Par cette politique, le gouvernement convie l’ensemble des acteurs à être le moteur d’un véritable projet collectif en faveur de la création de milieux de vie durables, attrayants et favorables à la santé1.
Notre vision, ambitieuse et inspirante, définit les objectifs à long terme qui guident nos efforts. Des avancées significatives ont été réalisées (plans climat élaborés par les MRC, zones inondables révisées, plans d’aménagement forestier en cours de révision, mise en place de mesures de protection des cours d’eau par les agences de bassins versants). De plus, des agents de développement culturel ont été déployés dans les MRC, renforçant ainsi la gouvernance locale. Et récemment, une révision des schémas d’aménagement et de développement (SAD) a été entreprise, bénéficiant d’un soutien financier, ce qui témoigne d’une volonté de poursuivre les efforts. Malgré les avancées, la vision 2042 est peu référencée et manque de visibilité. Des défis majeurs persistent, particulièrement en matière de mobilité durable.
Le gouvernement joue un rôle essentiel comme « porteur de vision ». Il doit montrer du leadership, imaginer l’avenir souhaité, communiquer cette vision aux citoyens et citoyennes, les motiver à travailler ensemble pour atteindre ces objectifs, élaborer une stratégie pour la concrétiser et démontrer de la cohérence et de l’exemplarité dans ses actions en lien avec ce projet collectif2.
Et pourtant, parfois mêmeles actions du gouvernement donnent l’impression que ce dernier agit à contrario. Je pense au sous-financement constant du transport en commun ou encore au 3e lien routier prévu dans la capitale nationale, et dont l’inutilité a été démontrée par des experts3.
L’approche RTA : Réduire. Transférer. Améliorer.
L’approche RTA est une stratégie clé en matière de mobilité durable4. Elle propose une vision globale en agissant à la fois sur la demande de transport et sur l’offre de solutions plus respectueuses de l’environnement. Elle a fait ses preuves et priorise les politiques à mettre en œuvre :
- D’abord, réduire (R) la quantité et la distance des déplacements motorisés. En effet, la meilleure solution pour réduire les émissions de GES reste toujours de diminuer la fréquence et la distance des déplacements en voiture. Il est question ici indirectement des politiques sur l’étalement urbain et la fin de l’expansion du réseau routier ainsi que du financement du système automobile.
- Puis, transférer (T) les déplacements restants vers des modes de transport moins polluants ou énergivores et plus durables. Pour les mêmes déplacements, on voudrait que les gens utilisent des modes plus durables : marche, vélo, transport en commun, modes partagés – covoiturage, autopartage, taxi…
- Enfin, améliorer (A) l’efficacité énergétique des véhicules, notamment par l’électrification des transports. En dernier recours, on s’assure que les gens achètent des véhicules moins énergivores, soit des véhicules de petite taille ou qui sont alimentés par une autre énergie. C’est là qu’intervient l’électrification.

Source : Accès Transports viables
Comme le soulignait Pierre Fitzgibbon, alors qu’il était ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, il faudra réduire le parc automobile de façon substantielle pour atteindre la carboneutralité en 2050. « Réduire d’abord, et ensuite faire en sorte que les véhicules qui restent soient électriques. Mais on a envoyé un drôle de message à la population en encourageant d’abord l’achat de véhicules électriques5. »
Voilà qui est dit : d’abord, réduire (R) la quantité et la distance des déplacements motorisés.
Défis et perspectives pour un développement durable
Au cours des trente dernières années, la superficie des terrains habités n’a cessé de gruger toujours plus de milieux naturels et agricoles au Québec à une vitesse de 16 km2 par an depuis 20106. Il en découle des ensembles urbains qui présentent les caractéristiques suivantes : un habitat à faible densité ; une distance plus marquée entre l’habitat et les lieux d’emplois, de commerces et de services ; un environnement urbain peu adapté à d’autres modes de transport que l’automobile ; des secteurs centraux relativement moins attractifs, comprenant souvent des terrains vacants ainsi que des bâtiments sous-utilisés ou laissés à l’abandon.
Bien utilisées, les interventions d’aménagement du territoire permettent de réduire les émissions de GES en orientant le développement urbain de manière à accroître les possibilités, pour un plus grand nombre de personnes, de réaliser des déplacements moins longs, moins nombreux et moins polluants. Elles se concrétisent surtout par la délimitation de périmètres d’urbanisation et par la définition, dans l’aire urbaine ainsi délimitée, d’une structure de pôles et d’axes d’activités économiques et de services, caractérisée par la mixité, en accord avec celle des infrastructures et des réseaux de transport7.
J’ai été témoin, pendant toute ma carrière dans les services publics, des efforts déployés pour encadrer la gestion de l’urbanisation au Québec. En 1978, le gouvernement adoptait la Loi sur la protection du territoire agricole en réponse à la spéculation et la déstructuration omniprésente des meilleurs sols agricoles du Québec se trouvant à proximité des principales agglomérations urbaines dans la plaine du Saint-Laurent.
À la suite de l’entrée en vigueur de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme en 1979, le gouvernement a fait connaître ses orientations gouvernementales en matière d’aménagement du territoire (OGAT) devant prévaloir lors de l’élaboration des premiers schémas d’aménagement. Celles-ci avaient pour but de mieux planifier l’aménagement du territoire et de concourir à la maîtrise de l’urbanisation.
En 1994, lors de l’amorce du processus de révision SAD, le gouvernement rappelait dans son document d’orientations Pour un aménagement concerté du territoire l’importance de mieux encadrer la gestion de l’urbanisation, convaincu qu’il s’agissait là d’une des conditions du développement durable des régions. Il propose alors diverses stratégies sur la base des orientations suivantes : privilégier la consolidation des zones urbaines existantes, en y dirigeant, en priorité, les fonctions urbaines ; gérer leur extension de façon durable et favoriser une approche intégrée du développement urbain durable de l’ensemble d’une agglomération8.
Bien que nous ayons de nombreux acquis, nous avons encore des défis. Depuis le 1er décembre 2024, le gouvernement a adopté de nouvelles OGAT ayant pour objectif la mise en œuvre de la PNAAT. À cet égard, l’orientation 4 réitère le besoin de consolider les milieux de vie existants et de planifier les transports de façon intégrée afin de favoriser la mobilité durable, de répondre aux besoins en habitation et d’assurer la protection des milieux naturels et agricoles9. Cette orientation découle du constat que, en dépit des efforts déjà consentis, l’urbanisation continue à générer des coûts sociaux, environnementaux et administratifs lourds à supporter pour les collectivités et pour l’ensemble de la société10.

Le gouvernement s’attend à ce que les documents de planification de l’aménagement du territoire prévoient une planification intégrée de l’aménagement et des transports. Une telle planification permettra de réfléchir conjointement sur les modes d’urbanisation, les pratiques de déplacement et la planification des infrastructures afin de favoriser la mise en place de milieux de vie de qualité favorables à une mobilité plus durable et équitable. Elle permettra entre autres l’optimisation des infrastructures et des services de transport afin d’améliorer l’accessibilité, la mobilité et la compétitivité des entreprises, tout en réduisant les émissions de GES et en assurant la sécurité des personnes11 ; par conséquent, de « transférer (T) » les déplacements vers des modes de transport moins polluants ou énergivores et plus durables.
L’explicitation de plus en plus claire des objectifs, via l’évolution de l’énoncé de la PNAAT et des OGAT, de même que l’approfondissement et la diversification des moyens de mise en œuvre constituent une avancée remarquable au Québec. Les OGAT sont désormais accompagnées d’un système de monitorage régional et national et d’indicateurs de suivi12, ce qui représente un progrès pour évaluer l’efficacité des outils de planification et potentiellement influencer le financement des infrastructures en fonction des résultats en matière de mobilité durable13.
Favoriser la mobilité durable est une mission de l’État
La ministre des Transports et de la Mobilité durable et la ministre des Affaires municipales et de l’Habitation sont bien placées pour relever conjointement les défis de la PNAAT et prioriser les stratégies à mettre en œuvre en matière de mobilité durable. La mobilité durable étant un enjeu transversal, elle nécessite toutefois une collaboration étroite entre différents ministères pour élaborer et appliquer des politiques cohérentes et efficaces14. À titre d’exemples :
- Le ministère de la Culture et des Communications, responsable de la PNAAT conjointement avec le MAMH, devrait se préoccuper de la localisation des voies de transport, de leur insertion dans des milieux souvent névralgiques du point de vue de la culture et du patrimoine, de leur aménagement et de la qualité de l’architecture des réseaux et des stations ;
- Le ministère de l’Éducation pourrait intégrer des concepts de mobilité durable dans les programmes scolaires, sensibilisant ainsi les jeunes générations aux enjeux environnementaux et aux solutions de transport de rechange ;
- Le ministère de la Santé devrait se pencher sur les impacts de la mobilité sur la santé, par exemple par la qualité de l’air, et faire la promotion des transports actifs ;
- Le ministère de la Solidarité sociale et de l’Action communautairedevrait s’assurer que les politiques de mobilité durable prennent en compte les besoins des personnes à mobilité réduite et ceux des populations vulnérables, et devrait soutenir les initiatives communautaires visant à améliorer l’accès aux services de transport pour les personnes en situation de précarité ;
- Le ministère de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie pourrait aider les entrepreneurs à recruter de la main-d’œuvre en favorisant des options de transport plus efficaces et plus fiables pouvant réduire le temps de trajet des travailleurs, ce qui permettrait à ces derniers de passer plus de temps à travailler et moins de temps à se déplacer ;
- Enfin, l’implication du ministère de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs est essentielle en raison de son rôle dans la réduction des émissions de GES et la promotion de solutions de transport plus propres.
Bien que le gouvernement du Québec ne cite pas le coût du programme Roulez vert (700 millions depuis 2022) pour justifier sa fin en 2027, le ministre des Finances indique que d’autres mesures sont plus efficaces que les subventions pour réduire les émissions de GES. Alors, pourquoi ne pas favoriser l’approche RTA inscrite dans le Plan d’action de la mobilité durable du Québec15 ? Lors du dépôt du dernier budget 2025-2026, Pour un Québec fort, les organismes voués au transport collectif ont déploré le fait que la part du lion va encore au transport routier. Il y a des déplacements qu’on ne pourra pas effectuer avec d’autres modes que l’automobile, ça fait partie du système. Mais il faut d’abord adopter toutes stratégies pour éviter d’y avoir recours16. Pour y arriver, il faudra que le gouvernement démontre qu’il souscrit à ses propres orientations.

Source : Accès Transports viables – Photo : Renaud Philippe
Avons-nous un porteur de vision au Québec ?
La PNAAT n’est pas qu’un simple document de vision ; c’est un appel à l’action, un engagement envers les générations futures. La vision ambitieuse de 2042, qui aspire à des lieux de vie durables, inclusifs et résilients, nécessite une action concertée et un leadership fort.
Les nouvelles OGAT et le système de monitorage qui les accompagne offrent une occasion unique de rectifier le tir. Mais cela ne suffira pas.
Les outils existent, les stratégies sont claires, mais la volonté politique doit se traduire en actions concrètes. Le gouvernement en tant que porteur de vision doit :
- Montrer l’exemple : ses propres actions doivent refléter les principes de la PNAAT et des OGAT, en particulier en matière de mobilité durable.
- Investir massivement : le transport collectif et actif doit devenir une priorité budgétaire, reléguant le tout à l’automobile à une place beaucoup plus restreinte.
- Mobiliser tous les acteurs : la PNAAT ne peut se concrétiser sans une collaboration étroite et démocratique entre les ministères, les municipalités, les entreprises et les citoyens. Le gouvernement peut compter sur les mairesses et maires qui ont des convictions environnementales et une compréhension plus juste des enjeux d’aujourd’hui.
- Agir avec audace : il faut oser remettre en question nos habitudes de vie et les modèles de développement qui nous ont menés dans l’impasse.
- Ne pas oublier les plus vulnérables : les politiques de mobilité durable doivent être inclusives et équitables, en tenant compte des besoins de tous.
- Sensibiliser et éduquer à la mobilité durable, notamment par une formation initiale en milieu scolaire.
- Adopter des mesures incitatives pour encourager des choix responsables.
En l’absence d’une ou d’un ministre dédié(e)17, les ministres des Transports et de la Mobilité durable et des Affaires municipales et de l’Habitation, en collaboration avec leurs collègues des autres ministères concernés, doivent exercer un leadership fort pour traduire la vision 2042 en actions concrètes.
Notes
8 Louis MASSICOTTE, Frédiane AGOSTINI et Alain CARON (2008). La gestion de l’urbanisation dans la révision des schémas d’aménagement et de développement, ministère des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, document de veille, 9 p., https://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/1944549.
10 Jean-Philippe MELOCHE (2018, printemps/été). « Les coûts économiques de l’étalement urbain », revue Urbanité, p. 21, https://ouq.qc.ca/revues/amenagement-durable-et-prosperite/.
11 Gouvernement du Québec (2023). Mieux habiter et bâtir notre territoire. Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire – Plan de mise en œuvre 2023-2027, ministère des Affaires municipales et de l’Habitation et ministère de la Culture et des Communications, action 3.1, p. 21, https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/affaires-municipales/publications/amenagement_territoire/PNAAT/BRO_pmo_pnaat.pdf.
13 En France, la Loi portant sur la lutte contre le dérèglement climatique (2021) comprend des objectifs de lutte contre l’artificialisation des sols en instaurant le principe de « Zéro artificialisation nette », qui favorise notamment le ralentissement de la consommation spatiale, la réhabilitation et la densification. https://www.ecologie.gouv.fr/presse/communique-presse-zero-artificialisation-nette-publication-decrets-dapplication.
17 Dès la formation de son premier Conseil des ministres en 1976, René Lévesque a nommé un ministre d’État responsable de l’aménagement du territoire, Jacques Léonard, marquant ainsi l’importance du domaine avec les développements économique, culturel et social.