La ville durable passe par la résilience de ses systèmes essentiels Maxime Caron

Quand on parle de développement durable d’une ville, on parle de transport en commun, de recyclage, de biodiversité urbaine, de bâtiment vert… et on oublie de regarder la résilience des systèmes essentiels. Ces systèmes, ce sont les réseaux de transport, d’aqueduc, d’électricité, de télécommunications… qui sont essentiels au bon fonctionnement de la santé, de l’alimentation, de l’industrie et même des gouvernements, eux-mêmes essentiels au fonctionnement général de la société.

Non seulement on retrouve dans ces systèmes les trois volets du développement durable (environnemental, social et économique), mais aussi la moindre perturbation de l’un de ces réseaux entraîne un dysfonctionnement du milieu urbain. Comment alors parler de ville durable sans s’assurer de la résilience de ces systèmes ? Comme le dit Benoît Robert, professeur titulaire à Polytechnique Montréal et directeur du Centre risque & performance, on parle de développement durable sans appréhender d’éventuelles perturbations de ces systèmes et sans vérifier si les services seront maintenus malgré ces perturbations.

Accepter la défaillance pour planifier la résilience

La ville étant un système de systèmes, il convient de procéder par étapes et d’évaluer la résilience de chacun de ces systèmes avant de vérifier la résilience de l’ensemble. Benoît Robert propose une analyse selon trois indicateurs interreliés. Le premier est l’acceptation, c’est-à-dire accepter qu’un système ne soit pas infaillible et que des perturbations puissent survenir ; une acceptation difficile pour un ingénieur formé à concevoir des systèmes infaillibles. « On ne forme pas les ingénieurs avec cette vision-là, observe Benoît Robert. Oui, il va y avoir des défaillances et non, ce n’est pas obligatoirement la faute de l’ingénieur. Et cette acceptation est le point de départ parce que, dès qu’on prend conscience qu’il va y avoir des perturbations, on va planifier des mesures de protection. » Le deuxième indicateur provient des conséquences de la perturbation du système. Il s’agit d’évaluer la gravité de la perturbation et, par la suite, d’identifier un seuil de perturbation acceptable. À partir du moment où on connaît ce dernier, il devient possible de planifier et de prioriser des mesures de protection, ce qui constitue le troisième indicateur : la planification.

Tony Stoddard
 
« On crée une vulnérabilité. On parle de ville intelligente, mais personne ne regarde ce qui se passe en cas de panne des réseaux de télécommunications ».
 Benoit Robert

 

Des systèmes interdépendants

Pris indépendamment, chacun des réseaux essentiels fait l’exercice de planifier sa propre résilience pour limiter l’interruption de ses services. Le problème est que les systèmes sont interdépendants et que, par un effet domino, la défaillance de l’un peut entraîner la défaillance d’un autre. Par exemple, la panne du réseau électrique peut affecter l’usine de production d’eau potable qui, à son tour, ne pourra plus approvisionner en eau potable les hôpitaux, les industries… qui, eux, ne pourront plus fournir les services de santé ou poursuivre leur production. Chacun aura éventuellement un plan d’urgence pour s’approvisionner en eau. « Les organisations vont avoir planifié de faire venir de l’eau embouteillée pour les employés. Mais quand on met toutes les organisations ensemble, ça ne marche pas parce qu’il n’y aura jamais assez d’eau embouteillée pour tout le monde », dépeint Benoît Robert. C’est un peu ce qui est arrivé lors de la crise du verglas de 1998, où tout le monde comptait sur des génératrices pour pallier la panne d’électricité et que le diesel a fini par manquer pour alimenter toutes ces génératrices.

La résilience de chacun des systèmes ne suffit pas à garantir la résilience l’ensemble des systèmes et de leurs interactions. Il faut reprendre la trilogie acceptation, conséquences, planification et l’appliquer à l’ensemble des systèmes en considérant leur interdépendance. « Il y a beaucoup d’analyses des risques, mais il faut faire une analyse de tout ce qui se fait entre les différentes organisations. On ne regarde pas l’interconnexion entre les réseaux et on ne se parle pas », regrette Benoît Robert. Selon lui, il y a un manque de collaboration et de transfert d’information entre les systèmes essentiels.

Dans les années 2000, le Centre risque & performance a fait l’expérience de réunir des représentants d’Hydro-Québec, de Bell Canada, de Gaz Métro, du ministère des Transports du Québec, de l’ancienne Agence métropolitaine de transport, de la Ville de Montréal et de la Ville de Québec. L’objectif, explique Benoît Robert, était de comprendre les interdépendances entre ces réseaux et d’amener chaque réseau à penser sa résilience en fonction des autres. « Quelle ressource utilisez-vous ? Et si elle est manquante, au bout de combien de temps vous ne serez plus capable de fournir votre service ? » illustre-t-il. Le défi est ensuite de maintenir cet espace de collaboration pour planifier la résilience des systèmes interconnectés.

Développement durable de la ville intelligente

Envisager la ville durable sous l’angle de la résilience des systèmes essentiels est complexe, mais la difficulté monte d’un cran si on l’intègre à l’aménagement de la ville ou du territoire. « Est-ce que les décisions urbanistiques peuvent avoir des conséquences sur les systèmes essentiels et leur rétablissement en cas de défaillance ? » s’interroge Benoît Robert. Le territoire n’est en effet pas sans incidence sur la vulnérabilité des infrastructures. Par exemple, que vaut la résilience d’un système essentiel bâti dans un îlot de chaleur ou une zone inondable ? Benoît Robert transporte la réflexion au niveau des quartiers qui se développent selon le principe TOD (Transit-oriented development). Le système de transport en commun en est une épine dorsale et, par là même, une vulnérabilité. « Quand on planifie la construction d’un TOD, est-ce qu’on regarde les dépendances et les vulnérabilités des systèmes ? Est-ce qu’on regarde les conséquences si un système devient défaillant ? Est-ce qu’on intègre une planification pour résoudre une perturbation  ? » questionne-t-il en rafale.

Mais ce qui le préoccupe encore plus, c’est la ville intelligente qui repose sur les technologies numériques et de l’information (TIC). Les systèmes essentiels  deviennent alors tributaires des réseaux et des technologies de télé communications, qui deviennent alors particulièrement essentiels. « On crée une vulnérabilité. On parle de ville intelligente, mais personne ne regarde ce qui  se passe en cas de panne des réseaux de télécommunications », constate Benoît Robert. Il y a là une réflexion à amorcer, estime-t-il, pour considérer une possible défaillance des TIC et, a fortiori, ses conséquences, ce qui ramène au premier indicateur de la résilience : accepter la défaillance des TIC. Car, la ville intelligente ne sera pas durable sans planifier la résilience des réseaux de télécommunications en interaction avec les autres systèmes essentiels.


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