Héberger les personnes âgées dans le village global Cristian Newman

Dans le cadre du séminaire Interfaces 2020, la Chaire Fayolle-Magil Construction de l’Université de Montréal et FORMES ont voulu esquisser des réponses à l’urgente question de l’hébergement des aînés. Pour clore les conférences, l’urbaniste et géographe Serge Filion a pris de la hauteur et s’est placé dans le contexte du village global qu’est la Terre pour proposer une solution urbanistique à l’hébergement des personnes âgées.

Il y a cinquante ans, rappelle Serge Filion, les gens naissaient, grandissaient, vivaient, vieillissaient et mouraient à la ferme. Ils cédaient leur exploitation à l’un de leurs enfants qui poursuivait la gestion de la ferme et de ses parents vieillissants. En ville, les familles nombreuses avaient peu de moyens et vivaient dans des petits logements. « La ville était concentrée sur elle-même. Il n’y avait pas les moyens de s’étaler », observe M. Filion. Après la guerre, cinquante années de croissance ont apporté une certaine prospérité, les citadins ont pris leurs aises et les villes se sont étalées. « La ceinture maraîchère est devenue une ceinture de bungalows et cet étalement débridé met une pression énorme sur l’environnement et les terres agricoles », déplore l’urbaniste. Quant aux personnes âgées, elles ont été envoyées en résidences – qui sont devenues, en 2020, des foyers d’infection de la COVID-19. « La crise sanitaire s’ajoute aux crises économique et environnementale. On a un beau problème devant nous », prévient Serge Filion.

Victor Von Scheffel
« La densification va avec la protection de la nature et des terres agricoles. C’est indispensable pour prendre en compte l’augmentation de la population et assurer une qualité de vie ». — Serge Filion

Sauver les villes pour sauver la planète

Avec bientôt 80 % de la population mondiale en zone urbaine, il est primordial que les villes soient saines et bien gérées et la densification fait partie de la solution. Comparant les agglomérations de Québec et de Paris, il estime qu’il y aurait moyen au Québec de déployer la croissance à l’intérieur des périmètres urbains. « Hong Kong, poursuit-il, est probablement la ville la plus dense au monde et elle est entourée de forêts et d’espaces naturels qui occupent 80 % de la presqu’île. C’est presque l’archétype d’occupation du territoire qui pourrait nous aider à sauver la planète. » Car pour sauver la planète, argue-t-il, il faut sauver les villes, les rendre viables et intéressantes pour que les urbains aiment leur ville et y restent au lieu de s’installer toujours plus loin en périphérie. Et pour sauver les villes à l’échelle planétaire, il faut un plan d’aménagement de la planète, comme il l’écrivait dans un texte paru en mars 2020 – Le Sommet de la Terre à Paris – Pour une paix durable, Magazine FORMES1 –, en remettant au goût du jour la COP21 qui s’était tenue à Paris en décembre 2015.

Ce thème d’un urbanisme planétaire avait aussi été abordé à Québec en 2016 lors du congrès « Accent sur l’urbanisme », organisé conjointement par l’Institut canadien des urbanistes (ICU) et l’Ordre des urbanistes du Québec (OUQ). Consultant pour la firme Skidmore, Owings & Merrill, l’architecte Philip Enquist y avait présenté The Great Lakes Century – a 100-year Vision (FORMES, vol. 12, no 3). Dans cette vision à long terme du développement du bassin des Grands Lacs et du Saint-Laurent, l’urbanisation allie les besoins en logement d’une population en croissance, le déploiement des infrastructures de transport et la protection des terres agricoles et des milieux naturels.

Manny Fortin

Sauver les villes pour économiser de l’argent

C’est en suivant cette vision holistique que le Québec devrait planifier le développement de son territoire. La province a déjà accompli une partie du travail en couvrant le territoire de schémas d’aménagement, comme l’exige la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme. S’ajoutent la Loi sur la qualité de l’environnement, la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles et encore la Loi sur le patrimoine culturel, ce qui fait dire à Serge Filion qu’il y a trop de lois. « Il faudrait les fusionner en une seule loi pour penser ensemble les quatre dimensions de l’eau, l’air, le sol, le bâti », propose-t-il. C’est, selon lui, la solution pour maîtriser l’occupation du territoire, contrôler l’étalement urbain et réduire la taille des infrastructures. « Plus on s’étale et plus il faut étaler les réseaux de transport et de communication qui coûtent cher à construire et qui sont ensuite un puits sans fond à entretenir », rappelle-t-il.

Rendre aux personnes âgées

C’est là que l’urbaniste reboucle sa conférence sur l’hébergement des personnes âgées, car les millions de dollars économisés pourront être investis dans les transports collectifs, l’aménagement d’espaces piétonniers, les parcs, le cadre bâti pour améliorer la qualité de vie de tous les citadins, sans oublier les personnes âgées. Par exemple, des aménagements sécuritaires et adaptés aideraient les personnes âgées à s’approprier leur quartier comme le proposait Rana Boubaker, candidate au doctorat en aménagement à l’Université de Montréal.

Samuel Charron

Plus généralement, la démarche Municipalités amies des aînés (MADA) pourrait être étendue et devenir la norme. Ces millions de dollars économisés pourraient aussi renflouer les services de santé pour concevoir des CHSLD à échelle humaine en suivant les principes énoncés par l’architecte Siamak Barin (BARIN architecture + design) ; ou encore augmenter le budget d’aide et de soins aux personnes âgées pour leur permettre de rester chez elles, comme le suggérait Philippe Poirier-Monette, conseiller en droits collectifs à la Fédération de l’âge d’or du Québec (FADOQ).

Plusieurs conférenciers ont évoqué le manque de ressources financières pour améliorer la qualité des services aux aîné(e)s ainsi que la non-rentabilité des résidences de petite taille face à la logique du marché. Avec audace, la vision holistique de Serge Filion offre une piste de solution à une crise multiple. 

Note
1 Magazine FORMES, vol. 12, no1, 2016

 


Articles récents

Renaturaliser les surfaces asphaltées, ça paye !

Renaturaliser les surfaces asphaltées, ça paye !

Le Centre d’écologie urbaine a lancé un tout nouveau projet pilote de déminéralisation sur le domaine privé situé sur le territoire de la Ville de Montréal.


Lire la suite
Ouvrir les possibles possibles – Une occasion de discussion aux Jardins de Métis

Ouvrir les possibles possibles – Une occasion de discussion aux Jardins de Métis

Le Festival international de jardins de Métis n’a rien perdu de son audace. Pour plonger dans l’univers fascinant de la 25e édition du Festival, FORMES vous propose un texte de Diane Laberge.


Lire la suite
Technopôle Angus – Vingt-cinq ans de ténacité et d’innovation

Technopôle Angus – Vingt-cinq ans de ténacité et d’innovation

Comment les millions de pieds carrés d’Angus ont-ils pu échapper à la logique d’un capitalisme effréné ? Grâce à des gens soucieux de leur communauté, qui ont su réinventer la ville avec créativité.


Lire la suite
Magazine FORMES
6 numéros pour seulement 29,95 $

Restez informé avec
notre infolettre

M’inscrire...
Merci pour votre inscription, vous devez maintenant confirmer votre abonnement par courriel. Consultez votre boîte de réception.

Vous n’avez pas de compte ?

Créer un compte