Les forêts du Québec exercent des rôles socioéconomique et environnemental indiscutables. Elles représentent l’élément de survie de centaines de villes et villages du Québec. Nos forêts constituent de puissants outils de lutte contre les changements climatiques par la captation du carbone, et il est dans notre intérêt collectif de mettre notre foresterie en action pour les contrer.
L’industrie forestière à la croisée des chemins
Depuis des décennies, les forêts du Québec exercent des rôles socioéconomique et environnemental indiscutables. Elles sont le berceau d’une biodiversité essentielle aux conditions de vie sur terre, régularisent le cycle de l’eau et constituent sur le plan économique l’élément de survie de centaines de villes et villages au Québec. Elle permet à des milliers de familles québécoises d’accéder à une qualité de vie, de pouvoir subvenir aux besoins essentiels, de soutenir les enfants dans leur développement personnel et professionnel.
Dans ce contexte, nous devons donc, en tant qu’acteurs vivant sur un immense territoire forestier, reconnaître non seulement le fait que nos forêts peuvent être de puissants outils de lutte contre les changements climatiques, mais qu’il est aussi dans notre intérêt collectif de mettre notre foresterie en action pour contrer ces mêmes changements climatiques. L’utilisation de la biomasse forestière comme source d’énergie est de plus en plus intéressante dans le contexte actuel de lutte contre les changements climatiques puisqu’elle permet de réduire la consommation d’énergie fossile.
Mais force est de constater que le secteur forestier doit composer avec des problématiques particulières, notamment les mesures protectionnistes de notre voisin du Sud, les États-Unis.
Le déclin et la fermeture des usines de pâtes et papiers obligent à revoir le marché traditionnel des sous-produits forestiers des usines de sciage québécoises destinés principalement à ces usines de pâtes et papiers. Photo : Pixabay
De plus, le déclin de l’industrie des pâtes et papiers amorcé depuis plusieurs années a connu une progression exponentielle depuis l’arrivée de la COVID-19, attribuable notamment à la diminution de ces produits sur les marchés mondiaux. Cette réalité cause une grande problématique aux usines de sciage qui doivent obligatoirement revoir le marché traditionnel des sous-produits forestiers des usines de sciage québécoises destinés principalement aux usines de pâtes et papiers. Les résidus forestiers peuvent être utilisés pour fabriquer du biocarburant moins polluant et des lubrifiants spécialisés où les marges sont intéressantes.
Les biocarburants issus de la biomasse forestière
Valoriser les résidus forestiers en biocombustible (de faible intensité carbone) s’avère une solution concrète et durable pour lutter contre les changements climatiques. En effet, l’utilisation des biocombustibles réduit les émissions de gaz à effet de serre associées à la production et à la combustion des combustibles fossiles.
À titre d’exemple, remplacer 20 millions de litres de mazout lourd par des biocarburants permet de soustraire plus de 65 000 TM éq. CO2/année dans un marché industriel lourd. La production de biocarburant améliore aussi significativement notre balance commerciale en éliminant du carburant fossile qui est produit à l’extérieur du Québec.
Mais il est actuellement impossible et impensable de compétitionner les carburants fossiles. La maturité et la taille des raffineries existantes depuis des décennies sont gigantesques par rapport aux quelques infrastructures récentes produisant du biocarburant. Le facteur d’échelle et les coûts de production ne sont tout simplement pas comparables. Le coût d’achat d’un biocarburant ne devrait pas être plus élevé que celui d’une énergie fossile incluant la tarification carbone.
L’énergie contenue dans du biocarburant issu de la biomasse forestière produit généralement deux fois moins d’énergie que le mazout lourd ou l’huile à chauffage. Sur une base commerciale, l’énergie par litre (MJ/L) est utilisée pour comparer deux produits. Ainsi, pour remplacer un litre de mazout lourd, il faut deux litres de biocarburant pour produire une énergie équivalente. Conséquemment, le prix du litre de biocarburant est divisé par deux. Cependant, il n’en coûte pas deux fois moins cher pour le produire.
L’utilisation de la biomasse forestière comme source d’énergie avec les biocarburants est de plus en plus intéressante puisqu’elle permet de réduire la consommation d’énergie fossile. Photo : Bioénergie AE
Soulignons le potentiel de développement de nouveaux produits du bois afin de donner un nouveau souffle à l’industrie forestière qui doit s’éloigner des produits traditionnels. Le contexte environnemental actuel et la demande des marchés pour des énergies vertes fournissent l’occasion de contribuer à la consécration d’une culture du succès pour la transition énergétique. Les biocarburants issus de la biomasse forestière peuvent faire la démonstration que la lutte aux changements climatiques et le développement économique ne sont pas contradictoires.
Une usine de biocarburants de classe mondiale
L’usine Bioénergie AE Côte-Nord (AECN) est le résultat d’un partenariat entre Arbec, Bois d’œuvre, le Groupe Rémabec et Ensyn Technologies. Une usine de classe mondiale, qui est la première du genre à utiliser la technologie du procédé de pyrolyse pour convertir les résidus forestiers en biocombustibles renouvelables. Il est possible d’y produire 40 millions de litres de biocarburants.
Mise en service à l’été 2018, l’usine AECN est adjacente à la scierie d’Arbec à Port-Cartier. C’est la première usine d’envergure de biocarburant au Canada utilisant la biomasse provenant des restes de la récolte des billes de résineux ou des sous-produits de la scierie d’Arbec. À ce jour, l’usine a produit près de 4 millions de litres qui furent expédiés aux États-Unis.
L’agence américaine de l’environnement (Environmental Protection Agency ou « EPA ») donne accès à l’octroi de crédits échangeables connus sous le vocable de Renewable Identification Numbers (« RINs »). Ceci s’applique aux volumes de biocombustibles vendus aux États-Unis à des fins d’huile à chauffage.
Ces RINs permettent aux producteurs de biocombustibles d’associer économiquement les bénéfices climatiques en lien avec leurs produits. Malheureusement, Bioénergie AE Côte-Nord a dû mettre fin à ses exportations en février 2018 à la suite des interprétations restrictives essentiellement de nature protectionniste prises par l’EPA concernant l’utilisation des résidus forestiers employés comme matière première pour l’usine. Cette position de l’EPA a créé une situation ne permettant plus à l’usine de bénéficier de ces précieux RINs, ce qui a soudainement et complètement changé le modèle d’affaires. Comme c’est souvent le cas dans des conflits commerciaux entre le Canada et les États-Unis, les Américains ont adopté une approche protectionniste pour atteindre leurs objectifs. L’usine a dû fermer temporairement ses portes, mais elle rouvrira ce printemps grâce au développement de nouveaux marchés.
Un chenal à développer pour les industries maritimes et minières
Dans sa phase actuelle, le biocarburant produit à Port-Cartier peut facilement être une solution comme substitut à l’huile à chauffage et au mazout lourd. D’ailleurs, l’utilisation de leurs produits chez Arcelor Mittal de Port-Cartier dans l’une de leurs lignes de bouletage entre 2014 et 2015 a fait l’objet de tests concluants. L’avenir est très prometteur pour l’industrie minière, grande consommatrice d’énergie et qui cherche des solutions pour réduire son empreinte environnementale.
Mise en service à l’été 2018, l’usine AECN est adjacente à la scierie d’Arbec inc. à Port-Cartier. C’est la première usine d’envergure de biocarburant au Canada utilisant la biomasse provenant des restes de la récolte des billes de résineux ou des sous-produits de la scierie d’Arbec. L’usine est le résultat d’un partenariat entre Arbec Bois d’œuvre, le Groupe Rémabec et Ensyn Technologies. Cette usine est la première du genre à utiliser la technologie du procédé de pyrolyse pour convertir les résidus forestiers en biocombustibles renouvelables. À gauche les installations de Bioénergie AE, à droite celles d’Arbec, Bois d’œuvre, usine de Port-Cartier. Photo : Bioénergie AE
De plus, précisons aussi que de mettre en place une stratégie pour la production et la consommation de biocarburants permettra le développement de nouveaux marchés. Mentionnons entre autres l’industrie maritime, qui se fixe comme objectif d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, et que le recours aux biocarburants dans les navires constitue l’un des moyens pour atteindre cet objectif. Plusieurs armateurs prévoient procéder à des tests avec l’utilisation de biocarburants dans certains de leurs navires pour atteindre leurs objectifs environnementaux. Cette situation est porteuse d’espoir pour l’avenir en lien avec les objectifs du gouvernement du Québec.
Un Québec leader des énergies nouvelles et la fierté du peuple québécois
Rappelons-nous que le 30 août 1962, le Parti libéral de Jean Lesage adopte le principe de nationalisation de l’électricité. Sous le slogan « Maîtres chez nous », cette initiative du ministre René Lévesque sera l’enjeu des élections anticipées. « L’équipe du tonnerre » de Jean Lesage gagne les élections, et Lesage passe à l’action. C’est ainsi que le Québec deviendra avec les années une référence mondiale en production hydroélectrique, faisant l’envie de bien des nations.
Les énergies vertes constituent une tendance lourde à l’échelle de la planète et les visionnaires occuperont une place déterminante sur l’échiquier mondial. On se doit comme peuple de se donner les moyens de nos ambitions et de profiter des particularités qui nous avantagent.
Un projet de classe mondiale telle l’usine de Port-Cartier dans la production d’huile pyrolytique contribuera à la création d’une véritable vitrine technologique et fera du Québec une référence mondiale dans la production de biocarburants.
Le Québec possède tous les éléments pour concrétiser ce projet. Les ressources naturelles, sa localisation géographique avec le Saint-Laurent qui offre une voie maritime ouvrant sur le monde, les infrastructures industrielles, les ressources financières et surtout le génie québécois avec ses scientifiques, ses leaders, ses entrepreneurs. Il ne manque plus que la mise en place d’actions concrètes et en lien avec les besoins exprimés dans le cadre de cette consultation, de la volonté et du courage politique qui deviendront un élément catalyseur et de fierté afin de faire du Québec l’un des meilleurs endroits au monde pour investir dans la transition énergétique et devenir une plaque tournante de l’économie verte.
En plus d’améliorer le bilan carbone du Québec, la réalisation du projet de Bioénergie AE, par exemple, peut constituer le premier moment fort de création d’un véritable Pôle de production de biocarburants. Il réunit les principales conditions nécessaires pour accroître substantiellement les moyens à la disposition des grands émetteurs afin que ces derniers s’engagent dans un effort concerté pour accélérer leur transition vers des modes de production plus sobres en carbone. Ce projet devient un accélérateur d’un changement nécessaire pour pallier la décroissance de l’industrie papetière et favoriser la création d’emplois de qualité.
En guise de conclusion…
Pour soutenir l’industrie forestière, le ministre de l’Économie et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, mise grandement sur les bioraffineries alimentées par des résidus forestiers. Soulignons que nos voisins du Sud investissent massivement dans les biocarburants. Texas Renewable Fuels, une filiale de USA BioEnergy, convertira 1 million de tonnes vertes de résidus forestiers en 34 millions de gallons par année de carburant de transport renouvelable. L’expansion future doublera la capacité de production de l’usine à 68 millions de gallons par an. « Notre investissement dans le comté de Newton dépassera 3,4 milliards de dollars et offrira d’importantes opportunités d’emploi », a déclaré Nick Andrews, PDG de USA BioEnergy. Et plus près de chez nous, Canfor, un géant forestier canadien, vient d’annoncer la construction d’une usine semblable à celle de Port-Cartier en Colombie-Britannique en partenariat avec Shell, alors qu’en Suède, Pyrocell opère une usine de biocarburant à base de biomasse forestière depuis l’automne dernier.
Il faut saisir les opportunités quand elles se présentent…
En effet, on redonne un nouveau souffle à l’industrie forestière qui doit se diriger vers de nouveaux marchés dans le contexte mondial actuel. Sur le plan environnemental, on attribue aux rebuts forestiers une nouvelle vocation, favorisant une utilisation locale de ces produits, évitant l’émanation de GES lors du transport de ces rebuts à l’extérieur de la région et diminuant par le fait même l’enfouissement de ces « déchets » forestiers. Et finalement, sur le plan social, cette activité génère des emplois très bien rémunérés et un sentiment de fierté des populations régionales de contribuer aux objectifs de lutte contre les changements climatiques.
Note
1 Document de consultation, Vers une stratégie sur l’hydrogène vert et les bioénergies 2030, ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, gouvernement du Québec, page 1.