Préserver son identité au sein du « village global »
L’impact du travail du designer sur l’environnement est une question fondamentale et l’on est conscient que certains pays ne respectent pas nécessairement les valeurs équitables et environnementales, au profit d’une production et d’une mise en marché féroce. La mondialisation crée des disproportions et des inégalités, où les plus forts dominent généralement un marché très polarisé.
Si l’enjeu de la traçabilité des produits et le désir d’encourager la production et l’économie locales demeurent une préoccupation collective, comment le designer peut-il minimiser les impacts négatifs en matière d’environnement (emballage, mobilier urbain, énergie circulaire, etc.) ?
Marie-Pierre Gendron
À ce propos, Marie-Pierre Gendron, designer industrielle et présidente de l’Association des designers industriels du Québec (ADIQ), soutient : « On doit développer un marketing qui insiste sur les valeurs qui rejoignent une clientèle locale, déjà sensible au fait que le produit est conçu et fabriqué au Québec. On encourage ainsi le sentiment d’appartenance, tout en aidant l’économie locale, en supportant les valeurs des gens d’ici. L’aspect écologique est aussi un facteur important dans l’achat local ; il est gagnant, lorsqu’on informe bien le consommateur sur les aspects du produit reliés à l’économie circulaire. Lors de la conception de produits, j’inclus toujours des valeurs environnementales dans mes propositions. Par contre, le dernier mot appartient au client ».
Manuel Léveillé
Pour Manuel Léveillé, designer industriel chez Alto Design, « le designer a comme rôle d’éduquer son client ou son équipe sur les impacts reliés au choix de matériaux, de l’assemblage et même du lieu de fabrication de son produit. Maintenir une veille technologique reliée aux nouveaux matériaux, informer ses collègues et clients des alternatives aux procédés et matériaux plus traditionnels sont des méthodes simples, qui nécessitent peu de ressources, mais qui peuvent faire la différence sur le cycle de vie d’un produit ».
Elsa Vincent et Emmanuelle Beaupère
Les mêmes enjeux sont présents dans la pratique en design d’intérieur. Elsa Vincent et Emmanuelle Beaupère sont conceptrices en signalétique et en design d’intérieur chez STGM Communications, une firme d’architectes multidisciplinaire. Elles s’efforcent de faire en sorte que la responsabilité environnementale demeure au cœur de chaque projet qu’elles abordent avec leurs clients ; elles sont aussi sensibilisées à l’application de normes d’accessibilité faisant partie du processus de réflexion.« Bien que les solutions temporaires soient souvent les moins coûteuses à court terme, nous tentons de nous en éloigner, car, à long terme, ces solutions laissent trop souvent leur empreinte sur l’environnement, expliquent-elles. On a qu’à penser à l’utilisation courante des plexiglass transparents durant la COVID. D’entrée de jeu, nous encourageons nos clients à opter pour des mobiliers et des matériaux réfléchis, produits localement avec des talents de la région ».
Diversité, accessibilité et inclusion
Les valeurs dictées par nos sociétés (environnement, diversité culturelle et sexuelle, etc.)évoluent rapidement, catalysées par les médias électroniques et les réseaux sociaux. Ainsi donc, comment arrimer les valeurs d’une entreprise et demeurer inclusifs, tout en conservant l’intégrité de ses individus, ainsi que l’harmonie qui nourrit la créativité de ses coéquipiers ?
Annie Heider
Annie Heider travaille en gestion des ressources humaines chez STGM Communications. Elle soutient que la diversité des points de vue des compétences et la complémentarité des talents distinctifs sont essentielles pour amener les projets, plus loin.
Elsa Vincent et Emmanuelle Beaupère croient que l’on peut répondre à cette réalité en favorisant l’usage de pictogrammes allant au-delà de toutes les langues. « Par exemple, avec VIA Rail, nous avons créé des pictogrammes non genrés pour identifier les toilettes. Aussi, même si les normes d’accessibilité universelle sont parfois contraignantes, c’est avec les contraintes qu’on se dépasse et qu’on se renouvelle ».
Si la pratique professionnelle s’individualise, tout en prenant de l’expansion vers une pluridisciplinarité, grâce aux réseaux sociaux, quelle est la pertinence des associations et comment doivent-elles se positionner, afin de demeurer représentatives auprès de leurs membres ?
Marie-Pierre Gendron tient à préciser : « L’ADIQ tente d’organiser un événement réseautage exclusif au design industriel, afin de solidifier les liens entre ses membres et promouvoir la collaboration entre professionnels ».
Mario Gagnon
Mario Gagnon, conseiller stratégique en design industriel et fondateur d’Alto Design, fut longtemps impliqué au sein des associations professionnelles, dont l’ADIQ. « Étant un défenseur de la collectivité et donc, par définition, des associations, je pense que leur rôle doit être évolutif, mais qu’il restera un point de repère dans le temps, car elles demeureront un reflet de notre collectivité ».
Il va sans dire que ces nouvelles réalités, de plus en plus complexes, affectent le travail des professionnels du design, toutes disciplines confondues. Pour ceux et celles qui sont nés(es) avec les nouvelles technologies et l’Internet, l’adaptation sera peut-être plus facile, mais risque-t-on de perdre des acquis au profit de méthodes qui ont déjà fait leurs preuves ? Comment prépare-t-on, à plus ou moins court terme, la relève à une pratique adaptée à un scénario post-pandémique ? Le prochain volet de cette série d’articles abordera directement cette question.
Note
1 Design Thinkers est le plus important événement du genre au Canada et l’occasion pour environ 3000 participants de rencontrer et d’écouter durant deux jours des conférenciers représentant un large spectre des pratiques en design graphique.