L’exemple HI
Voici un exemple intéressant qui illustre l’ampleur des moyens déployés pour créer une nouvelle identité capable de s’adapter à diverses cultures. Il s’agit du projet d’Humanité et Inclusion (HI), une organisation de solidarité internationale dont la mission est d’intervenir dans les situations de pauvreté, d’exclusion, de conflits et de catastrophes. L’agence de communication créative Cossette a signé en 2018 la nouvelle identité de marque de cette association. Le nouveau nom du réseau mondial HI est basé sur la valeur d’humanité qui se traduit par une approche bienveillante, prenant compte de chaque individu dans son unicité. Son logo contient le symbole fort de la main, signe universel immédiatement reconnaissable qui exprime à la fois un salut amical et un coup d’arrêt.
L’agence Cossette a mis en place une méthodologie de travail basée sur d’importantes phases de consultation qui a sollicité le point de vue de plus de 1 000 salariés et bénévoles de Handicap International et d’autres experts du domaine de l’aide internationale. Les propositions de noms et d’identités graphiques ont été systématiquement testées auprès des publics cibles. « Nous devions nous assurer de la pertinence culturelle et linguistique et de la force de cette identité à travers tous les pays où l’organisation est active, y compris dans certaines zones de conflits, raconte Barbara Jacques, vice-présidente, design et image de marque chez Cossette. Nous l’avons donc validée dans 11 langues et dans 17 pays où Humanité et Inclusion est présente, ce qui représente un travail colossal. » Une campagne institutionnelle mondiale multiplateforme accompagne son déploiement dans huit pays, en utilisant notamment le film et l’animation, la photographie et l’illustration, pour raconter le bouleversement et la résilience des populations vulnérables.
Symbole identitaire de HI et exemples de mise en application – Source : Cossette
Une identité peut s’exprimer au-delà d’un symbole unique, comme le fait remarquer Karl-Frédéric Anctil, coprésident et fondateur de l’agence Featuring. Il explique le processus de création de son équipe. « Il faut tout d’abord faire une analyse actuelle de la marque en la plaçant dans le contexte de son marché. Cette démarche de positionnement doit préalablement s’inscrire comme étape nécessaire pour aligner le travail de création qui suivra. Une veille concurrentielle d’identités de marque est ensuite effectuée pour s’assurer de mettre en avant l’unicité de l’organisation et son offre par rapport à son industrie. Ce n’est qu’une fois ces étapes accomplies que plusieurs avenues sont débattues et considérées, afin d’en arriver avec une proposition finale. »
Les exemples SDC Hochelaga-Maisonneuve et Xn
Voici une étude de cas réalisée en 2016 par la Société de développement commercial Hochelaga-Maisonneuve dont l’objectif, nous raconte Karl-Frédéric, était de créer une nouvelle image rassembleuse pour faire rayonner le quartier. Le défi premier devait considérer le fait que les artères présentent une offre commerciale discontinue et une population des plus variées, elle aussi. C’est dans un contexte de tension où certains dénoncent l’embourgeoisement que la SDC a décidé de revoir son positionnement et d’actualiser son image. L’objectif est de mieux représenter la réalité existante des artères commerciales, de favoriser l’achat local et de rallier les différentes populations du secteur. L’axe de positionnement retenu mise sur la mixité sociale et commerciale d’Hochelaga-Maisonneuve, tout en conservant son esprit d’authenticité.
Diverses déclinaisons de la nouvelle image de la SDC Hochelaga : mobilier urbain, sac promotionnel, oriflamme – Source : Featuring
Une tendance que l’on remarque assez souvent chez certaines entreprises est de sous-estimer l’expertise des designers graphiques. Considérant l’investissement trop onéreux, c’est malheureusement souvent la première place où l’on décide de sabrer dans les budgets, préférant faire le travail soi-même, à l’interne. De fait, certaines entreprises misent uniquement sur les tendances esthétiques, alors que d’autres privilégient une surcharge d’éléments, rendant l’impact visuel inefficace.
Voici par contre un exemple de collaboration réussi. L’objectif de ce mandat était de simplifier et d’unifier l’image d’une association regroupant plusieurs disciplines sous une même bannière. Yan Marchildon, directeur de création chez YMG design, explique sa démarche : « De prime abord, la direction de Xn Québec avait déjà bien mûri le besoin d’une nouvelle identité. À cet effet, le nom du Regroupement des producteurs multimédia fut abandonné au profit de Xn Québec. Par sa simplicité, la nouvelle nomenclature était déjà gagnante. Le deuxième défi était de trouver la meilleure façon de créer une grande famille d’entités dérivées. On parle d’environ 15 d’entre elles, soit : Tournée Xn, Conférence Xn, Clinique Xn, etc. La lettre X a été sectionnée pour faire apparaître une flèche directionnelle vers la droite – symbole de mouvance et d’avenir –, alors que la lettre n s’est intégrée d’emblée dans l’axe principal de cette flèche. Le bleu ayant été retenu, il restait à déterminer une couleur propre à chaque déclinaison. »
L’auteur américain Marty Numeier1 offre la définition suivante : « Une marque, c’est d’abord et avant tout une impression fortement ressentie, voire viscérale, à propos d’un produit, d’un service ou d’une compagnie. » Mais selon Karl-Frédéric, « l’expérience de marque se vit au-delà de ses actifs visuels et on s’assure de bonifier sa présence, en segmentant les communications selon la cohérence du langage visuel, grâce à une tonalité unifiée pour les différents points de contact (ex. : programme de fidélisation, service à la clientèle, culture à l’interne, choix de canaux, etc.). »
Déclinaison visuelle de diverses applications de l’identité de Xn Québec – Source : Yan Marchildon, YMG design
Pour reprendre l’exemple du projet d’Hochelaga-Maisonneuve, M. Anctil explique que son positionnement médiatique inclut un site Web qui présente le quartier à la manière d’une destination touristique et met en valeur les commerces, les événements et les attraits. Une plateforme a également été déployée dans le paysage urbain, grâce à de nouvelles oriflammes, des affiches et divers objets promotionnels, ainsi que dans les médias sociaux. Des icônes illustrent de façon ludique les différentes catégories de commerçants qui sont membres de la SDC. La signature qui accompagne le logo est, quant à elle, modulable en fonction de la nature et des caractéristiques des commerces.
On comprend, à la lumière de ces exemples, l’importance de faire les recherches nécessaires pour s’assurer de l’exclusivité et de la durabilité d’une nouvelle identité. Pour valider tous ces efforts, des démarches d’ordre légal s’imposent.
La pertinence de l’identité
« Il est essentiel pour une entreprise de s’assurer que son identité visuelle est distinctive, souligne Johanne Daniel, avocate et agent de marques de commerce, et qu’il n’y a pas de possibilité de méprise entre celle-ci et une autre dans un même domaine de marché. L’enregistrement d’une marque de commerce au registre de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC)2 protège le caractère exclusif de son emploi dans tout le pays. Il offre aussi une gamme étendue de recours en cas d’usurpation ou de dénigrement de celle-ci par des tiers. Il donne également la possibilité de poursuivre les démarches en vue de réserver divers marchés pour la croissance internationale de l’entreprise. »
Cette démarche s’échelonne sur une période de dix-huit à vingt-quatre mois et comporte les grandes étapes suivantes : le processus s’entame par le dépôt de la demande auprès de l’OPIC. Un rapport d’examen est alors produit, dans lequel le registraire avise le déposant de toute objection à l’enregistrement. Une fois approuvée, la demande est publiée dans le Journal des marques de commerce et toute personne intéressée peut, dans un délai de deux mois, produire une déclaration d’opposition à cette demande. Si aucune opposition n’est déposée, le registraire émet un avis d’admission et le certificat d’enregistrement est émis.
« Il est important de réaliser que l’emploi continu d’une marque sur le marché fait naître des droits, précise Mme Daniel, que celle-ci soit enregistrée ou non, et ce, tant à l’encontre de tiers détenteurs de marques de commerce que de noms commerciaux conflictuels. Il importe donc de s’assurer que personne n’a des droits antérieurs dans la même marque ou une marque similaire, dans le même secteur de marché sur le territoire canadien, avant d’adopter une identité visuelle et d’investir massivement dans son marketing. De là l’importance de procéder à une recherche de disponibilité complète. »
L’OUQ
Un dernier exemple de symbole est celui de l’identité de l’Ordre des urbanistes du Québec3. Sur leur site Web, on peut lire cette information : « Le symbole graphique […] a été créé en 1963, lors de la fondation de l’Ordre. Il a été inspiré par la Charte d’Athènes (1928)4 qui fut la première prise de position écologique. Dès l’origine, il était composé d’un soleil jaune, symbole de la lumière et de la divinité, jumelé à une rose des vents, signifiant la capacité de se situer dans le temps et dans l’espace. »
À ce propos, André Boisvert, urbaniste, précise que « le principal concept de la Charte d’Athènes est sous-jacent au principe d’une ville fonctionnelle, justifiant la création de zones indépendantes pour quatre fonctions, soit : la vie, le travail, les loisirs et le transport. Cette résultante favorisa durant des décennies le zonage exclusif et la montée des banlieues, au profit de l’automobile. Mais aujourd’hui, on tente de ramener l’humain au centre de projets et l’on constate qu’il est essentiel d’arriver à une multifonctionnalité de toutes ces dimensions, appliquée à de petites zones urbaines, offrant une proximité des services. »
Le symbole de l’identité de l’OUQ s’inscrit ainsi dans un contexte historique. Depuis, la pratique a évolué. La signature de l’OUQ exprime certes des valeurs fondamentales, la Charte d’Athènes étant une prise de position écologique. Toutefois, si de grands changements ont contribué à une vision d’un urbanisme adapté aux besoins du 21e siècle, l’identité de l’Ordre devrait peut-être faire l’objet d’une refonte, afin d’illustrer davantage ces nouveaux principes. Cela dit, précise M. Boisvert, « il ne faut pas négliger l’importance de l’urbanisme et de sa contribution à rendre les régions viables et autonomes, tout en mettant en valeur leurs ressources. Le symbole graphique devrait être représentatif de cette démarche ».
La création d’une identité est, on le voit, un scénario complexe qui comporte plusieurs facettes. Il est évident que l’improvisation n’y a pas sa place, et que seul un spécialiste pourra relever le défi de créer une empreinte identitaire durable, reflétant les valeurs propres à sa communauté.
Notes
1 Marty Numeier est l’auteur de plusieurs ouvrages sur le design et la stratégie d’identités, notamment A brand is a person’s gut feeling about a product, service, or company.
2 La protection et le processus d’enregistrement d’une marque prévus par la Loi sur les marques de commerce sont en voie de subir d’importants changements à la suite de la récente réforme législative qui prendra effet à l’été 2019. Parmi ces changements, la durée de la protection conférée par l’enregistrement passera de quinze ans à dix ans, toujours renouvelable à son terme.
3 https://ouq.qc.ca/lordre/lordre-en-bref
4 La Charte d’Athènes, créée à la suite du IVe Congrès international d’architecture moderne (CIAM).