Bâtir un écosystème MRC des Sources

C’était les 22 et 23 octobre 2024 et pour sa neuvième édition, le Rendez-vous des écomatériaux réunissait le Québec et la région française du Grand Est.

Comme lors des éditions précédentes, il a donné la voix aux pionniers qui osent fabriquer ou construire hors des sentiers battus avec du chanvre, des champignons, du plastique ou du bois recyclé… Le Rendez-vous des écomatériaux, c’est la convergence de tous ces acteurs et actrices qui partagent une vision commune de construire plus respectueusement de l'environnement. Mais cette convergence a besoin d’être consolidée par un maillage qui tisse des liens entre les acteurs pour bâtir des filières industrielles et un écosystème partant de la matière première jusqu’à sa mise en œuvre dans le bâtiment. Or, l’expérience suggère qu’une impulsion gouvernementale facilite grandement ce maillage.

Deux régions, deux écosystèmes

Un écomatériau biosourcé, c’est toute une filière à développer, depuis la matière végétale jusqu’au produit final. Faut-il transformer une plante présente sur un territoire ou développer un matériau puis développer la culture de la plante ? Dans la Région Grand Est et la MRC des Sources, la réponse est plurielle. Au-delà du matériau, c’est même tout un écosystème à développer pour inclure le secteur de la construction qui aura à prescrire le matériau et à le mettre en œuvre.

Dans la MRC des Sources

En 2013, après la fermeture de la mine Jeffrey, la MRC des Sources s’est dotée d’une stratégie de diversification économique pour développer des filières émergentes en technologies environnementales. Ces filières se sont ensuite resserrées sur les écomatériaux avec l’organisation du premier Rendez-vous des écomatériaux en 2015. 

Saint Adrien – Un tiers du territoire de la MRC des Sources est occupé par l’agriculture, ouvrant ainsi la porte aux développements des biomatériaux – Photo : MRC des Sources.

 

La MRC ne reniait pas pour autant son passé minier, car comme l’a rappelé Karine Thibault, conseillère stratégique à la MRC, « on a une grande mine d’opportunités parce qu’on a des millions de tonnes de résidus miniers à valoriser ». D’autant que le territoire contient aussi une carrière d’ardoise. Mais un tiers du territoire de la MRC est aussi occupé par l’agriculture, ouvrant ainsi la porte aux développements des biomatériaux pour faire une transition « de la fibre d’amiante à la fibre biosourcée ». Finalement, à la MRC des Sources, les écomatériaux sont géosourcés, biosourcés et issus du recyclage minier ou autres.

Pour former un écosystème autour des écomatériaux, la MRC crée le Carrefour d’innovation sur les écomatériaux (CIM). En partenariat avec le Cégep et l’Université de Sherbrooke, le CIM offre un accompagnement technique aux entreprises qui développent des écomatériaux. Il est localisé dans le parc industriel de Val-des-Sources, où des entreprises d’écomatériaux se sont déjà installées. On y trouve notamment l’ardoisière Ardobec, Nature fibres qui fabrique et distribue des isolants biosourcés, et la Société québécoise de développement des plantes industrielles (SQDPI), qui fait le lien entre les agriculteurs et les transformateurs industriels. Ce maillage entre agriculteurs et industriels est le maillon faible dans le tableau des écomatériaux qui se dessine depuis neuf ans à la MRC des Sources. Par exemple, Nature fibres a développé toute une expertise pour produire des isolants en chanvre, mais elle doit importer la fibre de chanvre. Inversement, la Coopérative Monark cultive l’asclépiade, et les études réalisées à l’Université de Sherbrooke montrent le potentiel de la fibre d’asclépiade, mais les débouchés industriels peinent à se concrétiser.

« Comment attacher les maillons de la chaîne entre l’agriculture et la transformation ? L’approvisionnement en matière première est critique pour une entreprise, mais sans transformation, il n’y a pas d’agriculture. C’est ce que j’appelle l’œuf ou la poule », questionnait Karine Thibault. Pour attacher les maillons de la filière chanvre, la MRC s’est donné l’objectif d’établir une chanvrière comme il en existe en France, c’est-à-dire une entreprise qui cultive le chanvre et qui en fait la première transformation pour extraire la fibre et la chènevotte. Ce serait la première chanvrière du Québec.

Entre le chanvre, l’asclépiade, le miscanthus ou le panic érigé, les idées et les initiatives en écomatériaux ne manquent pas à la MRC des Sources, autant du côté des agriculteurs, des industriels que des laboratoires de recherche. Là aussi, pour mieux mailler ces initiatives, la MRC a créé Interplantes. « On est en train de réaliser un portrait des parties prenantes », annonce Karine Thibault en invitant les acteurs des écomatériaux à se joindre. Au-delà d’une meilleure connexion, Interplantes entend aussi promouvoir les écomatériaux et leur adoption par le milieu de la construction. Car s’il n’y a pas d’agriculture sans industriels, il n’y a pas non plus d’industriels sans architectes et constructeurs.

Dans le Grand Est

« La Région Grand Est possède des ressources stratégiques, que ce soit l’agriculture, la viticulture et la forêt qui occupe 87 % du territoire », décrit Pascale Gaillot, la présidente de la commission environnement de la Région Grand Est. Mais « c’est aussi une région très industrielle », complète Marie Metz, cheffe de projets stratégiques à la Direction économie du vivant de la Région Grand Est, et « ce tissu industriel s’appuie sur un réseau de recherche universitaire et de transfert technologique », poursuit Jean Bausset, responsable Innovation Matériaux biosourcés chez Bioeconomy For Change.

La Région Grand Est de la France possède des ressources stratégiques, que ce soit l’agriculture, la viticulture et la forêt qui occupe 87 % du territoire – Photo : Julien Goettelmann, Pexels.

 

Ce sont ces ressources régionales qui ont motivé la Région Grand Est à déployer sa Stratégie bioéconomie 2019-2022, axée sur l’économie du vivant. La région a injecté 35 millions d’euros par an et en 2022, la Stratégie s’est renouvelée et poursuivie sous le nom Ambition 2030.

Les matériaux de construction biosourcés constituent l’une des cinq priorités de la stratégie de bioéconomie du Grand Est et Jean Bausset a décrit les filières qui s’organisent autour de la transformation des fibres végétales. Il y a, par exemple, le bois avec l’École nationale supérieure des technologies et industries du bois (ENSTIB). Il y a aussi le chanvre avec la coopérative agricole La chanvrière, le Pôle européen du chanvre et le Centre de recherche et développement Arago (CRDA). Le Centre d’essais Textile Lorrain s’est lancé dans la valorisation de l’ortie. À côté de ces fibres végétales, les fibres animales ne sont pas oubliées avec des isolants en laine de mouton développés sous l’égide du Parc naturel régional de Lorraine.

Avec sa stratégie Ambition 2030, la Région Grand Est encourage « la valorisation des fibres au sein même du territoire afin de sécuriser les chaînes d’approvisionnement, de générer de l’attractivité et de créer des emplois non délocalisables », énonçait Pascale Gaillot. Dans cette vision, la question n’est pas de savoir s’il faut développer l’œuf ou la poule. « On ne peut pas dire, je commence par faire ceci, puis après je ferai cela. C’est l’œuf et la poule. Il faut interagir sur l’ensemble de la chaîne de valeur », insiste Philippe Munoz, expert au CRDA. Dans cet objectif, la région a organisé des ateliers avec les acteurs des filières pour établir des diagnostics. « Quels maillons de la chaîne manquent, est-ce que des partenariats existent déjà, quels sont les verrous scientifiques, normatifs, les besoins en matière de formation et de compétences ? », illustre Marie Metz. De ces diagnostics découle un plan d’action pour créer un écosystème autour des écomatériaux biosourcés.

Un soutien national

Si la Région Grand Est s’appuie sur ses ressources locales, elle bénéficie aussi de soutiens nationaux et même européens. Sa stratégie de bioéconomie répond en effet au Plan d’action de la Stratégie bioéconomie pour la France du gouvernement français. Les différentes filières elles-mêmes bénéficient des développements nationaux, voire d’aides européennes. La filière chanvre se développe sur le territoire national avec l’association Construire en chanvre créée en 1998, puis avec InterChanvre. Philippe Munoz a décrit l’évolution des règles professionnelles pour la bonne mise en œuvre des matériaux de chanvre. Si la première version, sortie en 2007, limitait l’utilisation du chanvre aux petites constructions d’un étage, la troisième version de 2024 autorise des applications du chanvre dans des bâtiments de 28 mètres de haut, incluant les établissements recevant du public. Les règles professionnelles reposent aussi sur la labélisation des produits du chanvre, et notamment les granulats issus de la chènevotte utilisés dans l’élaboration des bétons de chanvre. Il existe sur le territoire français quatre laboratoires reconnus pour accorder cette labélisation. Le développement de la laine de mouton mené par le Parc naturel régional de Lorraine s’inscrit plus largement dans un projet européen Interreg, mené conjointement avec la Wallonie et le Luxembourg.

Enfin, l’écosystème ne saurait être complet sans l’adoption des écomatériaux par le milieu de la construction. Là encore, le gouvernement français donne un coup de pouce avec la Réglementation environnementale 2020 (RE2020). Philippe Jourdain, président de la commission métiers et transition écologique de la Fédération française du bâtiment Grand Est, a présenté les principes de la RE2020 et notamment les seuils de carbone à respecter pour obtenir un permis de construire. Les concepteurs doivent calculer le carbone intrinsèque du bâtiment, et donc tenir compte du carbone intrinsèque des matériaux avec comme conséquence de considérer les matériaux biosourcés. Dans la même veine, le gouvernement français recense les matériaux de construction et leur empreinte carbone dans une base nationale, INIES, facilitant ainsi la réflexion des concepteurs dans leur choix de matériaux.

On ne peut que constater qu’au Québec, les écomatériaux ne bénéficient pas, pour le moment, d’un tel soutien gouvernemental. 

 

Coup d’œil sur le bois

Le Québec ne dispose pas d’une base de données nationale des matériaux et le carbone intrinsèque n’est pas encore inclus dans le Code de construction. Mais le gouvernement du Québec a su donner le coup de pouce nécessaire pour promouvoir la filière bois avec la Stratégie d’utilisation du bois dans la construction et la Politique d’intégration du bois dans la construction. Un écosystème s’est formé autour des scientifiques et les manufacturiers tandis que Cecobois multiplie les guides techniques et les formations pour les professionnels et que le Code de construction évolue pour donner plus de place au bois. Le résultat est là avec un nombre croissant de bâtiments en bois, autant résidentiels que commerciaux et institutionnels.

La Politique d’intégration du bois dans la construction présente la construction en bois comme une solution face aux changements climatiques. De fait, Pascal Triboulot, vice-président de FIBOIS Grand Est, a bien rappelé l’apport de la construction bois à la lutte contre les changements climatiques. Mais son propos est surtout une double mise en garde.

La première est que les forêts françaises souffrent des changements climatiques. Les modélisations du devenir des essences forestières françaises montrent que plusieurs sont à risque de déclin dans les Vosges. Ce déclin est déjà visible sur l’épicéa.

La deuxième mise en garde relève de la priorisation des usages du bois. Les objectifs de décarbonation font de la biomasse forestière une ressource très convoitée. « Tous les secteurs visent à décarboner leurs activités, et décarboner veut dire se tourner vers les matériaux biosourcés », observe Pascal Triboulot. Non des moindres, le secteur de l’aviation compte sur le kérosène vert produit à partir de la biomasse, notamment forestière. « Le bois devient un matériau stratégique mondial », soutient-il en s’appuyant sur un rapport de la WWF de 2013, estimant que la demande en bois devrait tripler d’ici 2050. Pas certain qu’il y ait du bois pour tous les usages et sans priorisation concertée, certains secteurs industriels pourraient se tailler la part du lion.


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