Déconstruire plutôt que démolir
En Gaspésie, la Régie intermunicipale de traitement des matières résiduelles de la Gaspésie (RITMRG) a mené avec le Lab construction un projet pilote de déconstruction de deux bâtiments ; une quincaillerie à Grande-Rivière et un bistro à Chandler. « L’objectif était de déconstruire les bâtiments avec une approche manuelle qui privilégie le réemploi des matériaux et évite leur transformation ou l’enfouissement », détaille Nathalie Drapeau, directrice générale de la RITMRG.
À Grande-Rivière en Gaspésie, la Régie intermunicipale de traitement des matières résiduelles de la Gaspésie a entrepris la déconstruction d’une quincaillerie. Ménage intérieur avant la déconstruction. – Photo : RITMRG/Lucille Parry-Canet, 2022
À Grande-Rivière, la déconstruction de la quincaillerie a été confiée à l’entrepreneur MFT et fils. Le contremaître et quatre journaliers ont commencé par un ménage intérieur et un déshabillage extérieur en enlevant la tôle, les fenêtres et les portes avant de déconstruire les murs et les planchers section par section. En parallèle, deux personnes étaient dédiées au conditionnement des matériaux, c’est-à-dire à les classer par catégories et à retirer les clous. Après vingt-huit jours de travail, l’équipe avait traité 192 tonnes de matières : 70 % destinées au réemploi, 14 % valorisées et 16 % enfouies.
À Chandler, l’entreprise MFT et fils était accompagnée deDuguay Sanitaire pour déconstruire le bistro. Les travaux d’une durée de dix jours ont produit 111 tonnes de matières : 4 % pour le réemploi, 74 % valorisées et 22 % enfouies.
À l’issue de ces chantiers, des ventes ont été organisées les fins de semaine auprès de la population et 4 200 articles ont été vendus pour une valeur de 18 000 dollars à 150 personnes. Les acheteurs recherchaient particulièrement le bois de sciage 2 x 4 et 2 x 6, du contreplaqué et de la tôle.
Décontruction d'une quincaillerie de Grande-Rivière, planches triées pour la vente. – Photo : RITMRG/Lucille Parry-Canet, 2022
Ces expériences de démolition ont permis à Nathalie Drapeau de dresser quelques constats. Devant l’ampleur de la tâche et son caractère inusité, les employés ne savaient pas par où commencer et avaient besoin d’un encadrement et d’une formation pour distinguer déchets et ressources. « Il fallait leur préciser qu’un bout de bois 2 x 4 déconstruit n’est pas un déchet », illustre Nathalie Drapeau. Elle constate aussi que si en début de chantier, ils rechignaient à déconstruire et séparer les matières, ils se sont pris au jeu au bout de quelques jours. « On avait changé leur façon de voir les choses. L’entrepreneur et les employés s’adaptent rapidement à cette nouvelle approche », se réjouit Nathalie Drapeau. Les travaux sont facilités et plus sécuritaires s’il y a de l’espace sur le site pour circuler et pour entreposer les matières et les trier.
Le taux de matières propices au réemploi dépend de l’état du bâtiment. Le bistro était abandonné et dégradé et n’a produit que 4 % de matières destinées au réemploi contre 70 % pour la quincaillerie qui était en meilleur état. « Cela démontre qu’il ne faut pas laisser les bâtiments se détériorer. Un bâtiment abandonné trop longtemps limite grandement le réemploi des matériaux », observe Nathalie Drapeau.
« La déconstruction est possible, concluait-elle, la démolition n’a plus sa place, c’est le consensus qui se dégage au niveau municipal chez nous. »
Rapport disponible sur le site du RITMRG.
La logistique du réemploi
Depuis 2002, Éco-Réno, devenu aujourd’hui RÉCO, œuvre à la collecte et la revente de matériaux de construction patrimoniaux. Jusqu’en 2020, par manque d’espace, l’organisme fonctionnait à flux tendu, envoyant directement les matières du site de déconstruction au nouveau chantier. En 2020, Éco-Réno devient partenaire d’Architecture sans frontières Québec (ASFQ) qui développe un programme d’économie circulaire et acquiert un local de 1 000 m2 sur le boulevard Saint-Laurent à Montréal pour entreposer et vendre les matériaux.
RÉCO dispose d’un espace commercial de 1 000 m2 pour l’entreposage et la mise en vente. – Photo : Sylviane Robini photographe
« C’était un changement d’échelle. On passait d’une boutique de 2 500 pi2 sur deux étages à un espace de 10 000 pi2 sur un seul étage, ce qui facilite les opérations. Mais la question était de savoir comment aménager ce local pour optimiser la gestion des matériaux et la circulation des gens », décrit Caroline Thomasset-Laperrière, chargée de développement – économie circulaire à l’ASFQ. C’était l’objectif d’un projet de recherche mené avec le CERIEC et Louis Garban, étudiant à la maîtrise à l’ÉTS. « Il fallait proposer une cartographie des processus des flux logistiques de matériaux pour générer des scénarios d’aménagement », précise-t-il.
Concrètement, des professionnels et des particuliers font don d’une pléthore de portes, fenêtres, luminaires, robinetterie et autres quincailleries architecturales. RÉCO évalue le potentiel de revente des matériaux, les reconditionne si besoin, les catégorise et les installe pour la vente. Les pièces volumineuses comme les portes, les fenêtres et les lavabos trouvent place dans un palettier, tandis que la quincaillerie est disposée sur des étagères. Les prix de vente s’échelonnent entre 50 % et 70 % des prix du marché et les clients peuvent magasiner sur place ou en ligne sur le site Internet.
À Montréal, RÉCO se spécialise dans la récupération de matériaux de construction et notamment de composantes patrimoniales. – Source : Équipe RÉCO
Derrière cette apparente simplicité se cache une difficulté. « L’approvisionnement se fait par donation et on ne sait pas quels matériaux vont arriver et ce qui arrive ne répond pas forcément à la demande des clients. La variabilité des flux et des produits rend complexe la prévision des réceptions et des aménagements », explique Louis Garban. Pour solutionner ce cas de logistique inverse, il a recueilli des données et développé des indicateurs de performance pour connaître les flux entrants et sortants, les volumes de vente, le potentiel de vente des produits entrants, les produits qui se vendent le plus vite, l’espace libéré par les ventes… Ces indicateurs doivent permettre d’optimiser la disposition des produits, la circulation des clients et des employés et, finalement, de consolider les ventes et donc le réemploi des matériaux de construction.
Suivre les résidus à la trace
Nicolas Bellerose est agent de recherche et de planification chez RECYC-QUÉBEC et un habitué du RDV des écomatériaux. Lors de la 6e édition en 2021 (FORMES, vol. 17, no 3), il avait présenté le programme de reconnaissance des centres de tri. Mais si ce programme atteste des bonnes pratiques d’un centre de tri, il ne dit rien sur le cheminement des matières. RECYC-QUÉBEC a donc entrepris un projet de traçabilité des résidus sortant des chantiers de construction jusqu’à leur destination finale, que ce soit l’enfouissement ou une entreprise de valorisation. Ce projet pilote n’avait pas pour objectif de documenter le devenir des résidus, mais de démontrer la faisabilité de la technologie de traçabilité. Le projet a été confié à Stratzer, un consultant en gestion de matières résiduelles, et OPTEL, un fournisseur de solutions de traçabilité. En l’occurrence, il s’agissait d’un code QR que les entrepreneurs devaient apposer sur les conteneurs à déchets. Le projet, qui s’est déroulé du printemps 2022 au printemps 2023, a ainsi suivi les conteneurs sortant de 15 chantiers de construction, rénovation ou démolition.
La technologie a fait ses preuves et a permis de visualiser 379 voies d’acheminement des résidus, même si les données anonymisées ne permettent pas d’identifier la destination. Sondés, les participants se sont dits enclins à 88 % à appliquer la traçabilité des résidus si un client ou un fournisseur le leur demandent. Les donneurs d’ordre ou les clients qui visent une certification LEED pourraient en effet compter sur la traçabilité pour documenter la bonne gestion des résidus. La traçabilité pourrait d’ailleurs être combinée au programme de reconnaissance des centres de tri.
Pour autant, « la traçabilité totale n’est pas possible dans les conditions actuelles », reconnaissait Nicolas Bellerose, notamment parce que le tri à la source est une pratique rare sur les chantiers, car un même conteneur peut transporter des matières différentes. Et au-delà de la faisabilité de la technologie, il faut encore déterminer qui ferait le suivi des données de traçabilité : RECYC-QUÉBEC, le ministère de l’Environnement, les municipalités… ?