Un projet inachevé Photo : Stéphane Groleau – Architecture : Yvan Blouin Architecte

Le comité scientifique de la dernière mouture du séminaire INTERFACES a brossé le portrait et les perspectives de l’industrialisation de la construction au Québec avec un cas particulier, celui de la préfabrication en bois. À noter que les propos des spécialistes collent également aux enjeux des autres filières matériaux.

 

L’industrialisation de la construction au Québec

Le cas de la préfabrication en bois

 

« Une plus grande industrialisation des processus est nécessaire si, nous, Canadiens, voulons continuer à bénéficier d’une industrie de la construction progressive. Celle-ci, en effet, devra faire face à des demandes croissantes, nées de l’augmentation rapide de la population, du développement urbain et du coût élevé de la construction. » 

Ces idées sont aujourd’hui souvent mises de l’avant, sous diverses déclinaisons, en réponse à nos crises actuelles : climatique, écologique, du logement, des sans-abris et de main-d’œuvre. Or, il s’agit, en réalité, des propos du ministre canadien de l’Industrie et du Commerce publiés en… 19691 !

Depuis plus de cinquante-cinq ans, chercheurs et entrepreneurs soutiennent eux aussi que davantage d’industrialisation contribuerait à améliorer la performance de l’industrie de la construction au pays. Leur argument est souvent justifié. Alors que de 2004 à 2019, la productivité des industries manufacturières a augmenté de plus de 11 % au Canada, celle de la construction a diminué de presque 10 %. Depuis 2014, la productivité de la construction au Québec a été de 13 % plus faible qu’en Ontario2.

Le manque d’innovation est en cause. Selon certains, la préfabrication pourrait réduire jusqu’à 50 % du temps de réalisation des projets3. Dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre, elle diminuerait les besoins de travailleurs sur les chantiers. Des économies seraient aussi à entrevoir, notamment par la réduction des imprévus propres à la construction in situ. Le travail dans un environnement contrôlé et à l’abri des intempéries garantirait une meilleure qualité4. Enfin, la préfabrication réduirait de façon significative les erreurs et les déchets de construction5.

Or, malgré tous ces avantages – tant réitérés depuis 1969 – force est de constater que la préfabrication est toujours une petite niche du secteur du bâtiment au Québec.

Les temps ont aussi changé depuis les propos du ministre canadien. Contrairement aux pionniers de l’industrialisation des années 1960, plusieurs acteurs aujourd’hui (dont l’Association des manufacturiers de bâtiments modulaires du Québec–AMBMQ) rêvent de moins en moins à de grandes structures usinées en béton (à l’instar d’Habitat 67). On vise davantage une forme d’industrialisation axée sur l’emploi de matériaux écologiques, tels le bois, et sur la réutilisation des matériaux dans une logique d’économie circulaire.

Si l’on regarde le cas des systèmes préfabriqués en bois, la technologie semblerait encore à peaufiner. Bien qu’il existe au Québec plusieurs fabricants de panneaux de bois usinés (légèrement industrialisés), ces derniers mobilisent souvent des technologies d’ossature en bois traditionnelle. Certains acteurs souhaiteraient des solutions plus novatrices, faisant appel, entre autres, à des assemblages en bois lamellé (collé, croisé) et à des matériaux biosourcés. Le gouvernement du Québec vise à faciliter cette transition. Il cherche depuis plus de quinze ans à promouvoir l’adoption du bois dans la construction multifamiliale et non résidentielle. L’innovation dans la construction en bois permettrait non seulement de créer (ou consolider) des emplois en région, mais également de réduire les émissions de gaz à effet de serre, tout en favorisant la qualité du cadre bâti6.

Suivant ces hypothèses, en 2019, Québec lançait le Programme préfabrication en bois : optimisation et automatisation (PPBOA)7, offrant un soutien financier aux entreprises novatrices. En 2020, ces incitatifs étaient réaffirmés dans la Politique d’intégration du bois dans la construction8 par l’objectif 6 — Innover, automatiser et optimiser davantage la performance des entreprises, des procédés et des produits — et dans le Plan de mise en œuvre 2021-20269 de cette politique par la mesure 6.2 (Soutenir l’optimisation et l’automatisation des processus d’affaires et de fabrication dans l’industrie de la préfabrication). Tout récemment, à l’automne 2024, la Société d’habitation du Québec lançait un appel de qualification en conception-construction pour 500 logements hautement préfabriqués.

Source : Maison Laprise

 

Cependant, les solutions demeurent encore limitées. Force est de constater que plusieurs obstacles à l’industrialisation en général, et à la préfabrication en bois en particulier, persistent.

D’abord, la technologie. La rigueur de notre climat pose un grand nombre de défis. Les systèmes d’enveloppe, par exemple, exigent une étanchéité et une isolation optimales ainsi qu’une grande résistance aux cycles du gel-dégel. Les matériaux qui composent les différentes couches de l’enveloppe peuvent être installés en usine selon un contrôle de qualité rigoureux. Toutefois, la continuité du plan d’étanchéité est réalisée sur chantier lors de la finition du bâtiment et doit être minutieusement effectuée. Dans le cas de bâtiments de moyenne hauteur en ossature légère, il faut considérer que le séchage du bois induit une compression perpendiculaire qui peut aller jusqu’à 2 mm par étage.

Ensuite, il y a des obstacles en ce qui concerne les organisations. Les défenseurs de l’industrialisation reprochent souvent à l’industrie de la construction son inexorable résistance au changement. Par crainte du risque, les acteurs sont en effet plutôt enclins à travailler avec des matériaux et assemblages aux performances éprouvées. Parfois, la perception de la faible résistance au feu du bois contribue à en freiner l’adoption. Au-delà de cette supposée intolérance au risque, il faut reconnaître que l’innovation est coûteuse, surtout pour les petites et moyennes entreprises qui constituent le gros de l’industrie. Dans un marché exigeant, la filière du bois doit demeurer compétitive face à celles du béton et de l’acier, dont les infrastructures de production sont déjà bien établies et largement amorties. Enfin, des ambiguïtés en matière de responsabilité professionnelle des architectes et des ingénieurs se posent lorsqu’il s’agit de systèmes préassemblés10.

Plusieurs barrières existent également quant à l’industrie de la construction elle-même. Au Québec, celle-ci compte un nombre très élevé de corps de métiers certifiés. Il s’agit de l’une des industries les plus fragmentées des pays riches, ce qui rend la préfabrication plus difficile. Les modes de réalisation les plus courants, tels que le Design­Bid­Build, supposent une fragmentation entre les phases de conception et de construction. Ils ne se prêtent donc pas aisément à l’intégration propre au travail en usine. Certains chercheurs considèrent que les modes de réalisation de type Integrated Project Delivery, partenariat public-privé ou Design­Build, encore peu fréquents au Québec, seraient plus adéquats, car ils permettent une meilleure intégration et collaboration tout au long du processus.3

L’environnement politique et institutionnel peut aussi poser problème. La réglementation et les codes de construction sont encore frileux en matière de matériaux combustibles, et leurs mises à jour ne suivent pas toujours le rythme des innovations. En matière de financement, le manque de compréhension des institutions bancaires quant au moyen de lier les composantes fabriquées hors site au chantier (immeuble en devenir) pour les garanties hypothécaires peut devenir une barrière. À cela s’ajoute la réticence des compagnies d’assurances à soutenir les innovations ; elles refusent parfois d’assurer les chantiers ou encore réclament des primes plus élevées aux propriétaires de bâtiments usinés en bois3.

Enfin, des enjeux se posent sur le plan socioculturel. C’est particulièrement le cas des préjugés qui persistent quant à la préfabrication, associée à la maison mobile ou à une culture du cheap, synonyme de pauvreté architecturale11. La perception du manque de flexibilité et de limitations conceptuelles refroidit également plusieurs architectes12. Enfin, depuis plusieurs décennies, certains professionnels déplorent la résistance au changement du côté syndical et patronal. Les membres de l’industrie « semblent conspirer pour maintenir son statu quo », affirmait en 1969 le secrétaire général du Syndicat des électriciens et techniciens de la construction13. Certains considèrent que la réduction de main-d’œuvre et la réduction des salaires14 induites par des procédés plus efficaces diminueraient l’intérêt des syndicats et corporations à adopter de nouvelles solutions14.

Ce séminaire propose de démystifier l’univers de la préfabrication au Québec, en cherchant à identifier quels en sont les possibles leviers et les barrières à surmonter pour débloquer ce projet inachevé. Nous discuterons des enjeux de l’industrialisation en général, mais nous nous pencherons plus spécifiquement sur ceux liés à la préfabrication en bois.

Notes

1 PÉPIN, Jean-Luc (1969). Lettre à l’éditeur Industrial Forum, 1(1), 2.
2 HOULE, Guillaume (2023, 13 juin). Modernisation du secteur de la construction : gagner en productivité au bénéfice des Québécois. Association de la construction du Québec. https://www.acq.org/nouvelles/modernisation-du-secteur-de-la-construction-gagner-en-productivite-au-benefice-des-quebecois/
3 MITCHELL, Craig (2021). The State of Prefabrication in Canada: A Market Study of Mass Timber, Panels, and Volumetric Modular Construction. Blackbox Offsite Solutions Ltd. O https://static1.squarespace.com/static/5f7cb04329e107165b649ccc/t/6261bf54edcd29756a7241ef/1650573145289/STATE+OF+PREFABRICATION+IN+CANADA+-+April+2022.pdf
4 Quebec Wood Export Bureau (2023, 12 septembre). Les avantages de la construction industrialisée no  2 – Contrôle de la qualité [vidéo]. YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=XYO6y01qjq0&list=PLPUtJ84X­1juDCCWckMRmI5RNJzWKpZuv&index=2
5 GARON, Jean (2018, 1er août). Jouer la carte de la préfabrication. Voir Vert, le portail du bâtiment durable au Québec. https://www.voirvert.ca/nouvelles/dossiers/jouer-la-carte-la-prefabrication
6 Ministère des Ressources naturelles et des Forêts (2016). Charte du bois. Gouvernement du Québec. https://mrnf.gouv.qc.ca/documents/forets/entreprise/charte-bois.pdf
7 https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/forets/documents/entreprises/aide-financiere/PPBOA/GM_PPBOA_requerant_MRNF.pdf
8 Gouvernement du Québec (2020). Politique d’intégration du bois dans la construction (publication no ISBN 978­2­550­88263­3). https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/energie-ressources-naturelles/publications-adm/politique/PO_construction_bois.pdf
9 Gouvernement du Québec (2020). Plan de mise en œuvre 2021-2026 – Politique d’intégration du bois dans la construction (publication no ISBN 978­2­550­90318­5). https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/forets/documents/entreprises/PL_MiseOeuvre_PIBC_MRNF.pdf
10 Service de l’inspection de l’OAQ (2024). Des balises pour la préfabrication. Esquisses, 35(1), 27. https://www.oaq.com/devoirs-de-larchitecte/aide-a-la-pratique/balises-prefabrication/
11 SAULNIER, Philippe-Antoine (2022, 22 décembre). La préfabrication au service du logement abordable. Radio-Canada. https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1943523/prefabrication-service-logement-abordable-shq
12 BOULET, Alain ; DOYON, Nathalie ; CARBONE, Carlo, LEMIEUX-AIRD, Marianne ; BÉLANGER, Christian ; IORDANOVA, Ivanka ; MESSA SOKOUDJO, Virginie Raissa ; BOURGAULT, Mario (2020). Noyaux de services, panneaux muraux et kits de construction intégrés : trois manières de voir l’évolution de l’industrie du bâtiment préfabriqué. Quebec Wood Export Bureau. https://www.habitation.gouv.qc.ca/fileadmin/internet/documents/trois-modes-prefabrication.pdf
13 Industrial Forum. (1972). Politique, Syndicats et Industrialisation : un interview avec George Smith. Industrial Forum, 3(4), 29.
14 ERLICH, Mark (2023, 21 décembre). Why modular Building Hasn’t Revolutionized Construction. Harvard Business Review. https://hbr.org/2023/12/why-modular-building-hasnt-revolutionized-construction

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