Afin de mieux comprendre la mise en pratique d’une telle installation, FORMES s’est entretenu avec Paul St-Pierre. Le gestionnaire de projet chez Induktion Géothermie à Québec est chargé de la conception du projet Dorimène Coopérative d’habitation dans le quartier Saint-Sauveur à Québec, un projet de Boon Architecture. Le projet est composé de deux bâtiments multilogements, un premier de six appartements et le second de dix appartements, et d’un sous-sol à usage industriel.
Dans le cas présent, l’usage industriel est une ferme hydroponique de laitues. La ferme produit de la chaleur de façon stable et continue, à l’année, par le biais de ses lampes UV et par l’évapotranspiration des plantes. L’hiver, l’énergie est distribuée directement au liquide caloporteur du circuit hydronique des deux bâtiments, ce qui permet d’augmenter la température du système de chauffage. On obtient ainsi une énergie peu coûteuse pour les logements par le simple fait de conserver la température et le taux d’humidité adéquat dans la ferme intérieure.
Lorsque le circuit hydronique n’est pas en demande pour les bâtiments, soit parce que les températures de consigne sont atteintes ou parce qu’il n’y a aucun besoin en chauffage, l’énergie est envoyée dans le système de géothermie qui l’emmagasine. M. St-Pierre explique : « Si la production de chaleur est stable, la demande, elle, ne l’est pas. L’idée est donc de conserver cette énergie produite tout au long de la saison chaude pour la rendre utile au retour du froid. Il existe le principe des masses thermiques, mais pour utiliser un réservoir d’eau, par exemple, il en faudrait un immense et très bien isolé. Il est donc plus pratique d’utiliser le sol comme une batterie thermique. Elle n’est pas efficace à 100 %, mais c’est bien plus compact. »
Avec cette énergie emmagasinée, les puits géothermiques sont chauffés l’été, permettant aux thermopompes géothermiques d’être très efficaces en hiver, poursuit M. St-Pierre. « On parle de coefficients de performance pouvant atteindre des valeurs près de quatre. Cela veut dire que pour un kilowatt-heure (kWh) consommé en électricité, la thermopompe fournit près de quatre kilowatts-heure d’énergie, divisant ainsi la facture du chauffage par ce même facteur comparativement à un système électrique. »
Exemple de boucle énergétique avec fonctions thermiques complémentaires selon les saisons. – Source : Marc-André Mc Donald
Faire des choix
Ce genre de conception vient avec son lot de choix difficiles à faire. Il faut donc s’interroger sur plusieurs aspects, à savoir si ce sont les rendements à court, moyen ou long terme qui seront priorisés. À titre d’exemple, le candidat à la profession d’ingénieur explique : « Il importe de pouvoir s’adapter aux changements imprévus. C’est pourquoi les puits sont dimensionnés de sorte qu’ils puissent répondre à la demande énergétique des bâtiments même si la zone industrielle venait à changer de vocation. C’est sensiblement plus coûteux à la construction, mais c’est une réflexion pour le long terme. Ainsi, les coûts d’opération resteront toujours bas pour les logements. »
Il ajoute également que la distribution du chauffage et de l’air climatisé en géothermie est complexe dans des logements de petite taille, ce qui demande une certaine optimisation dans le choix des machines. Ici, c’est un plancher radiant couplé à une tête murale qui répond à la demande. Signe que la complexité n’est pas un frein à l’intérêt de ce genre de projet, celui-ci a reçu du fonds d’investissement pour les pratiques écoresponsables Ecoleader du financement pour payer une partie des frais d’ingénierie ainsi qu’un financement de 500 000 $ du Fonds municipal vert : norme net zéro volet projet pilote. Prévu pour construction en 2022-2023, il y a déjà une phase II dans l’esprit des gestionnaires. « Ultimement, l’objectif de ce projet citoyen est de cumuler les revenus des loyers pour reproduire le modèle sur d’autres lots », explique M. St-Pierre.
Décidément, avec sa conception pragmatique et originale, Dorimène a tout pour plaire.
Boucle énergétique Angus – La mutualisation au service de l’efficacité énergétique
Quartier Angus – Photo : Frédérique Ménard-Aubin
Par Sophie de Lamirande
Situé dans l’arrondissement Rosemont–La Petite-Patrie à Montréal, le quartier Angus a reçu la prestigieuse certification LEED ND V4 Platine pour sa conception intégrée, la mixité de ses fonctions et ses infrastructures écologiques. Parmi ces dernières, le quartier se distingue par sa boucle énergétique, une infrastructure qui permet le partage et l’échange d’énergie entre les bâtiments. En plus des équipements de chauffage et de climatisation, la boucle alimente des installations centralisées qui produisent l’eau chaude domestique.
Ce réseau de tubulure rempli d’eau court sur des centaines de mètres et favorise les échanges thermiques entre quatre bâtiments totalisant 450 000 pieds carrés de commerces, de bureaux, de points de service en santé et de logements. Au moins trois autres bâtiments se brancheront au réseau dans les prochaines années.
Rien ne se perd, tout s’échange
La mixité des fonctions et la connectivité entre les bâtiments du quartier permettent de transmettre l’énergie en fonction des besoins. Lorsqu’un bâtiment est occupé et en demande d’énergie, il puise dans les rejets thermiques des bâtiments inoccupés. À titre d’exemple, la chaleur dégagée dans la journée par les espaces de bureaux peut être transmise aux usagers résidentiels qui ont besoin d’eau chaude domestique le soir venu.
« Concrètement, une technologie de thermopompage aérothermique récupère l’énergie dans l’air ambiant et l’envoie dans une boucle d’eau mitigée, qui relie les différents bâtiments. Cette énergie peut ensuite être extraite de nouveau par le même procédé et redistribuée dans l’air », explique David Goulet-Jobin, ingénieur au sein de la Société de développement Angus. Dans ce cas-ci, les rejets thermiques sont récupérés dans l’air, mais la boucle est appelée à évoluer dans le temps. « Elle pourrait éventuellement se brancher sur d’autres systèmes qui valorisent l’énergie thermique : biomasse, solaire, etc. », ajoute M. Goulet-Jobin.
Un intérêt grandissant
Les horizons sont vastes lorsqu’on parle de boucle énergétique. Le Réseau Énergie et Bâtiments a d’ailleurs tenu un symposium sur le sujet en 2021. Parmi les cas abordés, celui de la Ville de Québec est particulièrement éloquent. La Ville souhaite récupérer la vapeur d’un incinérateur de déchets et l’acheminer à une centrale thermique afin de combler les besoins en chauffage, en refroidissement et en électricité du centre hospitalier de l’Enfant-Jésus.
Vue schématique du concept de la boucle Angus à l’échelle du site. L’approvisionnement de la boucle énergétique sera apporté par des équipements d’aérothermie placés en toiture. Cette technologie de thermopompage aérothermique récupère l’énergie dans l’air ambiant et l’envoie dans une boucle d’eau mitigée, qui relie les différents bâtiments. – Source : Énergère
Réduire les coûts environnementaux
Rappelons que les rejets thermiques, lorsqu’ils ne sont pas valorisés, sont dispersés dans la nature et contribuent aux îlots de chaleur dans les milieux urbains. « On évalue que l’implantation de la boucle énergétique diminue de 26 % l’émission de gaz à effet de serre (GES) et permet une réduction de 40 %1 de la consommation d’énergie », précise l’ingénieur d’Angus. Un avantage écologique important dans un contexte de décarbonation, surtout lorsqu’on considère que le parc immobilier montréalais produit environ 28 % des émissions de GES2. Le Plan climat Montréal 2020-2030 prévoit d’ailleurs la construction de bâtiments écoénergétiques afin d’offrir aux résident(e)s des logements plus résilients et consommant peu d’énergie.
Viabilité économique
Quant aux coûts d’installation, d’exploitation et d’utilisation, ils se comparent à l’électricité. Par ailleurs, la recherche, le développement et l’expertise exigée pour aboutir à ce genre de projet d’efficacité énergétique ne sont pas à négliger. « On a fait appel à Énergère pour nous accompagner, entre autres, dans la conception et l’implantation du projet, indique David Goulet -Jobin. » Simon Wojcik est concepteur principal au sein de cette entreprise québécoise reconnue pour ses nombreuses réalisations en efficacité énergétique des bâtiments : « Nous sommes là aussi dans le suivi post-implantation, incluant l’optimisation de performance grâce à nos outils de contrôle à distance, la planification de la maintenance ainsi que le développement des méthodes de calcul pour la tarification. »
Outre ses retombées sur le plan social, environnemental et économique, le concept de la boucle énergétique est évidemment reproductible à plus grande échelle ; les grandes villes peuvent aspirer à ce type de système. Chez Énergère, M. Wojcik est confiant pour la suite : « Le principe de boucle énergétique et d’échange de chaleur va s’imposer dans un contexte de sobriété énergétique et d’évolution de nos besoins. De plus, l’optimisation des équipements permettra d’améliorer les échanges et l’efficacité. Le développement de grands centres de données au Québec ouvre aussi la voie à une future collaboration entre les boucles énergétiques ! » À n’en point douter, la mutualisation de l’énergie est un exemple à suivre pour le futur des centres urbains.
Notes