Un patrimoine qui inspire un futur différent Louis Lapointe

Alors que les voyages à l’étranger ont été problématiques depuis le début de cette triste pandémie, notre héritage religieux constitue un potentiel touristique intéressant qui n’a pas encore été pleinement développé.

Malgré certaines initiatives, telles que les Journées du Patrimoine religieux, un événement de portes ouvertes à l’échelle de la province qui a lieu en septembre, il reste encore beaucoup à faire pour mettre pleinement en valeur ces véritables archives matérielles du Québec. On peut toutefois observer aujourd’hui un certain malaise en ce qui a trait à ce patrimoine qui se manifeste souvent par la difficulté de le dissocier de son potentiel touristique et culturel.

Outre la négligence, la pollution, les actes de vandalisme, les ravages du temps et les excès connus durant les années soixante avec Vatican II, plusieurs facteurs ont aussi contribué à l’appauvrissement de cet héritage. Serge Filion, urbaniste et géographe, précise que : « Puisque la pratique religieuse a presque disparu, seulement environ 5 % de financement des lieux de culte provient des fidèles. On perd environ 50 à 60 édifices patrimoniaux et religieux chaque année. Le seul désespoir est véritablement de ne rien faire, mais il y a des mouvements d’action qui contrebalancent cette inertie. »

Keven Blondin, architecte, précise à cet effet que : « Le gouvernement possède une enveloppe annuelle d’environ 20 millions de dollars, mais il doit faire face à des demandes qui frôlent davantage les 50 millions. En tant qu’organisme à but non lucratif, le Conseil du patrimoine religieux tente de répondre aux demandes dans la province en général, mais un bâtiment qui peut être significatif pour une communauté ne rencontre pas nécessairement la cote offrant les avantages historiques ou architectoniques d’autres bâtiments. La réalité et la complexité de l’ensemble des programmes gouvernementaux deviennent souvent un casse-tête et un travail de longue haleine qui reste lourd pour les bénévoles. » Dans cette perspective, deux types de désignations existent à l’heure actuelle. La première, de nature strictement religieuse, se manifeste par une croix de consécration qui indique que le lieu doit uniquement servir au culte, alors que l’autre type, de désignation gouvernementale, vise à protéger certains édifices sur la base de leur valeur patrimoniale.

Détails des fresques, église Sainte-Cunégonde (Montréal). – Photo : Louis Lapointe

Si les églises catholiques servaient jadis de point d’ancrage, la situation des églises protestantes et des synagogues reste bien particulière. Selon Clarence Epstein, expert en patrimoine culturel, il affirme que la majorité des lieux de culte protestant implantés chez nous s’inscrivent sous la bannière des traditions dites non conformistes et pour qui le message, et non les édifices en tant que tels, demeure le véhicule privilégié de la tradition. Il ajoute que : « Ces églises non conformistes n’ont pas hésité à se relocaliser - suivant ainsi les courants migratoires vers les banlieues. On constate un phénomène assez analogue dans le cas des communautés juives qui, elles aussi, eurent comme priorité l’accessibilité des lieux et non l’attachement à un édifice en particulier. » 

Un changement de perception… 

Ironiquement, la pandémie a amené une prise de conscience de certaines valeurs qui favorise un mode de vie plus simple, autosuffisant et durable. On a observé une tendance au retour vers les régions, ou même le démarrage d’une entreprise basée sur une production artisanale. Au lieu de jeter et d’acheter du nouveau, on met à l’œuvre une certaine créativité et une débrouillardise en recyclant meubles, outils et matériaux, dans le but de réaffecter certains espaces à moindre coût. Dans cet ordre d’idées, Serge Filion précise qu’il faut appliquer une formule à la fois visionnaire et durable face au patrimoine culturel, évitant ainsi l’étalement et l’expansion à l’extérieur du cœur d’un village, au risque de détruire des aires agricoles ou des forêts patrimoniales.

Dans cette même foulée, Keven Blondin a remarqué que, depuis plus de quinze années de pratique, une croissance de l’intérêt du grand public se manifeste envers la conservation de bâtiments et les gens sont de plus en plus attachés à leur église comme lieu de rassemblement et d’activités. Ils comprennent et reconnaissent davantage leur valeur irremplaçable. L’expérience d’un lieu intemporel propice au calme peut offrir un moment de ressourcement dans le tumulte du quotidien, à plus forte raison que plusieurs églises patrimoniales offrent une acoustique exceptionnelle que les musiciens et les mélomanes apprécient particulièrement. 

Si certains lieux de culte ne pouvaient jamais servir à d’autres fins, la plupart d’entre eux trouveraient une fonction radicalement différente. Il existe maintenant de nombreux exemples de réussites d’intégration architecturale redéfinissant de nouvelles fonctions davantage séculaires. On pense à des transformations totales ou partielles en salles de spectacle, en bibliothèque, en musées ou en lieux d’hébergement.

Vue intérieure de la bibliothèque Claire-Martin (ancienne église Saint-Matthew), rue Saint-Jean à Québec. – Photo : Ville de Québec

L’ancienne Église anglicane Saint-Matthew, située sur la rue Saint-Jean à Québec, a fait l’objet de travaux de réaménagement et le lieu est désormais connu sous l’appellation de bibliothèque Claire-Martin. En s’harmonisant avec les acquis patrimoniaux de l’édifice, Pierre Bouvier, architecte alors actif au sein d’Atlante Architecture + Design, avait souhaité préserver la symétrie des lieux en aménageant une aire d’approche qui porte le regard du visiteur vers l’ampleur de la nef. Une répartition symétrique du mobilier contribue également à accentuer l’allée centrale.

Selon Serge Filion, il est important de reconnaître l’identité unique de notre patrimoine, afin d’enrichir sa mixité géopolitique, grâce à l’apport de nouveaux citoyens qui choisissent de vivre ici et de contribuer à faire fructifier ce patrimoine pour les générations futures. Il est bon de souligner que les communautés culturelles de confession catholique demeurent assez présentes, surtout dans le grand Montréal métropolitain, ce qui entraine un intérêt à occuper ou à restaurer des édifices de valeur patrimoniale.

 

Intérieur de l’église Sainte-Cunégonde, rénovée en 1984, sous la direction de l’architecte Claude Beaulieu. – Photo : Louis Lapointe

À titre d’exemple, l’église Sainte-Cunégonde, située près du Marché Atwater à Montréal, a fait l’objet de travaux de réfection respectueux du style d’origine. Depuis 2003, l’édifice est assigné à une communauté catholique coréenne qui modifie son appellation en celle de Saints-Martyrs-Coréens. Mais la plupart du temps, les communautés orthodoxes, sikhs ou hindous choisiront des édifices ayant servi au culte protestant, plus petits, au décor d’origine plus sobre et permettant ainsi une transition aisée vers un nouveau registre identitaire. Keven Blondin ajoute à cet effet qu’ : « Il faut trouver la fine ligne entre le respect de l’intérieur et de l’extérieur du bâtiment, tout en donnant une nouvelle vocation à celui-ci. ».

Un bon exemple de projet qui assure la continuité du mandat d’origine d’un édifice a été réalisé par la firme Nadeau Blondin Lortie architectes et s’est échelonné sur une dizaine d’années. La co-cathédrale Saint-Antoine-de-Padoue de Longueuil est l’une des églises les plus imposantes du Québec. Construite en 1884, elle a été classée monument historique cent ans plus tard et se démarque surtout par son asymétrie et ses nombreux volumes. Le mandat consistait, dans un premier temps, à produire un carnet de santé, ce qui a soulevé des problèmes en ce qui a trait à l’étendue des travaux.

Réfection de la co-cathédrale Saint-Antoine-de-Padoue à Longueuil. – Photo : Maxime Brouillet

Le projet comprenait la réfection de la toiture à membrane liquide élastomère et la restauration ou le remplacement des fenêtres. La firme a en outre travaillé à la reprise de solins de cuivre et de murs en ardoise et a veillé à la réfection du plâtre intérieur, des chapiteaux sculptés, de la feuille d’or et de divers ornements. Les travaux comprenaient aussi la consolidation structurale du clocher sud, ainsi que le démantèlement et la reconstruction de certaines sections de maçonnerie de pierre.

Keven Blondin confirme en quelque sorte ce retour aux sources lors qu’il affirme que : « On revient ici aux traditions en embauchant un ébéniste, un plâtrier, ou un maître de la dorure. Ces artisans sont des “denrées” rares et l’approvisionnement est parfois difficile et coûteux. Par exemple, la feuille d’or provient de New York, alors que l’ardoise utilisée sur les toitures peut provenir d’une carrière située au Vermont. »

Cet exemple illustre bien le chemin parcouru depuis l’époque où la démolition des lieux de culte se faisait dans la plus grande indifférence et, si autrefois la beauté était au service de la foi, elle est aujourd’hui témoin de notre identité.


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