Serge Filion – La crise environnementale ne fait pas le poids dans l’ordre des priorités

Serge Filion, urbaniste émérite, membre de notre comité consultatif, pose un regard critique sur la lutte contre la crise environnementale. « Elle ne fait pas le poids dans l’ordre des priorités, et pourtant elle le devrait ».

Notre pays et la terre entière doivent affronter simultanément trois crises (sanitaire, économique et environnementale) dont les conséquences seront assurément dramatiques. Il ne s’agit pas d’en choisir une au détriment des deux autres. Les deux premières risquent d’avoir des conséquences immédiates ou à très court terme sur notre santé et notre portefeuille. Les humains sont très susceptibles de paniquer aisément face à ces deux catastrophes, car ils savent qu’ils peuvent en payer le prix fort d’ici deux ans maximum et pour de nombreuses années à venir. Ces deux premières crises très perceptibles sont vécues au présent. Pour un large pan de l’humanité, l’urgence n’est pas nécessairement ressentie de façon aussi sensible dans le cas de la crise environnementale qu’on perçoit dans un avenir plus lointain, non immédiat. Face à ce haut degré de sensibilité, cette troisième crise (environnementale) ne fait pas le poids dans l’ordre des priorités, et pourtant elle le devrait.

C’est la destruction de la vie sur terre qui est en jeu. Ne parle-t-on pas d’une possible, voire même probable sixième extinction en perspective si nous n’augmentons pas la cadence immédiatement dans notre lutte aux changements climatiques. Dans ce scénario, les conséquences désastreuses seront cumulatives. Quels choix ferons-nous ? Nous attaquer à ces trois fléaux en même temps ? Les conjuguer simultanément ? Pourquoi pas ?

D’abord la crise sanitaire : quelles leçons en tirer ?

Puisque ce genre d’événement se produit à la suite de certains signes avant-coureurs, aurions-nous dû poursuivre les recherches sur le SRAS ? Ces crises sanitaires résultent de plusieurs causes simultanées comme la surpopulation, les problèmes d’hygiène, la surexploitation ou même la destruction de la nature, la surconsommation ou la multiplication exagérée des échanges et des voyages, les changements climatiques… Il nous faudra imaginer un nouveau paradigme pour la manière d’occuper nos territoires de façon beaucoup plus raisonnable et durable.

Centers for Disease control and Prevention

Ce qui est remarquable et ce qui pourrait servir de leçon pour les deux autres enjeux, c’est effectivement la quasi-unanimité des scientifiques et du corps médical sur les mesures à appliquer et la prise de commandement la plus cohérente possible par des politiques d’une rare unanimité, du moins pour le moment ! Mais pourrons-nous tenir le temps encore deux ans ? Probablement pas ! Les gens ordinaires que nous sommes comprennent aisément que ce qu’ils disent aujourd’hui pourrait encore changer demain à la lumière de faits nouveaux et démontrés par les analyses en cours. L’humilité a toujours sa place. Tout comme l’adhésion des masses, la persévérance cohérente des dirigeants seront encore longtemps la clé du succès et de la victoire. D’ailleurs il ne faudrait pas sous-estimer l’importance cruciale des médias dans leur double rôle de formateur et d’informateur en continu pour maintenir l’information et l’acceptabilité sociale.

La crise économique : comment réagir vite et bien ?

Deux scénarios se présentent face aux décideurs :

1-      Tout d’abord la tentation sera forte de ressortir des tiroirs nos vieux projets déjà prêts en matière de plans et devis, de financement et de demande par habitude. De nouvelles autoroutes, de nouveaux viaducs, de nouvelles rues pour desservir l’éparpillement des lotissements sur les terres agricoles et même dans ce qui reste de nos forêts intégrales et de nos milieux humides. C’est si facile devant l’urgence !

Vivre en ville

2-      Saurons-nous au contraire profiter de l’occasion pour lancer de nouvelles opportunités que nous connaissons déjà comme l’électrification des transports, la mise aux normes de nos patrimoines immobiliers en matière de consommation d’énergie, la fin immédiate de l’inutile étalement urbain en reconstruisant les dents creuses à l’intérieur de nos périmètres d’urbanisation (villes et villages existants, bâtiments patrimoniaux excédentaires en mal de vocation…), le détournement des fonds encore disponibles pour de nouvelles voies vers l’accélération de la transformation de nos systèmes de transport en commun et vers le maintien des actifs existants et mal en point des infrastructures déjà en place, le retour en force des jardins et des forêts en ville, la multiplication des projets de naturalisations des berges de rivières pour un contact civilisé entre villes et fleuve, l’arrêt immédiat de la destruction des milieux humides et des terres agricoles quelques soient les arguments alambiqués des promoteurs privés ou publics à la recherche d’un profit à court terme… Il existe maintenant des centaines de projets remarquables comme la promenade Samuel-De Champlain à Québec et le projet Archipel à Montréal et Laval.

Naturalisation des berges de la rivière Saint-Charles. Source : Ville de Québec

Que voilà une belle proposition de plan d’actions et d’investissements publics et privés qui ne pourraient ensemble que recommencer notre marche vers un enrichissement collectif, solidaire et plus durable.

La crise environnementale et climatique

Quelle formidable occasion de pouvoir profiter du savoir des politiques et des médias en matière de gestion de crise efficace et percutante. Les acquis de cette épreuve ne doivent pas disparaître dans la plus grande indifférence. Il nous faudra mettre l’aménagement du territoire planétaire au haut de l’agenda, le plus grand espoir du XXIe siècle. Des centaines de milliers de citoyens sont descendus dans les rues au Québec l’automne dernier pour réclamer un virage à 180 degrés dans nos comportements individuels et collectifs face à notre terre mère.

Ville de Montréal

Le meilleur moyen d’acheter local se trouve à portée de main avec l’électrification totale des transports d’ici 2050 ; une économie de 16 milliards de dollars en importation de pétrole venant de loin et ne participant en rien à notre économie locale et notre environnement immédiat. C’est à réfléchir !

Il y a un autre sujet qui deviendra matière à coopération internationale. Toutes et tous savent que l’air et l’eau sont encore et pour toujours nos meilleurs supports à l’éclosion et au maintien de la vie sur terre. Ces deux ressources n’ont rien à foutre de nos frontières administratives et politiques. C’est donc à la suite d’ententes internationales que nous arriverons à les protéger, tout comme les forêts équatoriales, tropicales et boréales.

Cela est d’autant plus important que de plus en plus d’observateurs sagaces et de scientifiques continuent de se poser des questions sur les liens entre l’apparition des nouveaux virus et la pollution de l’eau et de l’air généralisée à l’échelle de la planète. De même pour les eaux de lixiviation des dépotoirs et du transport par l’eau et le vent des plastiques légers qui se retrouvent dans les mers en surface comme dans les fonds marins où existent les plus grands réservoirs de vie et les plus grands capteurs de carbone. Enfin la plus grande partie de l’air que nous respirons ne vient-elle pas de ces grandes surfaces jadis naturelles ?

La conclusion du jour

Ceci constitue l’essentiel d’une ligne éditoriale qui ne résulte pas d’une seule nuit de réflexion, mais bien d’un constat élaboré lors de nos études en géographie et en urbanisme, mais aussi de notre carrière professionnelle à la Ville de Québec, à la Commission de la capitale nationale du Québec et de notre passage à titre de commissaire au Conseil du patrimoine culturel du Québec. Que nous agissions à titre de fonctionnaire, de cadre, de consultant, de professeur chargé de cours universitaires ou de bénévole au sein de nombreux organismes engagés comme Vivre en ville ou Les Amis du Saint-Laurent, notre propos s’en inspire et se fortifie.

Istock

Aujourd’hui nous soumettons humblement mais fermement que le Québec et ses municipalités devraient songer sans tarder à s’investir immédiatement dans la révision de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme en proposant un guide d’orientations nouvelles à privilégier. Mais je ne me fais pas d’illusions. Pour me consoler, je vous cite un grand scientifique qui écrivait en 2017 dans la préface de l’ouvrage Drawdon : Comment inverser le cours du réchauffement planétaire de Paul Hawken :

En tant que spécialiste du climat, je suis découragé par les phénomènes qui ont eu lieu depuis quelques dizaines d’années dans le monde entier. Quel que soit notre avis, que l’on y croit ou non, la réalité des changements climatiques nous a déjà rattrapé… – Jonathan Foley, San Francisco 2017.

Je m’arrête, car je pourrais citer intégralement les 568 pages de l’ouvrage de Paul Hawken.

 


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