Circulariser les résidus de la construction FORMES

« L’économie québécoise est circulaire à 3,5 % », selon le Rapport sur l’indice de circularité de l’économie produit par RECYC-QUÉBEC et Circle Economy. Ce qui n’est pas recyclé est stocké, dispersé ou éliminé. Au chapitre de l’élimination, le secteur de la construction est un gros joueur.

« Les résidus de construction, rénovation, démolition (CRD) sont la deuxième matière la plus éliminée derrière les matières organiques », annonce Nicolas Bellerose, agent de recherche et de planification à RECYC-QUÉBEC. Il y a donc place à améliorer le recyclage des résidus de CRD, ce qui permettrait de rehausser la circularité de l’économie québécoise.

« Il se génère environ 3 millions de tonnes de résidus CRD chaque année au Québec, décrit Nicolas Bellerose. De ces 3 millions, 1,3 million de tonnes sont directement acheminées du chantier au lieu d’élimination et près de 1,7 million sont acheminées dans un centre de tri CRD. » Mais tout ce qui va au centre de tri n’est pas recyclé. Le Bilan 2018 de la gestion de la matière résiduelle au Québec indique que 53 % de la matière est recyclée ou envoyée en valorisation énergétique, tandis que 47 % est envoyée à l’élimination.  Ces 47 % s’ajoutent aux résidus qui sont éliminés directement sans passer par un centre de tri. Malheureusement, depuis ce bilan de 2018, la situation ne semble pas s’être améliorée.

« On pense que la performance des centres de tri est à la baisse. L’estimation pour 2020 dit que ça devrait tourner autour de 42 ou 43 % de recyclage », observe Nicolas Bellerose. Ce chiffre est cependant à prendre avec des pincettes en raison du petit nombre de centres de tri qui ont participé à l’enquête. Si la matière qui arrive aux centres de tri est aussi peu recyclée, c’est parce qu’elle est tout amalgamée. « Le centre de tri ne va pas nécessairement faire l’effort de séparer les matières. Un mur qui contient du gypse, du bois, de la laine de roche va peut-être prendre le chemin de l’élimination même si théoriquement, chacune des matières est recyclable », décrit Nicolas Bellerose. À part les métaux qui sont facilement séparables, les autres matières peinent à être recyclée.

Jeter ne coûte pas assez cher

Le bois est assez bien recyclé, quoique dans le détail, seulement 30 % est réellement recyclé et 70 % va en valorisation énergétique. « Ça ne respecte pas la hiérarchie des 3RV-E », regrette Nicolas Bellerose. Il existe pourtant une filière de recyclage des résidus de bois. Les entreprises MSL, Tafisa  et l’usine BP de Pont-Rouge récupèrent les fibres de bois pour en fabriquer des panneaux. Tafisa doit même importer de la matière recyclée du Nord-Est américain. Le problème est que les résidus de bois qui sortent des centres de tri du Québec ne présentent pas toujours une qualité suffisante pour alimenter sa ligne de production. De leur côté, les centres de tri ne reçoivent pas suffisamment de résidus de bois pour rentabiliser l’achat d’équipement qui leur permettrait un meilleur tri. Ils sont en compétition avec les lieux d’élimination et il est souvent moins cher d’envoyer les résidus à l’élimination plutôt qu’au centre de tri. « Si la matière était totalement acheminée aux centres de tri, ils auraient assez de matière pour justifier l’investissement », croit Nicolas Bellerose.

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Matières recyclées à vendre

A priori, les bardeaux d’asphalte se prêtent bien au recyclage, car l’entrepreneur qui refait une toiture envoie essentiellement du bardeau dans son conteneur à déchets. Le bardeau arrive donc au centre de tri déjà quasiment trié. Il existe aussi un débouché pour recycler ces bardeaux. Comme ils contiennent du bitume, ils peuvent entrer dans la composition de l’asphalte. Le ministère des Transports (MTQ) a même fait des essais et vérifié qu’il est possible d’incorporer de 3 à 5 % de résidus de bardeau dans le mélange d’asphalte. Partout au Québec, il y a des réfections de toitures, des usines d’asphalte et des routes à refaire. Il y a donc un potentiel d’économie circulaire en circuit court. Malgré ces avantages, le bardeau reste un résidu problématique pour les centres de tri, envoyé en valorisation énergétique plutôt qu’en recyclage. Si elles veulent incorporer des résidus de bardeau, les usines d’asphaltage doivent se conformer à la réglementation en matière d’émissions atmosphériques. Et il semble que la demande d’asphalte avec un contenu recyclé ne justifie pas l’investissement. « Le ministère des Transports autorise l’incorporation de bardeau dans l’asphalte, mais l’exige peu », constate Nicolas Bellerose. Les municipalités qui refont des kilomètres de route chaque année ne semblent pas l’exiger non plus.

Les résidus de béton, ciment, briques, concassé ont le potentiel d’être recyclés en agrégats qui peuvent être utilisés, par exemple, dans les remblais en remplacement de pierres neuves. « Il y a des recettes d’agrégats recyclés qui ont  les mêmes performances techniques », assure Nicolas Bellerose. Il y a toujours besoin quelque part de remblais, et pourtant il semble que,  là aussi, la demande pour les matériaux recyclés ne soit pas là.

« Le problème de circularité est qu’il se génère plus de matières et que la demande ne suit pas l’offre », constate Nicolas Bellerose. 

Des pistes pour faire mieux

Les solutions pour améliorer le recyclage des résidus de CRD sont connues, à commencer par la déconstruction plutôt que la démolition. C’est ce que fait Maçonnerie Gratton, qui se spécialise dans la restauration de façades en réutilisant les briques. Trier les matières à la source sur le chantier faciliterait aussi les opérations des centres de tri et améliorerait le recyclage. Mais la faible redevance à l’élimination n’encourage pas cette pratique. La Stratégie de valorisation de la matière organique prévoit justement une augmentation de cette redevance. « Elle est de 23,75 dollars la tonne en 2021 et elle doit passer à 30 dollars, indexée ensuite de 2 dollars chaque année », annonce Nicolas Bellerose, ajoutant qu’une surcharge est prévue pour les résidus CRD. C’est assurément un pas dans la bonne direction. Mais le règlement pour mettre en œuvre cette stratégie est cependant encore à l’étude. Cette stratégie vise à bannir les matières organiques, incluant le bois de construction, des lieux d’enfouissement, mais rappelons que la Politique de gestion des matières résiduelles 2011 (PGMR 2011) annonçait déjà le bannissement progressif du papier, du carton, du bois et des matières putrescibles des sites d’enfouissement et que la date butoir pour le bois était 2014 ! L’augmentation de la redevance à l’enfouissement permettra peut-être de suivre la PGMR 2011 !

RECYC-QUÉBEC

De son côté, RECYC-QUÉBEC a développé un programme de reconnaissance des centres de tri CRD pour leurs bonnes pratiques. « Des entrepreneurs s’improvisent centres de tri. Par exemple, un locateur de conteneurs qui trie les métaux et jette tout le reste ne peut pas être considéré comme centre de tri », illustre Nicolas Bellerose. Il y a aussi une zone grise quand un centre de tri envoie de la matière à un lieu d’enfouissement pour n’y être non pas enfouie, mais utilisée comme matière recyclée, par exemple dans la construction d’un chemin d’accès du site. « Dans notre programme, on a tracé une ligne. Tout ce qui va à l’élimination, ce n’est pas du recyclage et le centre doit nous démontrer qu’il a des débouchés pour au moins cinq matières », décrit Nicolas Bellerose. Pour le moment, onze centres de tri CRD ont reçu une certification de RECYC-QUÉBEC. Il faudra voir si cette reconnaissance incitera les entrepreneurs et les donneurs d’ouvrage à privilégier les centres de tri certifiés et si cela encouragera les centres non certifiés à améliorer leurs pratiques.

Il faudra voir également si ces pistes de solutions permettront de réduire les millions de tonnes de résidus de CRD qui finissent à l’élimination chaque année. « Les résidus de CRD sont la deuxième matière la plus éliminée, derrière les matières organiques », disait Nicolas Bellerose.  Mais avec la collecte des bacs bruns, la matière  organique est en baisse dans les lieux d’enfouissement. « On pense que si rien ne change, en 2022, les résidus de CRD occuperont  la première place à l’élimination », craint Nicolas Bellerose.

 


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