Art public : le quartier comme territoire Hommage à Marcelle Ferron – Détail – Jean-Sébastien Denis

Pour saisir l’importance que revêt aujourd’hui le quartier ou l’arrondissement dans l’évolution de l’art public montréalais, nous examinerons le cas particulier de l’arrondissement d’Outremont.

Dans les années 1960, l’adoption de la loi dite du 1 % marque une étape importante dans l’évolution de l’art public au Québec par la réalisation d’œuvres intégrées à l’architecture et à l’environnement. Au fil des ans se rajoutent d’autres catégories dont le design d’événements, l’art public éphémère et l’art mural. Les matériaux aussi s’additionnent et les outils numériques forment aujourd’hui un arsenal impressionnant pour créer des environnements visuels dans l’espace de la cité. Les installations lumineuses et sonores et le vidéo mapping en sont des exemples probants.

À travers le temps, des changements s’observent également sur le plan idéologique et politique. Aujourd’hui, la municipalité s’affiche comme étant un promoteur de premier plan de l’art public sur son territoire. Plusieurs municipalités du Québec ont d’ailleurs incorporé la réalisation d’œuvres à leur mission culturelle.

Fait significatif, Montréal crée en 1989 sa propre entité : le Bureau d’art public. Ce service permettra à la métropole d’initier et de réaliser plusieurs ouvrages d’art – autant dans les parcs, les bibliothèques que sur le bâti urbain. Depuis plusieurs années, différents programmes municipaux en soutien à l’art public sont initiés, dont le Programme d’art mural (PAM) permettant aux arrondissements et aux organismes montréalais de se prévaloir de ressources financières pour créer des murales. Annuellement, Montréal voit apparaître sur ses murs une cinquantaine de nouvelles créations en plus de favoriser des œuvres intégrées dans des places publiques.

Aujourd’hui, le quartier comme territoire est devenu l’assise d’une nouvelle façon de penser l’urbanisme par la promotion d’un art public de proximité. À cet effet, l’année 2012 marque un tournant majeur pour la promotion et l’avènement du concept de quartiers culturels. L’organisme Culture Montréal postulait à l’époque que le futur de Montréal passait inévitablement par le développement de ses quartiers et l’engagement de ses citoyens. C’est aussi ce qui ressortait du Rendez-vous de mi-parcours du Plan d’action 2007-2017 de Montréal métropole culturelle organisé à l’automne 2012, où la première ministre Pauline Marois a annoncé une aide de huit millions de dollars pour soutenir l’art public dans les quartiers montréalais. La stratégie urbaine du développement culturel reposerait désormais sur le quartier ; lieu identitaire par excellence des communautés. La création, la diffusion et la médiation culturelle constituent les mots clés définissant un nouveau rapport citadin à l’art. Afin de favoriser et de recentrer l’action culturelle, la désignation de pôles distincts à l’intérieur même des quartiers est de plus en plus préconisée par la municipalité. Ainsi, le quartier culturel se subdivise en lui-même en plusieurs zones ou sous-territoires à partir du potentiel des lieux et des activités artistiques déjà existantes. Pour saisir l’importance que revêt aujourd’hui le quartier ou l’arrondissement dans l’évolution de l’art public montréalais, nous examinerons dans cette présente édition le cas particulier de l’arrondissement d’Outremont.

Outremont et l’art public

Ancienne ville fondée en 1875, l’arrondissement d’Outremont hérite d’un riche passé culturel, urbanistique et patrimonial. L’architecture résidentielle y est exceptionnelle tout comme son patrimoine paysager. Ceinturé au sud par le mont Royal et au nord par une ancienne gare de triage, cet arrondissement de 24 000 habitants quasi enclavé et construit à presque 100 % offrait peu de possibilités pour une expansion de l’art public. Aucun inventaire d’œuvres, de monuments ou autres éléments décoratifs n’existait officiellement, et cela même si l’art public à Outremont a un siècle d’existence1.

Dans le but de mesurer et de circonscrire l’étendue de son patrimoine ancien et récent en art public, la Société d’histoire d’Outremont réalise en 2010 un inventaire. Il ressort de cette publication des constats intéressants. Premièrement, sur les 37 œuvres répertoriées, près de la moitié sont des apports personnels de résidents amateurs d’art qui ornent leur façade de sculptures. Grâce à eux, un parc d’œuvres tridimensionnelles est visible de la rue sur des terrains privés témoignant de la présence de l’art dans un environnement social défini. Deuxièmement, l’apport du cimetière Mont-Royal est capital dans le rayonnement de l’art public à Outremont par l’édification d’œuvres importantes de Charles Daudelin, Marie-France Brière et Pascale Archambault. Troisièmement, seulement quelques peintures murales figurent dans le répertoire. Il s’agit d’œuvres peintes sur le mur d’institutions scolaires, dont une exécutée par des enseignants de l’école Lajoie à partir d’un dessin d’enfant, signé Nico. Cette absence d’œuvres murales s’explique par un règlement interdisant jusqu’en 2020 l’exécution de murales sur les murs du domaine public de l’arrondissement. Quatrièmement, la réhabilitation d’un ancien site industriel en un quartier résidentiel et universitaire propulse Outremont à l’avant-scène de l’art public à Montréal par l’annonce de cinq nouvelles œuvres sur le campus MIL de l’Université de Montréal2.

Exposer l’art public

La présence de l’art public sur des terrains privés à Outremont n’est pas un phénomène récent. En 1927, le maire Joseph Beaubien avait installé sur son vaste terrain du chemin de la Côte-Sainte-Catherine, la Fontaine aux chérubins ; une œuvre coulée à Paris d’après le sculpteur français Mathurin Moreau. Devant des immeubles à appartements érigés durant les années 1930 et 1940 sur l’avenue Bernard, des sculptures et des fontaines décorent l’entrée et les parterres.

L’œuvre Voluptuous Man on a Horse (vers 1976) du célèbre artiste Fernando Botero installée sur le terrain d’une résidence privée, avenue Maplewood à Outremont. Photo : Jean De Julio-Paquin

Depuis plusieurs décennies, des œuvres contemporaines embellissent la devanture de maisons, principalement dans le secteur sud de l’arrondissement. La dernière à y figurer est une sculpture du célèbre artiste colombien Fernando Botero. Titré Voluptuous Man on a Horse, l’ouvrage monumental en bronze serait l’une des trois répliques que réalisa Botero en Toscane en Italie dans les années 1970. L’œuvre appartenait à l’ex-copropriétaire de Guess Jeans, Georges Marciano et elle fut exposée un certain temps devant l’hôtel LH, rue Saint-Jacques dans le Vieux-Montréal. Les propriétaires actuels préfèrent garder l’anonymat. Selon eux, le fait d’avoir cette œuvre d’art sur leur terrain s’inscrit dans la continuité de la philosophie de l’artiste Botero qui prône l’accessibilité pour tous à l’art. Évidemment, cette réalisation monumentale située à cinq mètres du trottoir étonne par la manière dont elle s’inscrit dans le paysage. Elle s’impose d’emblée comme si l’art, à l’instar de l’architecture, voulait imprégner son environnement d’une forme esthétique originale et distincte. Elle témoigne également du mécénat privé dans la promotion de l’art public.

Art mural et initiative citoyenne

L’organisme sans but lucratif Les Amis de la place Marcelle-Ferron3 dépose en 2020 une demande au programme PAM dans le but de doter Outremont d’une première murale de grande visibilité en hommage à la peintre Marcelle Ferron, ex-résidente d’Outremont. Le site choisi est le mur arrière en acier galvanisé du Centre communautaire intergénérationnel. La localisation de l’édifice offre une perspective et un dégagement exceptionnel sur le nouvel environnement du campus MIL doté de parcs, d’appartements, de pistes cyclables et piétonnes et d’une passerelle enjambant les voies ferroviaires pour rejoindre le quartier Parc-Extension et le métro Acadie. L’œuvre agit comme un repère visuel pour les habitants, un trait d’union qui raccorde l’ancien Outremont au récent campus universitaire.

Hommage à Marcelle Ferron (2020) ; œuvre murale de Jean-Sébastien Denis sur le mur arrière du Centre communautaire intergénérationnel d’Outremont. Photo : Carol-Ann Young

L’œuvre retenue par le jury est une proposition de Jean-Sébastien Denis. De facture abstraite, la murale de plus de 40 mètres de long se situe à la fois dans la continuité de son style personnel, marqué notamment par des anamorphoses, et celui du travail de la peintre, signataire du Refus global. Des formes en complète suspension traversent un espace dynamique orchestré en plusieurs phases. Le contenu de la murale traite du mouvement, de l’infiniment grand et de l’infiniment petit et fait écho à l’enseignement scientifique dispensé au nouveau Complexe des sciences de l’Université de Montréal. Le quartier est appelé à devenir un carrefour social important par la venue d’étudiant(e)s et l’arrivée de nouveaux résident(e)s, de même que par la mise sur pied d’activités dans ce nouveau pôle culturel. La murale devient un marqueur urbain, un élément signalétique liant physiquement et symboliquement la population à un nouvel ensemble urbain revitalisé.

Nouvelle relation entre le public et l’art

Sur des murets faisant office de socle se dresse une structure gigantesque de Patrick Bernatchez composée de deux faces en béton préfabriqué. Sur l’une d’elles est façonné en 3D le relief à l’échelle d’une parcelle de la Lune, et de l’autre une paroi d’escalade. Intitulé Sérénité, l’œuvre de 21 mètres de haut domine la nouvelle place du campus MIL. Au premier regard, elle s’apparente à un monument contemporain qui s’harmonise avec la géométrie et les volumes des édifices environnants. C’est à partir de données accessibles en ligne fournies par la NASA que l’artiste a composé et taillé dans le béton la portion de la surface lunaire reproduite sur la sculpture. L’installation de l’œuvre débuta en 2019, marquant le 50e anniversaire des premiers pas de l’homme sur la Lune. Le titre de l’œuvre fait référence à la mer de la Sérénité, un cratèrelunaireen forme de cercle, le sixième en importance. Luna 21 et Apollo 17 se sont posés en bordure de cet emplacement. L’artiste utilise la figure de la Lune comme symbole du territoire à conquérir et que les avancées technologiques ont permis de faire. Quant à la paroi d’escalade, l’analogie réside dans la capacité de l’humain de pouvoir marcher sur l’une des faces de la Lune en la gravissant. Sous la supervision d’un professionnel, le site d’escalade sera offert aux citoyens de tout âge et deviendra sans conteste un lieu de rencontre fort populaire. Fait inédit, cette sculpture se double d’une fonction utilitaire, sportive et instaure une nouvelle relation entre le public et l’art.

Sérénité (2020), sculpture de Patrick Bernatchez reproduisant à l’échelle une portion en relief de la Lune sur le campus MIL à Outremont. Photo : Jean De Julio-Paquin

Ce tour d’horizon de la situation outremontaise permet d’indiquer les pistes de développement de l’art public en fonction d’un territoire précis : le quartier. L’expansion de l’art public dans les arrondissements dépend, selon nous, de trois principaux facteurs : l’espace disponible pour la construction d’édifices gouvernementaux ou parapublics ; l’initiative et l’implication citoyenne pour la production d’œuvres, incluant la mise sur pied de projets d’animation urbaine ; et l’existence de programmes gouvernementaux et municipaux en soutien à l’art public. Chaque quartier ou arrondissement possède sa propre histoire de l’art public sur son territoire. Il s’agit de la découvrir et de la valoriser comme étant un élément important de nos milieux de vie.

Notes
1 L’origine remonte dans les années 1920. Il s’agit du bas-relief en bronze du Monument aux soldats morts à la guerre du sculpteur Henri Hébert (1924) et des murales de style Art déco d’Emmanuel Briffa au Théâtre Outremont (1929).
2 En plus de la murale, cinq œuvres d’art public sont prévues – dont deux œuvres extérieures sous l’égide du Bureau d’art public de Montréal par Patrick Bernatchez et Michel de Broin, et trois œuvres intégrées dans le cadre du 1 % au nouveau Complexe des sciences de l’UdeM par les artistes Alain Paiement, Nicolas Baier et Gwenaël Bélanger.
3 Les Amis de la place Marcelle-Ferron est un organisme citoyen qui fait la promotion de l’art public dans l’arrondissement d’Outremont. La place Marcelle-Ferron – située sur l’avenue Bernard, angle de L’Épée – en constitue le foyer de rayonnement. Depuis 2012, plusieurs activités ont été organisées dont Les Bancs (2013), Les Glaces de David Farsi (2016), Les mots de Marcelle Ferron (2019) et la murale en Hommage à Marcelle-Ferron (2020) en partenariat avec MU.

Articles récents

La Machine à queeriser

La Machine à queeriser

Maxime Partouche propose une réflexion sur la théorie queer en tant qu’outil de conception, qu’il a expérimenté lors de la réalisation d’un dispositif architectural au Musée de la civilisation.


Lire la suite
110 ans de stratifié

110 ans de stratifié

Formica, fondé en 1913, lance le livre « Beyond Boomerang: A Celebration of 110 Years of Formica Patterns ». Cet ouvrage commémore 110 ans d’influence sur l’aménagement des intérieurs.


Lire la suite
Les archives des Augustines inscrites à l’UNESCO

Les archives des Augustines inscrites à l’UNESCO

Lors de la 216e session de son Conseil exécutif, l’UNESCO a approuvé la proposition d’inscription des archives des Augustines du Canada au Registre international de la Mémoire du monde.


Lire la suite
Magazine FORMES
6 numéros pour seulement 29,95 $

Restez informé avec
notre infolettre

M’inscrire...
Merci pour votre inscription, vous devez maintenant confirmer votre abonnement par courriel. Consultez votre boîte de réception.

Vous n’avez pas de compte ?

Créer un compte