Alors que l’on traverse la cour intérieure, un son unique déchire le silence : le crissement du gravier sous nos pieds. Étrange endroit que cet immense désert de cailloux exposé au soleil brûlant, entouré de grillage métallique et où se dressent à chaque tournant des pans de murs en ruine, des lambeaux de plafond par où s’infiltre une lumière crue, des dédales sombres qui sentent l’humidité. D’anciens wagons en métal, entassés contre les clôtures et au centre, deux tables de ping-pong surmontées d’un écriteau qui se lit comme suit : Demandez les raquettes aux employés. On y marche en soulevant une poussière grise et sale qui prend à la gorge. C’est une vision d’après-guerre, de destruction. Et pourtant, cet endroit bien particulier n’est pas une zone de guerre dévastée, ni même un quartier désaffecté que ses habitants ruinés ont fui. Non, ce désert poussiéreux est un temple de l’expression humaine : le Musée de l’art de rue de Saint-Pétersbourg, en Russie.
Ouvert en 2012 au numéro 84 de l’autoroute Revolutsii, le Musée de l’art de rue occupe un territoire de 11 000 mètres carrés qui était autrefois la propriété d’une usine de plastique forcée de fermer ses portes peu après la chute de l’URSS. Dmitrij Zajcev, président du conseil d’administration, évalue qu’en tenant compte de tous les bâtiments qui constituent l’usine, le musée dispose de 150 000 à 200 000 mètres carrés « qui seront peints par des artistes de partout dans le monde ».

Photo : Evgeny Popov
Alors que plusieurs se demandent s’il est réellement possible d’enfermer l’art de rue dans un musée, Dmitrij Zajcev ne doute pas que le caractère distinctif de son musée soit la meilleure façon d’y parvenir. « Tout est simple; pas besoin de détruire les murs ou les clôtures pour prendre une œuvre d’art et l’apporter dans un endroit. Nous invitons simplement les artistes au musée. » L’espace est offert aux créateurs qui le transforment selon leurs besoins. Ils ne peignent pas seulement les murs, mais installent des sculptures, des mobiles, jusqu’à des projections dans les dédales obscurs des sous-sols aux murs rongés dont chaque recoin peut servir d’écran, de toile. Même les wagons rouillés sont des « salles » qui hébergent des expositions temporaires. Ici, tout est art.

Photo : Evgeny Popov