Planète globale – Écoquartier Sébastien Roy

Parmi la variété d’initiatives locales tournées vers un développement durable figure celle de l’écoquartier. Thème que nous avons choisi de camper dans le paysage historique de l’aménagement du territoire.

Parmi la variété d’initiatives locales tournées vers un développement durable figure celle de l’écoquartier. Thème abordé dans ce dossier, nous avons choisi de le camper dans le paysage historique de l’aménagement du territoire. Cette mise en abyme montre que les problématiques environnementales actuelles sont le fait d’une époque où nos sociétés en voie de globalisation ont produit, au nom du progrès, des modèles urbains désastreux dont les effets sur le tissu urbain ont été dévastateurs. Des modèles où la rationalisation de l’espace et des fonctions confine l’homme dans un habitat refermé sur lui-même et uniforme, qui dicte presque les manières d’être et de faire, alors que ce qui fait la richesse et l’urbanité d’une société, c’est bien au contraire le fait de s’ouvrir au monde.

« Les problèmes du climat nous dépassent et pourtant nous en sommes les responsables. Ce que nous avons fait, nous ne savons pas le défaire. C’est mystérieux et troublant à la fois. » 

Michel Serres

Aujourd’hui encore, nous payons le prix de ces développements urbains reproduits à grande échelle, selon un quadrillage préétabli… toujours le même. L’entretien que nous a accordé l’urbaniste émérite André Boisvert sert d’amorce au dossier. Sa vision d’un aménagement qui tient compte des connaissances actuelles universelles tout autant que de l’imaginaire et de l’inconscient d’une collectivité permet d’appréhender le chemin qu’il nous reste à parcourir. La trajectoire est semée d’embûches. Des positionnements politiques, des cadres économiques qui devraient pourtant constituer des leviers indispensables restreignent, jusqu’à les étouffer, des projets qui semblaient autrement prometteurs. Le défi du développement urbain durable demeure entier. « Le temps n’est plus à la rhétorique, nous dit André Boisvert, mais à des actions concrètes et concertées. »

André Boisvert attribue son intérêt pour l’aménagement et l’urbanisme à cette période effervescente des grands chantiers du Québec des années 1960 : les grands barrages hydroélectriques, le métro de Montréal, l’Expo 67, la naissance de l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal... « Le Québec, explique-t-il, a connu une transition marquante dans sa relation avec le territoire à partir des années 1950, au cours de laquelle la prédominance rurale a progressivement cédé le pas à de nouvelles activités. C’est l’époque où la province est entrée progressivement dans un processus d’industrialisation, d’urbanisation et de modernisation. »

Diplômé en géographie à l’Université Laval et en urbanisme à l’Université de Montréal, ses premières années de pratique l’amènent à observer l’absence d’harmonie entre l’émergence de nouveaux paysages et « les principes les plus élémentaires de l’aménagement et de l’urbanisme : dispersion d’habitats à faible densité, longues enfilades bigarrées d’établissements commerciaux accessibles uniquement en voiture, gaspillage de bonnes terres agricoles et de milieux sensibles1. » Ce triste constat nourrit son intérêt pour les stratégies montréalaises de gestion de l’urbanisation.

Tout au long de sa vie professionnelle, André Boisvert a été animé par le désir de « mieux comprendre les causes de la troublante inaptitude de la région montréalaise à se donner une vision spatiale durable […]  Quel […] triste spectacle [que] la région métropolitaine de Montréal où on n’a pas cessé depuis l’après-guerre de dilapider notre maigre patrimoine de sols arables dans un étalement urbain tous azimuts ! Nous avons déployé des centaines de kilomètres d’asphalte, pour construire (et entretenir) ponts et viaducs, afin de permettre les déplacements pendulaires de […] notre parc automobile en croissance ! Dans une approche privilégiant le court terme et les intérêts locaux, les élus des anciennes municipalités rurales des couronnes ont vu dans ce qu’ils appellent le “développement” de leur territoire, un pactole irrésistible et un soi-disant droit qu’ils s’entendent entre eux à revendiquer sans autres considérations2. » 

Ses interrogations le poussent à regarder ce qui se fait ailleurs, en particulier du côté des Pays-Bas, ce tout petit pays parmi les plus densément peuplés de la planète, dont le modèle d’évolution spatiale a été solidement planifié sur un horizon de vingt à trente ans. La stratégie porte un nom : « Anneau de villes autour d’un cœur vert » ; elle consiste en un schéma de développement à portée consensuelle, soutenu par un vaste réseau d’acteurs multidisciplinaires et talentueux. André Boisvert consacre plusieurs années à comparer les pratiques d’aménagement du territoire en Hollande et au Québec. Cette étude deviendra d’ailleurs l’objet principal de la thèse de doctorat qu’il a soutenue en 2010 à l’Université Radboud, à Nimègue aux Pays-Bas. « C’est éblouissant de voir ce qui se fait à l’étranger. On concentre l’urbain pour préserver les bonnes terres agricoles, l’environnement. L’aménagement du territoire émerge d’une intention soigneusement planifiée, multifonctionnelle, où la sensibilisation de tous à un aménagement de qualité est la clé fondamentale. Ici rien n’est laissé au hasard de la spéculation foncière. »

André Boisvert explique que, malgré la volonté et les efforts consentis en matière d’aménagement au Québec depuis les années 1950, l’urbanisation s’est faite sans aucune vision. « Lorsque les nombreuses municipalités de la région métropolitaine rêvent tour à tour de devenir une grande ville, qu’elles accueillent les promoteurs sans la moindre planification d’ensemble, ça finit par poser problème. Pendant qu’on laisse vieillir les écoles de Montréal, on en construit des neuves en banlieue, on ajoute des ponts et des autoroutes… »

Dans son livre, l’urbaniste laisse parler les figures de proue du Québec urbain. Les Jean-Claude La Haye, fondateur de l’ordre des urbanistes ; Benoit Bégin, directeur-fondateur de l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal ; Blanche Lemco van Ginkel, professeure pionnière de l’Institut d’urbanisme de l’Université de Montréal et doyenne de la Faculté d’architecture et d’architecture de paysage de l’Université de Toronto, figurent parmi 25 personnalités dont il a recueilli le témoignage –  autant d’hommes et de femmes associés aux grands dossiers de la seconde moitié du XXe siècle et dont la contribution fut déterminante pour l’évolution des pratiques, du cadre juridique et institutionnel, des finalités et des moyens associés à l’aménagement du territoire québécois. Ces acteurs ont tracé la voie, initiant entre autres les municipalités à l’urbanisme, les incitant à se donner des outils de gestion, des plans directeurs –  et même, dans certains cas, à se doter d’un service d’urbanisme.

La pertinence des témoignages recensés se révèle dans la profusion d’idées nouvelles qui ont foisonné au cours du dernier demi-siècle. « La volonté démocratique de coordonner l’expansion des villes, d’avoir une urbanisation mieux articulée et mieux ordonnée, centrée sur le bien collectif était là. Par exemple, Montréal Horizon 2000 fut la première véritable démarche de planification du développement de l’agglomération métropolitaine. Une stratégie fort prometteuse qui n’aura eu dans les faits aucune suite et peu d’effet d’entraînement. Il faudra attendre jusqu’en 2012 afin que Montréal dispose d’un premier schéma métropolitain d’aménagement et de développement. »

L’ouvrage d’André Boisvert met en lumière la relation que nous entretenons avec le territoire depuis plus d’un demi-siècle. « Cette construction sociale […] a produit des résultats remarquables en matière de législation, d’éducation et d’organisation professionnelle. Beaucoup reste cependant à accomplir, tant pour atténuer les dysfonctionnalités issues d’une urbanisation mal maîtrisée, que pour affronter les nombreux défis que les prochaines décennies nous réservent3. » 

L’auteur parle de « dissonance cognitive » entre ce qui s’observe sur le terrain et ce que devrait être à ses yeux un projet d’aménagement durable digne des règles urbanistiques les plus élémentaires. Il souligne que l’aspect culturel est aussi une donnée encore trop souvent ignorée. « On aura beau chercher les plus beaux modèles, il faut partir de la culture ambiante..., comprendre que chez nous, comme ailleurs, les municipalités entretiennent entre elles une forme de concurrence, ou encore qu’une grande majorité de citoyens privilégie la voiture et ses déplacements pendulaires au transport collectif. »

Pour ses actions futures, le Québec devrait s’inspirer de l’American Planning Association. Ce regroupement de gens intéressés par l’aménagement –  qui comprend une section professionnelle – a pour mission de favoriser la circulation d’idées, l’échange d’information et d’expertise dans le domaine de la planification urbaine et régionale. L’association sert d’observatoire aux développements qui ont cours à l’échelle du pays. Elle jouit d’une reconnaissance internationale grâce à ses publications, à ses conférences annuelles et aux programmes de formation offerts notamment aux membres des commissions d’urbanisme locales. Une telle formule, si elle était envisagée au Québec, favoriserait un meilleur arrimage des expertises en matière d’aménagement, tout en évitant le travail en « silo ».

L’ouvrage d’André Boisvert a l’étoffe d’un legs pour les passionnés d’urbanisme. Après y avoir consacré quatre ans, l’auteur nourrit d’autres projets, dont celui de publier un livre sur les collectivités nouvelles, celles du Québec méridional et celles du nord, les « Oujé-Bougoumou, Fermont, Chisasibi…, ces villes derrière lesquelles se profile une histoire qui mérite d’être racontée. »

Le Technopôle Angus : un modèle d’écoquartier à découvrir
Un autre segment du dossier raconte l’histoire d’un quartier qui se prend en main depuis vingt ans et qui ne vise rien de moins que de devenir, au cours de la prochaine décennie, un modèle de développement urbain durable exemplaire et reproductible. L’urbanisme mis de l’avant par ses promoteurs a la particularité de s’intéresser non seulement aux technologies vertes ou aux retours sur investissement, mais aussi et surtout à la solidarité sociale et à la qualité de vie de la communauté. 


Le marché Angus

C’est là un fait rare en matière de développement durable, le pôle social étant souvent une dimension négligée ou même ignorée. En redonnant place à la notion de multifonctionnalité, en inaugurant des rapports unificateurs avec l’environnement, la Société de développement Angus enrichit l’expérience urbaine des occupants et invente de nouvelles appartenances. Dans le contexte de l’évolution de l’environnement planétaire, sa contribution à un développement collectif viable a de quoi inspirer.

Il me vient en tête une image empruntée au philosophe Michel Serres. Celle d’un bateau où les marins ne s’entredéchirent pas, parce qu’en mer tout déchirement entraîne la destruction du navire sans possibilité de recours4. L’écoquartier Angus est cette façon d’habiter ensemble. De faire du territoire son bateau. Et de cultiver tout autant à l’égard de la planète globale une éthique transformatrice et durable. Cette manière unique de créer un sentiment d’appartenance à une communauté citoyenne du monde, c’est un moyen de faire tourner le vent.

 

1 BOISVERT, André. Aménagement et urbanisme au Québec | D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? | Témoignages de pionniers et pionnières de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme depuis la Révolution tranquille, Les Éditions GID, Québec, 2014, page 23 de 723.
2 Ibid., pages 24-25.
3 Ibid., quatrième de couverture.
4 Michel Serres illustre ainsi ce qu’il entend par « contrat naturel » dans l’ouvrage du même nom paru en 1992.

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