La préfabrication – Hier et aujourd’hui Habitations individuelles en forme de cylindres superposés préfabriqués, Guy Dessauges, Brevet EU/US 207101 (1967). – Source : Collection privée de Hans Demarmels

Regards croisés sur la préfabrication d’hier et d’aujourd’hui avec Yvan Delemontey, architecte et docteur en architecture de l’Université Paris 8 et de l’Université de Genève, et Ryan Smith, professeur et directeur de l’École d’architecture, Université de l’Arizona.

La préfabrication est une vieille idée puisque la couronne britannique envoyait par bateau des composantes de maisons pour faciliter l’établissement des colons aux États-Unis, en Australie, au Canada et dans d’autres colonies. En 1830, le charpentier londonien H. John Manning concevait le Manning portable colonial cottage qui fut largement déployé dans les colonies. Au fil des siècles et au gré de nouvelles technologies de construction et de nouveaux matériaux, la préfabrication se réinvente, mais le moteur de cette perpétuelle évolution semble constant : accroître la productivité.

Hier en France

Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, la France est ravagée. Des villes sont détruites, il y a pénurie de logements mais aussi de matériaux de construction et de main-d’œuvre qualifiée. En France, le secteur de la construction est encore artisanal et très en retard sur les autres activités économiques. « Tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut industrialiser le bâtiment pour construire vite, en masse, le moins cher possible et mieux qu’avant », relate Yvan Delemontey.

Maison des jours meilleurs – Maison prototype avec noyau central sur socle en béton, Jean Prouvé (1956). – Source : © CNAC/MNAM, Dist. RMN-Grand Palais / Art Resource, NY

 

La France va alors prendre les moyens pour encourager l’innovation et le développement de la préfabrication, dont on espère qu’elle permettra des économies de matériaux et une meilleure efficacité de réalisation au chantier. La revue L’Architecture d’Aujourd’hui en publie une définition en 1946 : « La préfabrication consiste à exécuter d’avance des éléments ou des ensembles de telle manière qu’ils puissent être intégrés sur le chantier aux autres parties de la construction par une simple opération de montage ou de liaison. » 

Le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme (MRU) lance des chantiers pour expérimenter de nouveaux systèmes constructifs. L’architecte Pol Abraham, responsable du chantier expérimental d’Orléans, théorise la préfabrication et publie en 1946 un ouvrage, Architecture préfabriquée, qui servira de référence en la matière. Le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment est créé en 1947 avec une station expérimentale pour tester en grandeur nature des procédés de construction industrialisée.

 

Procédé CamusMC – Procédé de construction pour panneaux en béton armé, Raymond Camus, brevet FR 1009676 (1954). – Source : US National Archives

 

La préfabrication française ne suivra pas le modèle américain, qui construit des maisons à ossature bois entièrement fabriquées en usine. Campée sur la maçonnerie, elle prend plutôt la voie des panneaux de béton. Des centaines d’inventeurs participent au mouvement et 400 procédés sont agréés par le MRU entre 1945 et 1949 – parmi lesquels les procédés ERIES, Lemay, Mopin, A47 et ETM. Le plus abouti sera le procédé Camus, breveté en 1948. « L’ingénieur

Raymond Camus travaillait chez Citroën et s’intéressait au logement des ouvriers. Il a l’idée d’adapter à la construction d’immeubles les principes de la construction industrielle pour faire des maisons comme on fabrique des automobiles. Son idée est de préfabriquer les six faces d’une pièce en usine et d’y incorporer les éléments du second œuvre, donc les canalisations, les conduits de fumée, l’huisserie, les volets roulants, les revêtements de sol… », raconte Yvan Delemontey. Le procédé Camus a été mis en œuvre pour la reconstruction du Havre et exporté en Europe de l’Est et en Amérique latine.

Aujourd’hui aux États-Unis

« La préfabrication existe depuis des lustres, alors pourquoi en parler encore aujourd’hui ? » questionnait Ryan Smith en ouverture de sa présentation. Selon le McKinsey Global Institute, la construction souffre de productivité et n’a pas achevé son virage industriel. Aux États-Unis et au Canada, le modèle dominant de la préfabrication est celui de la maison préfabriquée transportée par camion, contrairement à d’autres pays où il s’agit plutôt de systèmes 2D.

Maison Lustron – Transportée par camion, composantes et systèmes d’une maison préfabriquée en acier émaillé, Carl Gunnar Stradlund (1947). – Source : Ohio History Connection

 

« Il faut repenser la préfabrication en matière de modularisation et plateformes de produits. Ce sont des termes manufacturiers et non des termes de conception architecturale, souligne Ryan Smith. La modularisation est la division d’un système en modules standards et adaptables qui peut être combiné en différentes configurations pour créer de la variation. » C’est la réutilisation des mêmes modules préfabriqués dans de multiples configurations qui permet une économie d’échelle et un gain de productivité. « Il a y économie d’échelle non pas grâce à la standardisation d’un produit à l’échelle du bâtiment, mais grâce à la standardisation à l’échelle du module », nuance Ryan Smith. Au Japon, c’est la voie qu’a suivie Sekisui House, une division de Sekisui Chemical, qui propose aux futurs propriétaires un jeu de 60 000 modules pour personnaliser leur maison. En Suède, Lindbäcks Bygg a développé un système de construction industrialisée en bois qui permet de construire des bâtiments de huit étages. 

Habitat 67 – Volumes préfabriqués sur site en béton armé précontraint empilés en post-tension, Moshe Safdie, (1967). – Source : Jasmine Lindsay Forman – Photo : © Jeffrey Lindsay

 

Avec la numérisation et la modularisation, la préfabrication peut prendre un nouvel essor et augmenter sa productivité. Mais attention à ne pas brûler les étapes, prévient Ryan Smith. Certaines entreprises qui ont escamoté la modularisation pour sauter directement à la numérisation sont allées au-devant d’un échec.


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