Pour un producteur de céréales, 60 % du prix de vente vient du grain et 40 % de la paille. Sur le site Haybec de commerce en ligne de paille et de foin, les petites bottes de paille carrées se vendent autour de 5 $ alors que les grosses bottes rondes peuvent atteindre 65 $. On en trouve un peu partout au Québec. Il y a donc un marché de la paille au Québec et il est essentiellement axé sur la litière pour les animaux et le paillis pour les cultures maraîchères et horticoles. Il n’y a guère de surplus pour diversifier le marché vers les matériaux de construction. D’autant plus que les conditions météorologiques fluctuantes d’une année à l’autre ne peuvent pas assurer une production régulière.
Photo : Federico Faccipieri
Il y a pourtant un potentiel, car depuis plusieurs années, le MAPAQ encourage les producteurs de maïs et de soya à intercaler une céréale dans la rotation de leur culture. « On observe une augmentation de rendement de la culture de soya ou de maïs avec l’introduction d’une troisième culture dans la rotation. Il y aurait des bénéfices agronomiques à inclure des céréales dans la rotation », explique Geneviève Régimbald. Et cela permettrait d’augmenter les superficies cultivées en céréales, et donc la production de paille.
Mais y a-t-il un marché pour produire plus de céréales ? Oui, répond la conseillère, car le Québec est autosuffisant en seigle et en avoine, mais ne comble ses besoins en blé qu’à 58 % et en orge à 66 %. « On a donc encore de la place pour augmenter nos productions d’orge et de blé », estime Geneviève Régimbald. Le potentiel serait donc là pour poursuivre l’histoire de la construction paille au Québec.
Un bâtiment vitrine de la construction biosourcée
Près de Namur, au cœur de la Wallonie, un curieux bâtiment surmonte des pieux et des troncs d’arbres bruts. C’est UP STRAW, le nouveau bureau du Cluster Eco-Construction dédié au développement de principes constructifs à l’aide de matériaux naturels. Le directeur du Cluster, Hervé-Jacques Poskin, a présenté ce bâtiment tout de bois et de paille qui devient ainsi une vitrine de la construction biosourcée.
Le bâtiment UP STRAW qui loge les bureaux du Cluster Eco-Construction en Wallonie est composé de modules 3D de bois et de paille. Il est bâti sur des pieux pour préserver l’intégrité du sol. – Photo: Denis Vasilov – Architecte : Caroline Broux, architecte associée fondatrice d’Helium3.
Ce n’est pas le premier bâtiment en bois et en paille que compte la Belgique. Mais le concept d’UP STRAW est inédit. Il est composé de modules 3D en bois, préfabriqués en usine, livrés et assemblés au chantier. Mais surtout, l’innovation réside dans la composition des murs de ces modules. Ce sont des caissons de 80 cm d’épaisseur dont les parois sont constituées de demi-grumes d’épicéa simplement torréfiées.
Découpe des grumes d’épicéa et préfabrication des modules du bâtiment UP STRAW dans l’usine du constructeur Mobic. – Photo: Denis Vasilov.
Le volume intérieur, profond de 46 cm, est rempli de paille. De l’isolant Gramitherm constitué d’herbes et présenté lors du Rendez-vous écomatériaux 2018 (FORMES, vol. 14, no 4), est également présent dans les planchers et les cloisons intérieures. Les matériaux et les usines impliquées sont situés dans un rayon de 100 km, mettant à profit les circuits courts de la région. Bois et paille sont évidemment renouvelables et seront recyclables lors de la déconstruction du bâtiment. Auquel cas, même le terrain retrouvera son état initial, car le bâtiment est monté sur pilotis sur des pieux métalliques. « La construction sur pilotis répond aux exigences de déconstruction. Il n’y a pas de fondation de béton et ça permet un retour au sol primaire », explique Hervé-Jacques Poskin. De plus, le sol non imperméabilisé continue d’absorber les eaux de pluie et ne contribue pas aux risques d’inondation (la Wallonie a subi des inondations dramatiques cet été).
Ce bâtiment, au coût de 840 000 euros, a été financé à 60 % par un programme de coopération territoriale européenne Interreg, à 30 % par la Région wallonne et à 10 % par le Cluster. Le chantier a débuté le 15 mars 2021 et seulement 3 mois et demi plus tard, au début juillet, Hervé-Jacques Poskin occupait son bureau. Le bâtiment possède aussi des salles de réunion et d’exposition et des espaces de coworking dont peuvent profiter les entreprises pour se rencontrer, travailler ou organiser des événements. Ce faisant, les visiteurs peuvent ressentir le bien-être et le confort hygrothermique et acoustique générés par les matériaux naturels. Ils ont aussi sous les yeux la démonstration que la construction biosourcée est possible en Wallonie.
Photo: Denis Vasilov
C’est possible, mais à quelle échelle et est-ce reproductible ? « Avec 1 % de la production de paille belge, on peut construire 1 500 maisons », répond Hervé-Jacques Poskin. Il ajoute qu’il se construit entre 10 000 et 15 000 maisons par année en Belgique. Autrement dit, chaque année, 1 % de la paille produite permettrait de construire 10 % des nouvelles maisons. Mais « il ne faut pas penser qu’un écomatériau va sauver la construction », rétorque Hervé-Jacques Poskin. Il enjoint plutôt à miser sur une mixité de matériaux naturels et de solutions pour construire autre chose que ce qu’il appelle « des crachats de béton et de matériaux pétrosourcés ».