I - La COP21
Cet événement aurait pu ne pas avoir lieu à la suite de la consternation générale suivant les attentats sanglants de novembre 2015 à Paris. Mais c’était sans compter sur la détermination du président de la République, l’intelligence de ses conseillers et la solidarité unanime de la communauté internationale. Bien sûr, il faudra encore longtemps s’interroger sur la logique et le pourquoi de tels gestes insensés. Heureusement, la conférence elle-même a connu du succès, grâce à la volonté sincère de justice exprimée par les États plus riches envers les dirigeants et les peuples des pays en voie de développement les plus menacés. Elle aura mis un baume de confiance et d’espoir à propos d’un meilleur partage des richesses de la planète avec tous ceux qui sont concernés par les impacts des changements climatiques à court terme. Pour la première fois de l’histoire de l’humanité, la nécessité flagrante de se doter d’une seule et même vision de l’aménagement de la Terre a fait consensus : il faut chercher sérieusement et collectivement à créer et à préserver des emplois, à respecter l’écologie et son fragile équilibre en protégeant à la fois les poumons de la Terre que sont les grandes forêts tropicales, équatoriales et boréales, tout en purifiant l’atmosphère et les océans de leurs polluants les plus agressifs comme les plus insidieux.
Nous avons un accord avec une cible pour limiter de 1,5 à 2 degrés l’augmentation des températures d’ici la fin de ce siècle. Nous saurons faire, mais nous devons accélérer la cadence.
II- Un avenir pour la Terre des hommes ?!
Ce n’est pas la première fois que notre Terre traverse une période sombre. Il suffit de se rappeler qu’elle a déjà été une boule de glace et de neige, qu’elle a déjà été bombardée par d’énormes météorites qui ont amené la disparition de la plupart des êtres vivants. Selon Hubert Reeves, tout ce qui pesait plus d’un kilo a disparu de la surface de la terre lors de la cinquième extinction massive. La différence avec la sixième en perspective réside du fait que cette fois elle est annoncée, et que nous en sommes conscients et responsables. C’est pourquoi le Sommet de la Terre à Paris, par l’entremise de la COP21, nous convie à un fabuleux chantier, surtout en raison du consensus arraché à 192 nations lors de cette réunion de la dernière chance après les échecs répétés de Rio, de Kyoto et de Copenhague. Même sans cibles fermes de réduction des polluants par tous les États, nous croyons que le consensus obtenu face à l’urgence avérée de la situation peut constituer une occasion d’espérance réelle. Nous traiterons donc dans cet article des impacts appréhendés d’une inaction totale et formulerons la nature et l’envergure de la tâche à accomplir.
Il n’y a pas que les changements climatiques, mais aussi la destruction progressive des forêts comme des terres agricoles et la pollution des sols, de l’air et de l’eau, qui font problème pour notre survivance. Si l’on refuse de parler d’extinction massive et d’en fixer l’horizon, on peut au moins convenir que toutes les projections de la dégradation actuelle de notre milieu de vie n’annoncent rien de bon, non seulement pour les populations aujourd’hui menacées, mais aussi pour la sécurité et la paix dans le monde. Plus de monde et moins de ressources à partager constituent un risque élevé de conflits, de migrations forcées, de terrorisme désespéré, d’épidémies et de famines.
Même à la suite de diagnostics clairs et avec une volonté générale affirmée, convenons qu’il se fait tard pour la repentance et les changements de comportements escomptés à très court terme.
III- D’abord convenir d’un diagnostic commun sur l’état de la planète
Résumons d’abord les grandes menaces qui nous confrontent :
Le problème de l’air vicié et contaminé qui circule aisément autour de la Terre et cause de grands maux, comme la multiplication des effets néfastes sur la santé publique (maladies respiratoires, allergies de toutes sortes), doit être absolument abordé et réglé.
Le problème de l’eau est de plus en plus complexe à solutionner. Songeons aux déversements massifs d’eau usée après des décennies d’efforts et des centaines de millions de dollars d’investissements pour stopper et améliorer la qualité du
Saint-Laurent – un problème gigantesque. Sans compter l’écoulement dans l’environnement des eaux de lixiviation des décharges et des enfouissements dits sanitaires. Un handicap qui hypothèque déjà les générations futures qui devront tôt ou tard régler ce problème, pour le moment encore invisible. Et que dire de l’appauvrissement des nappes phréatiques pour la culture intensive par irrigation à l’échelle de la planète ?
La difficulté de s’affranchir des énergies fossiles comme le charbon, le pétrole et le gaz pour les transports et le chauffage face à la montée jusqu’ici inexorable des seuils alarmants des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Et que dire encore du nucléaire encore utile malgré les dangers de catastrophe appréhendés ?
La destruction inexorable des plus grandes forêts pour fins de chauffage, de construction, de production agricole (monoculture), de fabrication de carburant biodiésel, et tout simplement par les gigantesques feux de forêts de plus en plus difficiles à contrer en cas de sècheresse extrême.
L’augmentation soutenue des populations malgré le vieillissement de la plupart des peuples d’Amérique, d’Europe et d’Asie grâce à la vigueur démographique dans plusieurs pays pour des raisons qu’il ne nous appartient pas d’analyser ici – mais qui provoquent des désordres géopolitiques réels dans des contextes de surpopulation, de rivalités ethniques, de révoltes et de guerres de pouvoir. Tout cela dans des régions où l’économie ne peut offrir des emplois décents en grand nombre et d’une qualité acceptable. Le tout accroîtra encore les tensions géopolitiques et les migrations massives vers les seules terres d’espoir où l’on pourrait encore espérer un avenir meilleur. Ajoutons enfin que plus les populations augmenteront, plus les pressions sur la surexploitation de la forêt, sur la surpêche et l’agriculture intensive s’accentueront.
Le besoin de développement économique pour créer des emplois, améliorer le niveau de vie des pays émergents, construire des maisons, des bureaux, des usines, des équipements publics scolaires et de santé, du matériel de transport pour loger, occuper, nourrir, instruire, distraire et faire se déplacer tout ce monde à court et moyen termes, ne sera pas une sinécure. À titre d’exemple, rappelons que les estimations de la CIA1 sur les besoins de constructions nouvelles risquent de doubler les surfaces bâties depuis le début de l’humanité d’ici 2050 au plus tard. La réponse à cet extraordinaire défi passera à la fois par la simplicité volontaire des biens nantis et un meilleur partage de la richesse avec les plus démunis. Une utopie ?! Y a-t-il une solution ?
IV- Une « TERRE RARE » à protéger
La Terre est et sera pour longtemps notre seule demeure dans l’univers, notre « maison commune » comme l’a baptisée le Pape François dans sa lettre encyclique de 2015. Après avoir dressé un sommaire accablant quant à son état de dégradation, il insiste surtout sur l’urgence de stopper les clivages sociaux et économiques entre les nations riches, celles en voie de développement, celles carrément pauvres et éprouvées. Il confirme nos diagnostics pessimistes, mais conserve l’espoir en l’Homme nouveau.
La terre semble trop souvent se transformer en un immense dépotoir. Il est impossible de poursuivre nos modèles de production et de distribution des biens de consommation pour une minorité qui se croit le droit de consommer dans une proportion qu’il serait suicidaire de généraliser. La planète entière ne saurait contenir et recycler une telle avalanche de produits souvent inutiles.
Les paysages culturels se banalisent par des modes d’occupation du sol pour le moins insignifiants, dispersés, sans aucune valeur paysagère acceptable ni référence à la culture locale.
On n’arrive pas encore à adopter un modèle circulaire de production basé sur le recyclage et la réutilisation généralisée des produits de consommation en limitant l’utilisation de ressources non renouvelables.
La raréfaction de l’eau potable de qualité, indispensable au maintien de la vie des écosystèmes sur terre, et le risque d’en voir la privatisation et l’augmentation de coûts qui pourraient rapidement devenir source de conflits désastreux.
La perte constante de la biodiversité au profit combiné des monocultures, des exploitations minières et d’un urbanisme qui consomme et dégrade beaucoup trop d’espaces par rapport aux besoins réels.
Beaucoup de grandes et très grandes villes sont devenues insalubres non seulement à cause de la pollution, mais aussi en raison du chaos urbain, des transports anarchiques, du bruit constant et des paysages navrants. Congestion, désordres de tous genres, manque flagrant d’espaces verts et de jardins, quartiers modernes inhumains faits de pavage, de béton, de verre et d’acier qui éloignent de plus en plus l’homme de la nature.
Pollution mentale des urbains pauvres et souvent désœuvrés que l’on inonde d’informations divertissantes et vides de sens profond pour la conduite de leur vie et leur développement social et culturel, en plus du risque de transformer en illettrés les démunis et les personnes âgées non « connectées » (non branchées).
Étant donné la corrélation entre l’espace et la conduite humaine, ceux qui conçoivent des édifices, des quartiers, des espaces publics et des villes ont aussi besoin de diverses disciplines pour comprendre les processus, le symbolisme et les comportements des personnes. « Voilà pourquoi il est si important que les perspectives des citoyens complètent toujours l’analyse de la planification urbaine pour donner un cadre de vie cohérent avec sa richesse de sens. »2
En plus de l’équité dans la qualité de vie entre tous les quartiers d’une ville, l’on devra encore et toujours se préoccuper de la justice distributive entre les différentes nations. Bien sûr, tous les pays se devront de contribuer à l’effort collectif, mais jamais au risque d’appauvrir les plus démunis. C’est pourquoi il faudra user de prudence dans la mise en place du système des crédits de carbone. En effet, en appliquant cette méthode qui a le mérite de récompenser les efforts des plus performants tout en sanctionnant financièrement ceux qui continueront de polluer, ce système peut fonctionner équitablement dans une économie développée et prospère ; il n’en est pas ainsi dans les rapports nord-sud où les plus pauvres ne peuvent être éprouvés davantage. Aussi, pourquoi ne pas imaginer une contribution proportionnelle à la richesse des uns et des autres où la protection des forêts tropicales et équatoriennes serait partagée financièrement en grande partie par l’Occident et l’Asie prospère tout en y exerçant une gestion responsable locale des ressources dans le cadre d’un régime de parcs naturels internationaux ? Ainsi pourraient être créés des emplois locaux en tourisme et développement durable sur place pour protéger et gérer les grands poumons de la planète. En contrepartie, ces nations pourraient concentrer leurs efforts pour amorcer le virage technologique approprié dans leurs secteurs des mines et de l’énergie. Il faut désormais envisager une coopération plus juste et plus durable entre les pays ressources et les pays post-industriels. D’ailleurs, un rapport présenté par SWITCH – L’Alliance pour une économie verte au Québec ne recommandait-il pas récemment l’harmonisation des marchés du carbone à l’échelle mondiale ?
V - Désormais, faire autrement
Bien que le Sommet de Paris de décembre dernier soit un immense succès, le travail à faire est gigantesque et ne sera pas facile en raison des nouveaux comportements qu’il exige de tous. Dès maintenant, il nous faut imaginer un plan d’aménagement de la planète en précisant ce qui doit être conservé et protégé à long terme pour la survie des grands écosystèmes. Il nous faudra convenir ensemble des espaces constructibles, des choix technologiques à retenir pour les transports, stopper immédiatement des processus avancés de dégradation des sols, des mers et des écosystèmes naturels. Ralentissons et inversons les processus de destruction des ensembles construits et paysagers patrimoniaux (voir l’article de Marie-Odile Trépanier et d’Hugo Séguin sur les transferts de droits de développement et les redevances).
Nous considérons que les villes UNESCO du patrimoine mondial de même que les sites naturels protégés sont un modèle universel de bonne gestion des territoires. Elles constituent un exemple remarquable d’inversion des tendances actuelles de destruction tout en créant une économie locale basée sur l’exemplarité des paysages ainsi protégés pour les générations montantes. En effet, la reconnaissance des constructions et paysages patrimoniaux accumulés par les différentes sociétés méritent conservation, restauration, recyclage, en plus de la reconstruction des sites vacants desservis pour mieux loger les commerces, les emplois et les familles qui pourraient s’y installer. L’idée n’est surtout pas de loger tous les potentiels de croissance future dans de nouveaux lotissements dispersés, mais plutôt d’utiliser une partie importante de cette demande pour redonner vie aux quartiers anciens et patrimoniaux dans leur aspect culturel original – une cause de grande fierté pour toutes les nations et tous les peuples.
Nous savons que pour combler les besoins d’établissements humains futurs, il faudra aussi concevoir des villes nouvelles, des conurbations consolidées, des mégalopoles. Mais ces expansions devraient se faire préférablement par la densification intelligente et progressive des villes et villages existants afin, d’une part, de rentabiliser les infrastructures urbaines de services et de transport, et d’autre part, d’épargner ainsi les espaces requis pour l’agriculture, la forêt et les réserves naturelles en faveur de la biodiversité.
Rêvons un peu ! À la suite du Sommet de la Terre à Paris, une cible de plafonnement maximal du pourcentage des augmentations de température acceptable serait autour de 2 degrés, idéalement plutôt 1,5. Connaissant la forte résistance aux changements en matière de mode de vie, la commande est ambitieuse. Mais restons positifs ! La société civile est consciente des enjeux très bien décrits par la communauté scientifique (voir l’article produit par Vivre en Ville). Les jeunes, les entrepreneurs innovants, les forces sociales comme les coopératives et les syndicats, les partis politiques et les médias, tous réclament un changement de paradigme et se disent prêts à y participer. Il reste à convaincre l’opinion publique des divers pays.
D’abord multiplier les aires naturelles protégées ; le 12 % du Québec est nettement insuffisant. L’Europe regarde du côté des États-Unis pour voir comment protéger à jamais une plus grande partie de son territoire. Il serait aussi important de se donner des cibles ambitieuses sur l’ensemble de la Terre et d’imaginer une forme de péréquation dans leur financement et leur entretien.
Puis faire des efforts considérables pour déployer le potentiel de croissance démographique, économique et immobilière à l’intérieur de l’empreinte actuelle vouée à l’urbanisation des villes et villages existants. Un effort plus important même devrait être consenti pour ramener l’agriculture et les jardins dans le cœur des agglomérations jusqu’à leur ceinture maraîchère partiellement inutilisée en raison de la spéculation foncière dont font l’objet les terres agricoles périphériques.
Favoriser la diversification des usages dans chacune des communautés rurales et des quartiers urbains afin de créer des milieux de vie complets facilitant les choix en habitation, en activités sociales et culturelles, en recherche d’emplois et en possibilité de déplacements à pied, à vélo, en transport en commun, en covoiturage et, moins souvent, en voiture.
Soutenir les innovations technologiques et les efforts de restauration et de recyclage du parc immobilier existant de bonne valeur afin de le mettre à niveau en ce qui concerne les économies d’énergie et d’habitabilité.
Conclusion : Encourager la simplicité volontaire pour tous ?
Connaissant la résistance des humains face aux changements, surtout face à l’adoption de comportements beaucoup plus acceptables et raisonnables, nous pouvons nous attendre à vivre des périodes de turbulence évidente si l’on veut atteindre cette cible dans les délais prescrits. Nous faisons confiance aux connaissances technologiques et scientifiques pour aider l’humanité à franchir ce seuil de civilisation sans écueils majeurs. La volonté des politiques et l’enrôlement des forces de la société civile – toutes générations confondues – nous paraîtraient de mise pour franchir ce nouvel écueil, notre Cap Horne dans notre voyage vers un monde meilleur. Mais on pourra y arriver.
1 Le monde en 2013 vu par la CIA. La bible des puissants, National Intelligence Council avec la contribution de Flore VASSEUR, éditeur J’ai lu, 2014, 378 pages.
2 Lettre encyclique LAUDATO SI’ sur la sauvegarde de la maison commune, Pape François, éditeur MÉDIASPAUL FRANCE, 2015, 184 pages.
Lecture recommandée : Vivre ensemble le changement climatique. Entre subir et agir, Conseil économique, social et environnemental, Presses Universitaires de France, collection Les Forums du CESE, novembre 2015, 314 pages.