Le 1325, rue Bousquet, en toute transparence
Gabriel Tessier, architecte chez Atelier Big City, a fait preuve d’une louable transparence en rapportant les difficultés d’un projet de construction modulaire de logements abordables au 1325 de la rue Bousquet à Laval.
Ce projet bénéficiait du financement de l’Initiative pour la création rapide de logements de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) qui imposait un échéancier de construction de dix-huit mois. Le projet de 20 unités d’habitation s’est finalement étiré sur trois ans et demi. Compte tenu de l’échéancier restreint, l’Office municipal d’habitation de Laval (OMHL) a d’emblée considéré une approche modulaire. « On travaillait des unités répétitives avec des blocs de cuisines et de salles de bains répétées.
Mais on a été confrontés à la nature même du client, un organisme public qui rencontrait des difficultés à spécifier un produit précis. La stratégie a donc été de développer les plans jusqu’à 70 % d’avancement pour permettre à un fabricant modulaire et à un entrepreneur de finaliser la conception et d’adapter la fin du projet à leurs standards de fabrication », décrit Gabriel Tessier.
L’OMHL a finalement procédé par appel d’offres sur invitation, retenu un entrepreneur et un fabricant pour, théoriquement, initier les travaux en chantier parallèlement à la préfabrication. Mais les imprévus et ajustements en ont voulu autrement. Comme le manufacturier avait réservé une plage de production en usine, les concepteurs se sont attelés à la tâche pour finaliser la conception et amorcer la fabrication en usine à la date prévue. L’opération était risquée, car le permis n’était pas encore octroyé. Le permis fut finalement délivré deux mois après la fin de la production en usine et le chantier pouvait commencer, mais la nature du terrain a compliqué l’excavation et les premiers modules sont arrivés sur le site cinq mois après la fin de leur construction. « On est loin du gain de temps espéré par le chevauchement des opérations », convient Gabriel Tessier.
Si ce contretemps compromet la promesse d’une construction économique, c’est aussi la taille du projet qui limite les économies. « Il y a certainement une échelle de projet pour permettre une économie d’échelle. Mais dans un petit projet multilogement, il était clair pour tous les intervenants dès le départ que la préfabrication n’était pas une solution pour réduire les coûts », rapporte Gabriel Tessier. Quant à la qualité, Gabriel Tessier reconnaît que la standardisation des processus et les conditions contrôlées de l’usine apportent une certaine qualité de fabrication. Mais il appelle à ne pas perdre de vue la qualité architecturale et estime que, dans ce projet, elle a été mise à l’écart par les contraintes de temps et de budget.
« Quand on parle des avantages de la préfabrication, on évoque souvent l’économie, la rapidité et la qualité. Notre expérience ne nous permet pas de conclure à une réussite étincelante », concluait Gabriel Tessier. Cette expérience a cependant le mérite de mettre en lumière quelques impondérables de la construction industrialisée, à savoir l’échelle du projet, le mode de réalisation et la coordination des opérations.

Le 1325 Bousquet, Ville de Laval
Un problème d’échelle
Outre cette expérience de la rue Bousquet, les conférenciers et conférencières ont relevé au fil du séminaire plusieurs écueils qui freinent l’essor de la construction industrialisée, le premier étant qu’elle reste dans le paradigme du prototype. « La construction conventionnelle demeure un service. Le client va voir un architecte qui trouve un entrepreneur et qui vend une maison. Et chaque maison vendue est un prototype », décrit Roger-Bruno Richard. Le principe persiste avec la construction industrialisée puisque, comme le fait remarquer Carlo Carbone, « les composantes portes, fenêtres, plinthes… sont industrialisées, mais on les apporte sur le site et on les bricole. Ce bricolage doit être remplacé par un nouveau paradigme qui repose sur la réplicabilité de certains processus ».
Or, le prototype ne permet pas d’atteindre le seuil de la rentabilité, même si ce prototype est déjà un bâtiment multirésidentiel conçu et construit en préfabrication, comme le suggère l’expérience de la rue Bousquet. « Ça prend un volume d’affaires. Avec une unité, ce n’est pas sûr que c’est plus efficace », soulignait Guy Paquin, ingénieur, gestionnaire sénior spécialisé en gestion de projets. UTILE, qui est une entreprise d’économie sociale spécialisée dans le logement étudiant, l’a bien compris. Elle se donne comme mission de réduire la crise du logement en multipliant les projets de quelque 150 logements à but non lucratif. Par nature, les logements étudiants se prêtent bien à la préfabrication et UTILE a considéré cette option pour plusieurs projets sans parvenir à la mettre en application. « Ça n’a pas fonctionné parce que ce n’est pas moins cher et que cela est considéré comme risqué. Pour les bailleurs de fonds, ce n’est pas dans trois projets qu’ils veulent que ça coûte moins cher. Les étudiants non plus. »
Pour un projet unique, le mode de construction traditionnel demeure privilégié, car les économies de la construction industrialisée supposent une réplicabilité non pas seulement des composantes ou des modules, mais aussi des projets. Il y a un risque pour le bailleur de fonds et le promoteur, mais aussi pour le manufacturier, et Roger-Bruno Richard croit que ce risque est le frein principal à l’industrialisation du bâtiment. « Il faut un capital de risque, investir et prendre place dans le marché pour atteindre le seuil de rentabilité et réaliser des économies. »
Une industrie fragmentée
Roger-Bruno Richard faisait aussi remarquer qu’entre 1995 et 2015, les secteurs manufacturiers ont doublé leurs investissements et que le secteur de la construction n’a pas suivi ce mouvement. En fait, « il y a eu une augmentation de la productivité dans les méthodes manufacturières, mais une baisse de la productivité dans la construction », notait Carlo Carbone. Cette différence suggère des investissements inégaux dans l’ensemble du secteur, symptôme d’une industrie fragmentée. « Si l’on regarde le cycle de vie d’un projet industrialisé, il y a une série de fragmentations avec des acteurs qui ne parlent pas nécessairement le même langage, qui n’ont pas le même agenda, les mêmes intérêts, ni le même mode de fonctionnement », décrivait Gonzalo Lizarralde. Il explique que la construction est compartimentée en niches d’où émergent parfois des innovations qui peinent à profiter à l’ensemble du secteur et qu’il faudrait des incitatifs gouvernementaux, des subventions, des assurances et de l’exemplarité gouvernementale pour protéger les niches d’innovation et leur permettre de percoler dans l’ensemble de l’industrie. Encore faut-il que les acteurs au sein de ces niches puissent collaborer très en amont avec les donneurs d’ouvrage pour adopter ensemble les innovations. « L’industrialisation implique de regrouper tous les participants de façon à investir dans des technologies qui permettront de simplifier les opérations », disait également Roger-Bruno Richard. Les points de vue convergent : le secteur de la construction souffre d’un manque d’intégration.