Comment la réglementation peut pousser l’écoconstruction – L'exemple français Lotissement solaire, écoquartier Vauban à Freibourg (Allemagne), Elly-Heuss-Knapp-Straße. – Source : Wikipédia

Marika Frenette fait partie des pionniers qui font bouger la réflexion et la pratique architecturale. Première conférencière du Rendez-vous des écomatériaux 2022, elle a présenté les avancées réglementaires de la France et appelé à la mobilisation des pionniers du Québec.

Depuis sa première édition, en 2015, le Rendez-vous des écomatériaux (RDV 2022) a coutume d’inviter des conférenciers venus de France, de Belgique et même de Suisse pour présenter le développement des écomatériaux dans leur coin de pays. Cette année, le regard français fut apporté par une architecte québécoise ! Première conférencière du RDV 2022, Marika Frenette a présenté les avancées réglementaires de la France et appelé à la mobilisation des pionniers du Québec

Photo : MRC des Sources – Rendez-vous des écomatériaux 2022

Installée en France depuis une vingtaine d’années, Marika Frenette y est témoin des changements réglementaires et de pratiques du secteur de la construction. Mieux, fondatrice de la firme d’ingénierie Wigwam, basée à Nantes, elle fait partie des pionniers qui font bouger la réflexion et la pratique architecturale.

La réglementation française impose le calcul du carbone

Les Accords de Paris de 2015 ont donné un coup d’accélérateur à la réglementation environnementale française avec le lancement en 2016 de l’expérimentation E+C- par le gouvernement français. Il s’agit, pour les nouveaux projets de construction, de calculer l’énergie d’exploitation, mais aussi le carbone intrinsèque du bâtiment, c’est-à- dire les émissions de CO2 liées à la fabrication, le transport et l’installation des matériaux sur tout le cycle de vie du bâtiment. « Le gouvernement a dit aux pionniers de tester les bâtiments et a créé une plateforme pour qu’on puisse faire nos retours d’expériences », évoque Marika Frenette. Sur ces retours d’expériences et en accord avec la Stratégie nationale bas carbone, qui demande au secteur du bâtiment une réduction des émissions de GES de 49 % par rapport à 2015, le gouvernement a élaboré la Réglementation environnementale RE2020.

Celle-ci fait suite à la Réglementation thermique RT2012 – le changement de nom est significatif, car il introduit l’idée que l’efficacité énergétique d’un bâtiment ne suffit pas à réduire son empreinte environnementale. De fait, la RE2020 fixe des plafonds d’émissions à ne pas dépasser pour le carbone opérationnel du bâtiment, mais aussi pour le carbone intrinsèque, analyse de cycle de vie du bâtiment à l’appui. Les matériaux biosourcés s’en trouvent favorisés.

Photo : MRC des Sources – Rendez-vous des écomatériaux 2022

La RE2020 est aussi une réglementation d’adaptation aux changements climatiques et notamment aux épisodes de canicule qui s’intensifient en France. Elle impose donc  un objectif de confort d’été, et le plafond de carbone opérationnel incite à éviter le recours systématique à la climatisation. « Cela demande de penser comment on construit le bâtiment, comment on l’oriente, comment on choisit les bons matériaux pour être sûr qu’on n’a pas besoin de le rafraîchir », précise Marika Frenette.

La RE2020 est entrée en vigueur en janvier 2022 et se présente comme une feuille de route avec des plafonds d’émissions abaissés tous les trois ans jusqu’en 2030. « La feuille de route donne un échéancier aux professionnels qui leur permet de s’organiser, sachant que les exigences vont augmenter tous les trois ans », relève l’architecte.

Dans un autre domaine, elle mentionne aussi la loi AGEC ou loi anti-gaspillage pour une économie circulaire. Cette loi inclut l’extension de la responsabilité élargie des producteurs au secteur de la construction. Les manufacturiers devront organiser et prendre en charge la collecte des matériaux de démolition et de déconstruction, et les entrepreneurs qui voudront en profiter devront trier leurs résidus sur leur chantier.

La RE2020 change la pratique architecturale

Au sein de Wigwam, Marika Frenette a participé à l’expérimentation E+C- et constate comment la RE2020 demande aux concepteurs de repenser l’acte de construire. « Quand on applique la RE2020 avec un seuil de kilos de CO2 et qu’on calcule le carbone du bâtiment, on se rend compte du poids de CO2 qu’on met en œuvre et ce n’est pas toujours intuitif, prévient-elle. On a constaté qu’un panneau photovoltaïque sur son cycle de vie émet énormément d’équivalents CO2 et que des projets qu’on croyait innovants auparavant ne sont finalement pas si bons que ça. »

Réaliser les analyses de cycle de vie tôt dans le processus de conception permet de comparer des scénarios et d’affiner les choix des technologies et des matériaux. « La RE2020 aide beaucoup les écomatériaux », assure Marika Frenette, qui précise que la base de données nationale INIES sur les données environnementales et sanitaires des produits et équipements de la construction existe depuis dix-sept ans et contient plus de 4 000 matériaux. La portée de la RE2020 s’étend aussi aux travaux de démolition et de restauration. « Cela a changé le regard sur la démolition parce que, quand on donne de la valeur carbone au matériau, le matériau déjà fabriqué a énormément de valeur », ajoute Marika Frenette.

Changer d’échelle et ne pas construire

« Le développement durable a échoué, lance Marika Frenette. Il est sorti en 1987 et, quand on regarde où on est aujourd’hui, il faut constater que ça n’a pas marché. » Pourtant, les bâtiments dits « durables » se sont multipliés ces dernières années. Mais pour Marika Frenette, ces projets démonstrateurs sont comme « des prototypes dont on n’a jamais développé la série ».

Photo : MRC des Sources – Rendez-vous des écomatériaux 2022

« Travailler à l’échelle du bâtiment ne résout rien et n’est pas suffisant », poursuit-elle, invitant du même souffle à travailler à l’échelle du quartier et, par exemple, à mutualiser les services et les infrastructures. Elle explique comment adopter l’approche carbone tôt dans le processus de conception a conduit à ne pas construire de stationnement souterrain pour un immeuble résidentiel et à instaurer plutôt une entente avec le centre commercial adjacent afin de mutualiser le stationnement qui est vide la nuit. « Ça a réduit l’impact carbone du bâtiment de 50 % », affirme Marika Frenette. Autrement dit, calculer l’empreinte carbone peut amener les concepteurs à prendre la décision de ne pas construire ! Tout un paradoxe pour l’architecte. « L’acte de concevoir laisse une trace. Or, la meilleure action de l’architecte devrait être de trouver la solution pour ne pas avoir besoin de construire », observe Marika Frenette. Elle appelle à remettre en cause la finalité et la taille des projets en rappelant que le meilleur écomatériau, celui qui n’a pas d’empreinte environnementale, est celui qu’on ne fabrique pas. 

Si la France a pris une longueur d’avance sur le Québec en matière d’écoconstruction, c’est parce que des pionniers ont défriché le terrain avec persévérance et parfois avec peu de moyens.  « Faut pas croire que ça s’est fait en un claquement de doigts. Il y a eu beaucoup de pionniers pour faire avancer les écomatériaux », relate Marika Frenette, qui se réjouit de constater qu’au Québec, il y a aussi des pionniers, « des irréductibles Gaulois qui se battent pour faire avancer les choses ». Le Rendez-vous des écomatériaux en est la preuve.


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