Premier conférencier, François Dufaux (architecte-urbaniste et professeur à l’Université Laval) relève que, si les approches diffèrent selon les époques et les régions, la question de la sauvegarde patrimoniale reste irrésolue au Québec.
François Dufaux, architecte-urbaniste et professeur à l’Université Laval. Photo :Tania Gonçalves
Où la France voit apparaître la notion dès la fin du XVIIIe siècle, où les États-Unis s’y consacrent à partir du milieu du XIXe siècle, le Québec s’interroge encore sur le quoi et le comment de la conservation, voire même sur sa pertinence. Non qu’il soit le seul ni qu’il soit totalement ignorant vis-à-vis du sujet. Le Québec connaît sa première période patrimoniale à la suite de la Seconde Guerre mondiale, où l’intérêt se dirige essentiellement vers le patrimoine rural. Après une deuxième vague plus portée sur l’aspect culturel, la période actuelle se base sur une loi de 2012, la dénommée Loi sur le patrimoine culturel. L’objet de cette dernière est de « favoriser la connaissance, la protection, la mise en valeur et la transmission du patrimoine culturel, reflet de l’identité d’une société, dans l’intérêt public et dans une perspective de développement durable » (article 1). La définition est généreuse – et elle doit l’être pour embrasser l’ensemble du secteur patrimonial, mais permet-elle une action concrète ?
L’expérience montre effectivement que chaque cas est unique, et requiert une étude personnalisée et une réponse adaptée.
Jules Auger, architecte. Photo : Tania Gonçalves
Jules Auger (architecte et professeur honoraire à l’Université de Montréal), invité d’honneur du colloque, présentait ainsi les innombrables détails techniques qu’il recensait au début des années 1980 dans le seul domaine de la maison familiale.
Fondé à la même époque, le Centre de conservation du Québec (CCQ) rassemble aujourd’hui plus de 35 spécialistes pluridisciplinaires attelés à la sensibilisation des publics et des professionnels, ainsi qu’à la restauration du patrimoine québécois (objets, biens mobiliers, œuvres et édifices).
Parmi eux, Isabelle Paradis, spécialisée en pierre et finis architecturaux, et Stéphane Doyon, restaurateur à l’atelier Bois, expliquaient lors de leur conférence commune le travail délicat qu’ils mènent aux échelles micro et macroscopique, avec le souci constant de penser à l’après.
Isabelle Paradis et Stéphane Doyon, Centre de conservation de Québec. Photos : Tania Gonçalves
Le colloque annuel sur l’enveloppe du bâtiment s’est ainsi donné le défi de confronter le thème, déjà bien délicat, du patrimoine architectural à celui qui agite actuellement les esprits dans le métier : l’efficacité énergétique. Peut-on concilier la restauration du bâti et le respect des derniers critères environnementaux et autres objectifs de durabilité ? On révèle ici un paradoxe interpellant, entre la volonté (ou l’obligation morale) de pérenniser le patrimoine existant et celle de poursuivre des normes sans cesse redéfinies, entre la pérennisation de richesses culturelles intemporelles et la soumission à des réglementations obsolètes du jour au lendemain, ou encore à un marché qui ne cesse de proposer des produits toujours plus efficients que ceux de la veille. Dans ce cadre, la problématique patrimoniale devient, comme beaucoup d’autres, une problématique économique et politique. Dénonçant le fait que rénover coûte plus cher que de détruire et de reconstruire, les participants s’accordaient sur la nécessité de poser des décisions fermes et provenant de très haut face aux tendances actuelles. Le réflexe consistant à raser du vieux pour construire du neuf, courant au Québec, est symptomatique d’une logique propre à notre société globalisée, qui veut que « quand c’est neuf, c’est mieux », dixit François Dufaux. Où la réalité du terrain n’est qu’hétérogénéité, il serait nécessaire d’accorder du temps à des cas tous particuliers. Ce que demande aujourd’hui le parc scolaire québécois, avec 75 % de bâtiments à rénover, la quasi-totalité en l’absence de plan (ces derniers détruits à l’une ou l’autre époque, faute d’intérêt pour ce patrimoine ?). Un temps « perdu » aujourd’hui, mais qui nous permettrait très probablement d’en gagner demain !