cité internationale de la langue française. – Photo : Manon Sarthou
En 2017, le futur président français, alors en campagne électorale, est amené à découvrir ce lieu historique en perdition par les élus locaux et les citoyens de Villers-Cotterêts. Emmanuel Macron promet de restaurer le château s’il est élu. Promesse tenue, le château est confié au Centre des monuments nationaux (CMN – un organisme d’État relevant du ministère de la Culture et ayant cent monuments nationaux à sa charge en France) afin de lancer la création d’une cité internationale de la langue française. Le chantier va durer cinq ans.
Projet d’État, projet territorial présidentiel
« Lorsque Emmanuel Macron arrive à Villers-Cotterêts en 2017, la mairie nous demande de lui faire visiter le château afin qu’il mesure l’ampleur de notre monument historique à l’abandon »,expliquent Norbert Poirier, ancien adjoint au maire, et sa femme, Colette Christine Payot-Poirier. Citoyens impliqués à Villers-Cotterêts, ils obtempèrent, accompagnés par Jacques Krabal, alors maire de Château-Thierry, la commune voisine. Figure dominante qui a accompagné le projet de la Cité internationale de la langue française, M. Krabal est un fervent défenseur de la langue française, membre du Groupement du Patronat Francophone (GPF), et ancien député et secrétaire général parlementaire de l’Assemblée parlementaire de la francophonie. Le futur président et sa femme, en voyant l’état de délabrement, font alors la promesse de réparer ce « scandale patrimonial », tel que l’a formulé Stéphane Bern, commentateur de Secrets d’histoire.
De gauche à droite : Entrée du corps de logis construit en 1532 pour François 1er. – Photo : Pierre-Olivier Deschamps/Agence Vu’ / CMN – L’aile orientale de la cour des Offices et, tout à gauche, le séchoir édifié en 1850. – Arrière du château de Villers-Cotterêts qui retrouve sa cour-jardin arrière de l’époque de Philippe d’Orléans. – Photos : Manon Sarthou
En France, tout président aime marquer son ou ses mandats par la construction d’un édifice emblématique. Le centre Beaubourg est la volonté de Georges Pompidou ; l’Opéra de la Bastille, l’Institut du Monde arabe et la Grande Bibliothèque nationale sont ceux de François Mitterrand ; le Musée du quai Branly vient de Jacques Chirac. Tous ces grands projets d’État sont situés au cœur de la capitale, contrairement à la Cité internationale de la langue française. Le projet du président Macron se démarque donc considérablement par ce choix territorial en dehors de Paris. De plus, le château de Villers-Cotterêts est dans une région peu touristique, soit le département de l’Aisne, que l’on qualifie à mauvais escient de « désert culturel ». Bien que des écrivains tels Alexandre Dumas, Jean de La Fontaine, Jean-Jacques Rousseau et Paul et Camille Claudel aient habité ce département, cela ne suffit pas à lui attribuer un ancrage d’identité culturelle attractif. Ce projet est donc un défi, car il vise à faire émerger le caractère culturel territorial qui permettrait de générer par la même occasion une économie consistante.
Cour du jeu de paume et son ciel lexical composé de mots français proposés par de jeunes francophones de divers pays et provinces, dont le Québec. – Photo : Atelier Projectiles, Pierre-Olivier Deschamps/Agence Vu’ / CMN
« Pour concevoir le projet de la Cité internationale de la langue française, nous avons été très près du Québec, nous explique Colette Christine Payot-Poirier. Nous avons reçu maintes fois des personnes de l’Office franco-québécois pour la jeunesse lors des ateliers pédagogiques scolaires dans l’Aisne. Par exemple, nous avons demandé aux lycéens de Villers-Cotterêts et des alentours, qui recevaient de jeunes Québécois, d’écrire des mots qui leur semblaient représentatifs de leur culture. Ces mots ont servi à créer le ciel lexical sous la verrière de la cour du jeu de paume. » Le Québec a également contribué financièrement à la Cité internationale de la langue française en versant 2 millions d’euros. Le coût total du projet s’élève à 220 millions d’euros.
L’architecture d’un château restauré et réhabilité
Le chantier du château de Villers-Cotterêts, pris en charge par les architectes du CMN, est une restauration exemplaire. La qualité des matériaux et l’exécution des travaux sont remarquables, en plus de respecter l’histoire du château qui a connu des étapes passablement différentes. En effet, les ajouts de constructions qui, au fil des siècles, ont formé le château, rendent fort visible l’évolution architecturale du logis royal. Depuis le temps du duc Philippe d’Orléans où l’on donnait de grandes fêtes dans le jardin arrière du château ouvert sur la forêt, en passant par l’époque du jeu de paume dans la cour intérieure et des ailes de la première cour occupées par les soldats, sans oublier le dépôt de mendicité avec ses équipements austères et ses espaces clos et cernés de murs, tout est restauré avec respect du patrimoine. Cependant, c’est bien sûr le décor Renaissance qui est mis particulièrement en valeur et tous les détails d’architecture furent étudiés et restaurés fidèlement.
De gauche à droite : À l’époque du logis royal, des motifs de la Renaissance française furent sculptés, tels l’escalier du roi portant la lettre F et l’emblème de la salamandre, représentant François 1er. – Photo : Benjamin Gavaudo / CMN – Deux escaliers en pierre avec deux rampes de type italien dans le logis royal ont aussi été finement restaurés et mettent en valeur l’escalier et son décor foisonnant. Les voûtes à caissons présentent un décor en bas-relief dépeignant à la fois des scènes mythologiques et des motifs végétaux. – Photo : Benjamin Gavaudo / CMN – Chef-d’œuvre d’architecture, la chapelle surchargée d’ornements royaux sculptés est aussi de l’époque Renaissance. Elle rompt avec la tradition gothique avec sa voûte en berceau, les colonnes cannelées et les chapiteaux composites. L’entablement surmontant les chapiteaux montre les autres emblèmes du roi, tels les écus royaux, la fleur de lys ou ses initiales couronnées. – Photo : Pierre-Olivier Deschamps/Agence Vu’ / CMN
Une programmation ludique
Le parcours de la visite du château et sa programmation sont à l’opposé de la restauration patrimoniale : tout à fait modernes et dans l’ère du numérique. L’invitation à la lecture et à la connaissance littéraire francophone se traduit par des présentations performantes d’auteurs et d’acteurs de toute la francophonie, soutenues par le numérique et le design du mobilier. Par exemple, la bibliothèque « magique » est remplie de livres que l’on peut consulter librement. Ces ouvrages sont écrits en français de tous les continents, de toutes les époques, et sont de tous les genres (roman, poésie, essai, bande dessinée, littérature jeunesse, etc.). À l’intérieur de la bibliothèque se loge un dispositif immersif qui conseille une lecture aux visiteurs à partir de leurs réponses à des questions posées sur un écran (le dispositif est mis en place grâce à l’intelligence artificielle).
Un autre dispositif numérique permet notamment d’écouter la fameuse publicité québécoise de la langue française dans laquelle Maxim Martin s’amuse à jouer avec les exemples de complications de la langue française sous le regard béat de sa fille : « Il était une fois ne prend pas de e [et] s’accorde au féminin singulier, tandis que le foie prend un e et s’accorde au masculin »,ainsi de suite.
Bibliothèque à dispositif immersif permettant de poser des questions par écrit sur un écran intégré dans la bibliothèque, et livres mis à la disposition des visiteurs. – Écrans géants diffusant de petits scénarios concernant les différentes expressions de la langue française d’un pays à l’autre. – Photos : Manon Sarthou
L’aspect européen et international
Afin de montrer l’aspect international de la langue française, on a mis en scène les origines des mots français virevoltant sous un dôme numérique représentant la Terre. Ainsi, le mot sirène, d’origine grecque, désigne une figure mythologique dont le chant séduisait et conduisait les marins à un destin fatal. Le mot signifie surtout aujourd’hui une alarme dénotant un danger.
Le dôme numérique présente les origines des mots et leur déplacement d’un pays à l’autre afin d’en connaître la provenance. Un puzzle numérique permet de jouer avec les mots. – Photo : Didier Plowy / CMN
Les arts visuels mis en valeur à travers la langue
Dans l’esprit d’attirer un public jeune et familial, la Cité internationale de la langue française a pris le parti de présenter des artistes visuels et ceux du spectacle vivant (théâtre, musique) afin d’exprimer le français comme « langue-monde », c’est-à-dire une langue comprise par tout le monde à travers ces expressions artistiques.
De gauche à droite : Chéri Samba, artiste congolais contemporain, crée de grands tableaux colorés avec des descriptions précises en français. – Photo : Manon Sarthou – Miss. Tic fut une des premières artistes du street art, très engagée. Elle est souvent illustrée sur les planches à roulettes. Elle a beaucoup écrit, principalement des messages pamphlétaires. – Photo : Didier Plowy / CMN – Les paroles de chanteurs francophones jouent avec les mots selon la culture du pays. De Gilles Vigneault à Serge Gainsbourg, les onomatopées sont multiples. – Photo : Manon Sarthou
Information pratique
https://www.cite-langue-francaise.fr/visiter/informations-pratiques
Horaires d’ouverture : mardi au dimanche, 10 h – 18 h 30
À noter : dernier accès à la Cité, une heure avant la fermeture.
Fermeture le lundi (sauf les lundis de Pâques et de Pentecôte) et les 1er janvier, 1er mai et 25 décembre. Fermeture à 17 h 30 les 24 et 31 décembre (dernier accès à 16 h 30).