« Avoir des qualificatifs comme “vert” a ses limites, estime Patrick Lavoie, chercheur en développement durable chez FPInnovations. Il faut avoir des données tangibles, une analyse quantitative élaborée selon des normes qui font consensus. » Cette analyse existe, c’est l’analyse de cycle de vie (ACV) qui répertorie tous les ingrédients et l’énergie nécessaires à la fabrication, l’entretien et l’élimination d’un produit à sa fin de vie et en ressort les impacts potentiels sur l’environnement. « Il n’y a pas seulement les GES ; il y a aussi l’eutrophisation des milieux aquatiques, l’appauvrissement de la couche d’ozone, la formation de smog, la consommation d’énergie… », prévient Mourad Ben Amor, professeur au Département de génie civil et directeur du Laboratoire interdisciplinaire de recherche en ingénierie durable et en écoconception (LIRIDE) à l’Université de Sherbrooke.
En s’appuyant sur les normes ISO 14 040 et 14 044, l’ACV exprime l’atteinte à l’environnement d’un produit en quantifiant ainsi une quinzaine d’indicateurs. Ce faisant, l’ACV indique aussi la source du mal. « C’est comme une radiographie aux rayons X », compare Patrick Lavoie. Si un matériau présente une valeur élevée pour l’indicateur de la couche d’ozone, changer le produit coupable permettra d’améliorer l’empreinte environnementale. En indiquant les étapes énergivores, elle permet aussi d’améliorer l’efficacité énergétique du processus industriel. Patrick Lavoie donne l’exemple d’une ACV d’un plancher de bois franc réalisée par FPInnovations. « L’énergie est surtout consommée à l’étape du séchage, commente-t-il. Ça nous permet d’identifier des priorités de recherche et de travailler sur l’efficacité énergétique des séchoirs. » Et enfin, l’ACV évitera de déplacer le problème sur une phase ultérieure du cycle de vie. « L’ACV apporte une vision systémique sur une multitude d’indicateurs et sur toutes les étapes du cycle de vie », résume Mourad Ben Amor. Pour aller plus loin, les ACV permettent de comparer l’empreinte environnementale de produits ayant la même fonction. FPInnovations a ainsi réalisé une ACV comparative pour des recouvrements de plancher en bois franc, liège, tapis, vinyle et céramique pour un cycle de vie de soixante ans incluant donc l’entretien du plancher. « Le bois figurait bien pour les changements climatiques, l’appauvrissement de l’ozone et l’eutrophisation », rapporte-t-il. Le liège, dont le transport en provenance d’outre-mer implique des émissions des GES, se révélait également meilleur que le tapis pour l’indicateur des changements climatiques. Comme quoi, local n’est pas systématiquement synonyme de vert.
Des architectes écrivent aux manufacturiers
Sur l’assise de l’ACV, les fabricants pourront justifier le préfixe de leurs écomatériaux et peut-être s’en dégager un avantage concurrentiel. C’est d’autant plus vrai que la version v4 de LEED, entrée en vigueur à l’automne 2016, encourage l’utilisation de matériaux qui ont fait l’objet d’une déclaration environnementale de produit. La DEP, c’estle résumé synthèse de l’ACV. « La section Matériaux et Ressources de la grille de pointage de LEED a complètement changé et met l’accent sur la transparence des matériaux », annonce Paul-Antoine Troxler, directeur éducation et recherche au Conseil du bâtiment durable du Canada-Québec (CBDCa-Qc). Dans cette nouvelle version de la certification, un crédit porte sur les DEP et demande aux concepteurs d’intégrer 20 produits ayant une DEP. Les fabricants qui ne jouent pas le jeu de la transparence et qui ne produisent pas de DEP pour leurs produits seront défavorisés. Or, pour le moment, contrairement à leurs homologues européens, les fabricants nord-américains n’ont guère adopté la DEP, de sorte que les architectes n’ont qu’une offre restreinte de matériaux dotés d’une DEP à intégrer dans un projet LEED. Les architectes américains, confrontés à cette difficulté avant leurs collègues québécois, s’étaient regroupés pour sensibiliser et inviter les manufacturiers à faire les DEP de leurs matériaux. En juin dernier, lors du colloque Matériaux de la construction durable organisé par le CBDCa-Qc, des architectes québécois ont à leur tour lancé l’Initiative québécoise pour des matériaux de construction durables. « Seize firmes québécoises ont chacune envoyé une lettre à leurs fournisseurs pour leur suggérer très fortement de faire la démarche de la DEP », relate Paul-Antoine Troxler. Les manufacturiers ont donc un certain intérêt à s’approprier le concept de la DEP pour conserver leurs clients au Québec et, plus largement, en Amérique du Nord. Paul-Antoine Troxler précise aussi que l’avantage concurrentiel des DEP déborde des projets LEED, car les architectes conservent leur pratique environnementale à tous leurs projets.