L’attrait du monumental Installé à l’entrée principale de l’Esplanade PVM de la Place Ville-Marie, L’Anneau conçu par Claude Cormier de la firme CCxA est une œuvre in situ en acier de 30 mètres de diamètre et pesant 23 000 kilogrammes. – Photo : David Boyer

Dans les arts visuels, le « faire grand » compte et l’art public intégré à l’architecture et à l’environnement devient un des lieux importants de son expression.

La recherche du gigantesque stimule les prouesses et les innovations techniques et nécessite, dans plusieurs cas, un investissement financier important. Aussi, le dépassement des normes tant esthétiques que matérielles étonne et les médias en général misent abondamment sur cet aspect dans la promotion des productions. En art public, comme dans le sport, on peut battre des records. C’est ce que nous observons dans une large mesure dans l’actualité récente de l’art public à Montréal à travers trois œuvres de Claude Cormier, Françoise Sullivan et René Derouin.

L’Anneau de Claude Cormier (2022)

Fondée par Claude Cormier, la firme CCxA réalise L’Anneau, une énorme structure circulaire en acier inoxydable pesant 23 000 kilogrammes. Suspendue à l’entrée principale de l’Esplanade PVM à la Place Ville-Marie, l’œuvre redéfinit par sa seule présence physique l’aspect visuel du lieu. Aux bâtiments à angle droit et symétrique, Claude Cormier incorpore dans l’espace ambiant une nouvelle figure de forme orbitale. Une façon pour le concepteur récemment décédé de briser l’uniformité spatiale de l’endroit en lui opposant la forme géométrique la plus parfaite : le cercle. Pour atteindre l’effet recherché, le recours au monumental devenait nécessaire. La sphère ne pouvait interagir et influer sur l’environnement qu’à la condition d’avoir une dimension significative.

L’autre aspect intéressant de L’Anneau réside dans sa symbolique. Le cercle fait référence à l’optique. Il se rapporte à l’œil et procède ici à la manière d’une lentille géante à travers laquelle le spectateur regarde une portion du monde réel. S’intégrant dans un axe nord-sud, l’œuvre amplifie la perspective inhérente au lieu jusqu’au mont Royal. D’un classicisme assumé, cette esplanade est l’un des endroits les plus remarquables et les plus aboutis de Montréal sur le plan de l’aménagement urbain.

Dévoilée dans le cadre du 60e anniversaire de la Place Ville-Marie, la sculpture a coûté 5 millions de dollars. Elle est l’une des plus chères à être produites au Québec à ce jour. Des fonds mixtes provenant du gouvernement du Québec, de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain et d’Ivanhoé Cambridge ont été nécessaires à sa réalisation.

Damiers de Françoise Sullivan (2023)

Qualifiée de la plus haute fresque jamais réalisée à Montréal, l’œuvre Damiers de Françoise Sullivan se déploie sur une surface de 91 mètres de hauteur sur 19,5 mètres de largeur de l’hôtel Hyatt Place, rue Sainte-Catherine Est. Produit par l’organisme MU à partir d’une maquette conçue par l’artiste centenaire, l’œuvre s’inspire du motif quadrillé d’une série de peintures que la signataire de Refus global a produite dans les années 1990.

Intitulé Damiers, la murale en hommage à Françoise Sullivan est la plus haute à Montréal. Mesurant 21 000 pieds carrés, l’œuvre comprend 33 carreaux déployés sur la façade sud de l’hôtel Hyatt Place, rue Sainte-Catherine. – Photo : Olivier Bousquet.

Ce choix n’est pas sans risque. Dans les tableaux d’atelier, les formes et les couleurs appliquées sur une surface de petite dimension se répondent l’une et l’autre par des stimuli et des tensions optiques. Ce n’est plus le cas lorsque le motif est exécuté en très grand format. Ici, les damiers suivent une longue et étroite étendue rectangulaire. La mesure de chacun des damiers est presque équivalente, ce qui annule les possibilités de créer des rythmes et des mouvements visuels d’une plus grande intensité. Ce que Françoise Sullivan a peint, c’est la subtile et fragile mouvance de grandes figures géométriques aux contours flous donnant l’illusion qu’elles bougent dans un léger déséquilibre.

Peindre une si haute murale représente effectivement un défi, ne serait-ce que  par l’installation et le maniement du système d’élévation, et la coordination du travail d’équipe. La production a nécessité deux semaines de travail à temps plein par une équipe de sept peintres sous la direction des artistes Julien Sicre et Arnaud Grégoire. À même la murale, des projections complémentaires d’images vidéographiques et de photographies de performances de Françoise Sullivan sont envisagées par MU pour le futur.

Un phare sur le fleuve de René Derouvin (2023)

Le qualificatif colossal est celui le plus largement utilisé pour décrire l’ampleur de la production de René Derouin sur l’édifice MaryRobert par Devimco dans Griffintown. Dès l’annonce   du nom du lauréat en 2018, les termes utilisés dans le monde journalistique et artistique se rapportaient au caractère monumental de l’ouvrage et aux défis qui attendaient l’artiste dans la réalisation d’une œuvre en verre enchâssée à des balcons d’un édifice de 21 étages.

Un phare sur le fleuve réunit 2 325 modules en verre conçu par René Derouin. Œuvre gigantesque, elle se déploie sur deux façades de l’immeuble MaryRobert, rue Wellington dans Griffintown. Des oiseaux, des végétaux et des cours d’eau composent l’iconographie de cette œuvre. – Photo : Devimco

Bien que présentée au moment de sa création comme étant la plus grande murale du Québec, la réalisation est principalement un ouvrage de design intégré à une composante architecturale d’un bâtiment en hauteur. Inspirés de La flore laurentienne du frère Marie-Victorin, les dessins préalablement exécutés sur papier puis sérigraphiés ont été insérés à même la matière vitrifiée. En tout, 3 250 modules en verre tapissent les galeries des condominiums de motifs et d’ornements graphiques se rapportant au fleuve Saint-Laurent, à sa nature et à son phénomène migratoire.

Malgré l’aspect imposant de l’ouvrage, on ne peut le saisir dans sa totalité. Les dessins gravés se perdent, s’effacent en partie par l’action, le trajet et la réflexion de la lumière sur la surface vitrée. Ce qui diminue l’impact visuel des modules.

L’attrait du monumental ne signifie pas que les œuvres sont d’emblée réussies. Il témoigne par contre d’une tendance où le spectaculaire, l’audace et le surdimensionné deviennent, d’hier à aujourd’hui, l’un des objectifs à atteindre dans la pratique de l’art dans l’espace public.


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