Patrimoine architectural et élus municipaux ? Mario Dufour - Le Devoir

« Éradiquer d’emblée de la mémoire des Septiliens leur hôtel de ville qui fait partie de leur paysage depuis plus de soixante ans me semble extrême, surtout qu’il s’agit à plusieurs égards d’un manque de communication et d’explication des enjeux. » Le propos de Pierre Baillargeon.

Sept-Îles, l'histoire d'un hôtel de ville

Par Pierre Baillargeon

Pierre Baillargeon, ex-architecte, a travaillé pour l’atelier d’architecture Arcop (maintenant Architecture 49) pendant un quart de siècle. Ce bureau a participé en 1959 à la conception et la construction de l’hôtel de ville de Sept-Îles.

Au cours des dernières semaines, en parcourant de nombreux articles concernant la possible destruction de ce bâtiment, je me suis dit qu’il existe actuellement dans la Belle Province une tendance lourde de la part des municipalités à détruire ses édifices à teneur commerciale, résidentielle, civique, religieuse, et cela envers et contre tous. En y regardant de plus près, j’ai remarqué qu’à chaque occasion, on assiste à une confrontation entre les tenants pour la démolition et les tenants contre la démolition, dans le but, bien sûr, d’assurer un avenir sans souci aux résidents de leurs municipalités.

J’ai décidé d’écrire ce texte pour tenter humblement d’infléchir la décision du conseil municipal de procéder à la destruction des trois pavillons, de la place civique, du mobilier urbain ainsi que des aires paysagées. Je crois qu’il existe un habile compromis qui pourrait satisfaire les Septiliens et les élus municipaux.

L’hôtel de ville de Sept-Îles en 1967. On distingue au travers le mur-rideau le volume de la salle du conseil ainsi que l'estrade aujourd’hui détruite. Photo : Armour Landry, Bibliothèque et archives nationales du Québec.

Tiens une autre démolition

Le maire de Sept-Îles, Réjean Porlier, se retrouve dans la même tourmente que ses pairs qui dirigent les destinées des villes de Mascouche, Pointe-Claire, Beauceville, Chambly, Saint-Lambert, La Malbaie, et qui doivent piloter des projets de demandes de démolition d’ensembles construits dans leur municipalité.

On parle souvent de démolition, mais il se présente des solutions de rechange comme la modification, la transformation, la reconversion et la conservation partielle d’un bâtiment ou d’un ensemble de bâtiments. Il existe actuellement une marge de manœuvre et une grande flexibilité entre les budgets de construction dépendamment des choix pertinents et consensuels qui sont envisagés par l’administration municipale en poste.

Il est clair qu’il n’y a pas eu de véritables débats autour du sort de l’actuel hôtel de ville et la pandémie planétaire que nous subissons n’a pas aidé à ce qu’il y en ait. Les positions des différents interlocuteurs se sont polarisées avec comme conséquence l’absence de tout dialogue qui aurait permis au conseil et aux différents groupes et individus soucieux de l’avenir de l’hôtel de ville de saisir les préoccupations et les différents points de vue.

Éradiquer d’emblée de la mémoire des Septiliens leur hôtel de ville qui fait partie de leur paysage depuis plus de soixante ans me semble extrême, surtout qu’il s’agit à plusieurs égards d’un manque de communication et d’explication des enjeux. D’un côté, des spécialistes nous expliquent les vertus de l’édifice actuel, de l’autre, le premier magistrat a des intérêts conflictuels avec les spécialistes. Les deux visions s’affrontent sans établir de véritables pistes de solution autres que la démolition. Je me permets humblement d’apporter mon point de vue en décrivant la situation actuelle et en projetant sa possible rédemption.

Un enjeu qui n’est pas technique ni financier, mais civique

Dans le cas présent, l’enjeu n’est pas technique ni financier, il est civique. Un stationnement ne constitue pas un lieu festif aux abords duquel on aime se retrouver pour discuter avec ses amis et échanger. Un hôtel de ville, oui. Détruire un hôtel de ville pour agrandir un stationnement n’est vraiment pas, comment dire, un choix judicieux. Il faut se donner le temps de réfléchir encore un peu et mettre de côté ses préjugés en acceptant comme prémisse de départ que personne ne possède la vérité et que les décisions qui seront prises devront l’être uniquement pour le bien-être des résidents actuels et futurs qui vivent et vivront à Sept-Îles comme l’a très bien souligné le maire Réjean Porlier.

Vue aérienne (circa 1965), au premier plan les trois volumes de l’hôtel de ville.

Un peu d’histoire et de mise en contexte

Contrairement à des centaines de municipalités de notre province, Sept-Îles possède une histoire et une « mission » remarquables. Bien campé sur le littoral de la Côte-Nord, ce chef-lieu représente le témoin chouchou du « Québec sait faire », c’est-à-dire du modernisme triomphant qui a déferlé sur le Québec des années soixante. Pour les septuagénaires, il s’agit de l’époque des grands barrages, de la création du ministère de l’Éducation, de la tenue d’Expo 67, de l’ouverture du Québec vers la planète autrement que par la chanson. Une période de modernité qui a façonné la jeune Ville de Sept-Îles à vitesse grand V pour recevoir les installations permettant entre autres l’exploitation minière. Il fallait faire vite et le mouvement moderne était la réponse tout indiquée.

L’architecture moderne, magnifique ou laide

Le maire de Sept-Îles a raison lorsqu’il constate et je le cite que « bien peu de ses concitoyens s’arrêtent pour contempler l’hôtel de Ville », ou encore que « beaucoup de gens, chez nous, nous disent que l’Hôtel de ville à fait dure. Pis à fait pas juste dur parce qu’elle n’a pas été rénovée ».

Le mouvement architectural auquel appartient l’actuel hôtel de ville ne se préoccupe pas trop des sentiments d’extase qu’il soulève. En effet, le vocabulaire architectural propre à l’architecture classique, néo-classique ou romantique que sont couronnement, entablement, colonnades, pilastres, chapiteaux, trumeaux, corniches, ce vocabulaire, eh bien, il s’avère totalement inexistant dans l’architecture moderne.

L’hôtel de ville par contre est imposant, résolu, fier, aux traits épurés, lisse, il est lumineux de jour comme de nuit, recouvert de parements de verre généreux dialoguant avec le métal et l’aluminium. Normal que les visiteurs et les résidents ne le complimentent pas et ne s’extasient pas en le côtoyant.

L’hôtel de ville n’est pas charmant, il est vivant, en mouvement vers l’avenir comme le Québec de cette époque qui construisait partout de façon frénétique des écoles, des polyvalentes, des caisses populaires en rejetant aussi loin que possible les contenus historiques. Pendant cette période, le mouvement moderne (1920-1980) agissait comme un rouleau compresseur qui prenait sa place planétairement.

Sept-Îles est une ville moderne et l’hôtel de ville est moderne, et s’en séparer, ce serait perdre son sentiment d’appartenance, son ADN. Il faut l’aider à conserver sa place dans l’histoire de la ville. Il pourrait d’ailleurs jouer un autre rôle.

Rôle et présence de l’hôtel de ville

Dans une ville comme sur une scène de théâtre, plusieurs comédiens se côtoient et nous font vivre des émotions. À Sept-Îles, le jour comme le soir, les comédiens, ce sont les citoyens et leurs élus.

Nous parlons d’un lieu dont l’architecture intérieure permet aux citoyens d’assister aux délibérations de leurs élus, de recevoir des prix et des distinctions, d’assister à des évènements protocolaires municipaux, gouvernementaux, internationaux ainsi qu’à des présentations de récompenses sportives, d’être les témoins des prises de décision pour combattre des désastres naturels, les pandémies, etc. Après leurs propres résidences, il n’y a pas de bâtiment jouant un rôle aussi vital dans la vie des citoyens que leur hôtel de ville.

Alors franchement démolir ce bâtiment pour agrandir un stationnement serait extrêmement malheureux. Transformons le bâtiment, mais conservons à tout prix ce témoin de l’histoire de la ville.

Le quartier de l’hôtel de ville

Un hôtel de ville ne vit pas en vase clos. Le schéma d’urbanisme séculaire qui a façonné la très grande majorité des 1800 municipalités de notre province comprend en plus de l’hôtel de ville : les lieux de culte, le presbytère, le collège, les résidences pour personnes âgées, l’hôpital, les commerces de proximité, le cimetière.

Aujourd’hui, en 2021, dans le quadrilatère défini par les rues Régnault, l’avenue Gamache, la rue Père Divet et l’avenue DeQuen se retrouvent : l’hôtel de ville, le Centre de Santé et de Services sociaux, l’école Gamache, le CHSLD de Sept-Îles, le Parc des Aînés. Nulle part ailleurs qu’à Sept-Îles on ne retrouve une si grande concentration de bâtiments offrant autant de services à ses résidents. Le nouvel emplacement prévu sur le boulevard Laure, derrière le centre sociorécréatif, est pour le moment moins attrayant pour la venue du nouvel hôtel de ville souhaité par l’administration du maire Réjean Porlier.

Des expertises et des articles au contenu pédagogique

De nombreux articles ont été publiés au cours des derniers mois. Notamment dans Le Soleil, Le Devoir et Ma Côte-Nord. Parallèlement à ces écrits, des citoyens amoureux de leur ville ont participé au débat historique. Également une sommité canadienne qualifiée par le maire « de gens de la grande ville », il s’agit de madame Phyllis Lambert, a pris position en mettant en garde l’administration municipale et je la cite que « Détruire l’hôtel de ville pour y faire un stationnement est un outrage social et urbain ». Rien de moins. Bien sûr, elle a raison comme le maire a aussi raison de vouloir s’assurer que sa municipalité puisse dans les prochaines décennies disposer d’un nouvel hôtel de ville avec « un meilleur positionnement, une meilleure visibilité, une meilleure valeur ». Le maire aime sa ville. Ses préoccupations vont bien au-delà de son mandat actuel. Il envisage l’avenir et vise la pérennité pour cet important édifice dans le quotidien des Septiliens.

Une expertise rigoureuse et excessivement étoffée réalisée par Patri-Arch en mai 2020 décrit les trois pavillons construits en 1959-60, leur état actuel, les modifications intérieures et extérieures qui ont été apportés aux installations d’origine ainsi que les démolitions partielles qui ont été exécutées. Le rapport décrit l’enjeu important que représente pour les Septiliens la démolition ou la non-démolition de leur hôtel de ville qui est présent depuis plus de 60 ans.

Place au consensus, au dialogue et aux solutions

En parcourant les recommandations de l’étude patrimoniale de Patri-Arch, on doit particulièrement porter attention au scénario no 4, celui qui prévoit la démolition des deux volumes secondaires et la conservation uniquement du volume principal.

Cela tombe bien parce que les attributs architecturaux inhérents aux constructions s’apparentant au mouvement moderne du volume principal demeurent plus de 60 ans après leurs constructions toujours remarquables et surtout toujours présentes.

La grande portée structurale entre les colonnes facilite la potentielle venue d’un nouvel utilisateur et facilite grandement le réaménagement en plan de l’actuel hôtel de ville. La hauteur libre sous plafond est plus que généreuse et la construction de mezzanines partielles est le cas échéant tout à fait envisageable. La profondeur des poutrelles métalliques sur lesquelles est déposée la toiture est appréciable et permet l’installation des systèmes mécaniques (conduits, gicleurs, drainage pluvial, ventilateurs, etc.) ainsi que des conduits électriques et d’alarme sécurité. Les travaux pour retirer l’amiante ne sont pas requis si on encloisonne ce matériau et surtout si on évite de le toucher.

On peut envisager comme nouvel usage des fonctions administratives pour l’agrandissement du centre hospitalier, des espaces de rencontre, d’animation et d’exposition pour les citoyens et les groupes communautaires, une maison de la culture pour les jeunes adultes, etc. Si Sept-Îles désire être attractive pour sa jeunesse, elle dispose déjà du bâtiment pour y parvenir.

La durée de l’enveloppe extérieure d’une construction autre que résidentielle ou industrielle est d’un demi-siècle. Est-ce à dire que l’on doit démolir un bâtiment après 50 années d’existence ? Non, évidemment. Il faut l’entretenir et le cas échéant le réparer. C’est la responsabilité de toute municipalité d’entretenir ses infrastructures civiles, religieuses, académiques, récréatives et immobilières.

Le projet pour la construction du nouvel hôtel de ville et en tandem celui pour la transformation de l’actuel hôtel de ville doivent être pour la Ville de Sept-Îles un moment rassembleur, particulièrement en ces mois à venir qui demeureront anxiogènes. Ce projet en réalité est une opportunité à saisir pour la santé mentale de tous les Septiliens et je crois que vous serez tous d’accord, résidents de Sept-Îles.

Bonne réflexion.


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