Certification sous influences
C’est un comité de bénévoles du Conseil du bâtiment durable du Canada qui travaille à faire évoluer la certification, et sans surprise l’industrie n’est pas loin derrière. Ce sont en effet les industries ou associations membres du CBDCa qui, par leurs démarches pour favoriser leurs propres membres, alimentent la réflexion du comité et approuvent les nouvelles exigences. Mais cette « influence de l’industrie est positive pour que la certification soit mieux adaptée au marché », justifie Joël Courchesne en reconnaissant toutefois que « ce n’est pas forcément ce qu’il y a de mieux pour le développement durable ». Conscient des travers du lobbyisme, le CBDCa a révisé les droits de ses membres en ne leur accordant qu’un seul droit de vote, de manière à éviter une surreprésentation des associations ou entreprises les plus grosses sur les plus petites. Sans disparaître, le lobbyisme devrait s’exercer de manière plus équitable.
« Un bâtiment certifié en 2010 n’a pas la valeur de la certification d’aujourd’hui », prévient Joël Courchesne.
Si l’industrie influence l’évolution de la certification, l’inverse est vrai aussi puisqu’elle incite les manufacturiers à adapter leurs produits aux critères de la certification en cours. Pour preuve, des manufacturiers produisent maintenant des ACV de leurs produits, même si, comme le constate Joël Courchesne, plusieurs le font pour participer à la certification LEED, mais négligent d’extraire la plus-value des ACV pour améliorer l’empreinte environnementale de leurs produits.
L’influence vient aussi des autres certifications de bâtiments. Un comité du CBDCa épluche les certifications HQE, Minergie, BREEAM et autres qui ont cours en Europe pour introduire de nouveaux critères sous forme de crédits pilotes.
Multiplication des certifications
Pour s’étendre aux divers segments du marché, les certifications LEED se sont aussi diversifiées. Il en existe maintenant une vingtaine, adaptées spécifiquement aux écoles, aux centres de données, aux établissements de santé… dont il est possible de certifier l’enveloppe ou l’aménagement intérieur ou l’exploitation. « On touche maintenant à tous types d’environnements bâtis, selon le besoin de l’équipe de projet ou du mandataire. Ça nous permet de faire avancer cette mission de transformer l’environnement bâti de façon plus durable », commente Julie-Anne Chayer.
C’est maintenant le GBCI Canada, une coentreprise créée par le CBDCa et Green Business Certification Inc. (GBCI), qui administre les certifications LEED et qui devient la tierce partie pour évaluer les projets candidats. Et à la famille des certifications LEED, le GBCI Canada a ajouté les cousines RESB, ICP, Parksmart, SITES, TRUE et WELL, qui visent plus spécifiquement des stationnements, la gestion des déchets, l’aménagement des sites, le bien-être…
« On ne tient plus seulement compte du contenu recyclé ou des matériaux renouvelables, ce qui pour moi était la base d’il y a vingt ans », se réjouit Julie-Anne Chayer.
On peut se questionner sur la portée de ces multiples certifications qui tendent à fragmenter la démarche environnementale. Quel sens donner par exemple à la certification d’une composante d’un bâtiment ? Cela permet à des entreprises locataires d’immeubles de bureaux qui ne peuvent pas intervenir dans l’enveloppe du bâtiment d’investir dans l’aménagement intérieur de leurs locaux aux bénéfices de leurs employés, explique Julie-Anne Chayer. Inversement, un promoteur peut faire construire et certifier le noyau et l’enveloppe d’un immeuble de bureaux pour y attirer des entreprises qui, éventuellement, partageront ces mêmes valeurs environnementales et de santé pour leurs employés. « Il y a des projets comme des stationnements qui ne sont pas des bâtiments et qui ne peuvent pas être certifiés LEED, poursuit Joël Courchesne. Aéroport de Montréal développe un secteur de stationnement et d’accès à l’aéroport et veut le faire certifier SITES. Ça comprend l’aménagement paysager, l’accès piéton, la sécurité. »
Quinze ans plus tard
Depuis 2002, la certification LEED s’est insinuée dans le paysage urbain et dans les têtes. Un rapport du CBDCa indique qu’en 2014, le taux de pénétration du marché des certifications LEED représentait 10,7 % des surfaces de planchers des nouvelles constructions, tous types de bâtiments confondus. La diversification des certifications y est sans doute pour quelque chose. C’est dans les secteurs commercial et institutionnel qu’il est le plus élevé, en atteignant respectivement 22 et 30 %. Il est beaucoup plus bas dans les secteurs industriel et résidentiel, avec seulement 3,5 % et 1,5 %. Julie-Anne Chayer et Joël Courchesne sont aussi d’avis que les architectes familiarisés avec la certification LEED en implantent certaines mesures dans des projets non certifiés, contribuant à rehausser la qualité environnementale des bâtiments en dehors des bâtiments certifiés.
Plus largement, la certification s’est implantée dans la tête de l’ensemble des parties prenantes de la construction. Mais la motivation derrière cette implantation n’est peut-être pas toujours environnementale. « Des bâtiments sont certifiés LEED, non pas parce que le professionnel voulait faire un projet en développement durable, mais parce que le client voulait une certification LEED pour bien paraître », constate Joël Courchesne. La certification a encore du chemin à faire…