Le futur post-pandémique des professions du design – Volet 1 Maître D

Comment s’amorce le futur des professions du design dans un scénario post-pandémique ? Le magazine FORMES propose une série d’articles portant une réflexion sur divers aspects des pratiques professionnelles, toutes disciplines confondues. En voici le premier volet.

Interroger les modèles d’entreprise virtuelle

Par Louis Lapointe, DGA

On sait que notre société a profondément été marquée depuis plus d’un an et, si certains professionnels sont passés d’une situation confortable à un mode de survie, d’autres, par contre, ont vu prospérer leur entreprise de façon remarquable. Mais chose certaine, il a fallu utiliser de nouvelles approches créatives et réévaluer les méthodes de travail, afin de s’arrimer à de nouvelles réalités. 

Comment s’amorce le futur des professions du design dans un scénario post-pandémique ? Le magazine FORMES propose une série d’articles portant une réflexion sur divers aspects des pratiques professionnelles, toutes disciplines confondues. En voici le premier volet.

Repenser la culture et les méthodes de travail

Bien avant la pandémie, les nouvelles technologies et l’Internet avaient permis de développer le travail à distance, offrant de nouvelles possibilités de collaborations interdisciplinaires au-delà des limites géographiques. De plus en plus, nous nous adaptons à ce mode de travail et cela semble plutôt évoluer que disparaitre. On peut donc poser la question à savoir si le lieu physique d’une entreprise reste encore pertinent.

Manuel Léveillé est designer industriel chez Alto Design. Il explique que dans un contexte d’agence, on travaille à un rythme très rapide sur plusieurs projets simultanément. Bien que le télétravail permette des horaires plus flexibles, le lieu physique facilite le suivi et l’évolution des projets de ses collègues, de façon beaucoup plus organique. Le travail à distance, quant à lui, impose une coordination plus difficile avec ses coéquipiers.

Table de travail résidentielle modulaire. Source : Manuel Léveillé

Il précise : « Dans un contexte d’agence ou tout le monde travaille sur des projets différents, la sérendipité est très importante dans un travail créatif ; voir l’écran d’un collègue ou un sketch sur son bureau peut faire jaillir une lumière dans notre tête sur un sujet complètement différent. C’est un des éléments qui manque le plus dans un travail, seul à la maison ». 

Mario Gagnon, conseiller stratégique en design industriel et cofondateur d’Alto Design ajoute : « Le lieu demeure et demeurera toujours un lieu privilégié. C’est, à mon avis, un besoin viscéral de l’être humain, car nous avons besoin d’échanger, de se toucher, de s’émouvoir ensemble. Nous avons assez étiré l’élastique et notre capacité de tolérance a été atteinte ».

À cet effet, Manuel Léveillé croit que lors de présentations à des clients, l’incapacité d’analyser leurs réactions est aussi quelque chose qui manque dans une mise en situation virtuelle.Il précise : « Les visages en mortaises ou les micros restés fermés font en sorte que nous pouvons difficilement déceler l’hésitation ou l’incompréhension d’un client sur certains points, ce qui peut rendre plus difficile de convaincre ou de vendre au client un concept ».

Il semble alors pertinent de se demander comment préserver la culture d’une entreprise, lorsque tout le monde est basé à son lieu de résidence. En d’autres mots, dans quelle mesure le télétravail affecte-t-il la synergie et le dynamisme au sein d’une équipe ?

Dispositif de monitorage de ruche d’abeille Beecon de la compagnie Nectar. Source : Alto

Malaka Ackaoui est architecte-paysagiste et urbaniste. Elle croit que la réponse à cette question se trouve dans une communication sur une base régulière. « Il est essentiel que les chefs d’équipe ou d’entreprises conservent leur rôle de leaders rassembleurs. Des rencontres, même virtuelles, en duo, trio ou en équipe élargie, permettent de s’ouvrir et d’échanger, de soumettre nos défis et discuter de manière positive pour pouvoir les résoudre ».  

Elle précise : « Ceci dit, le concept de lieu physique pourra être modulé. Nous assistons à un foisonnement d’espaces de co-working. Est-ce une voie de l’avenir ? Nous pourrons évaluer ceci dans le futur. Tout comme le co-living, le co-working change la façon de se rencontrer, de vivre ».

Pour le conseiller stratégique Mario Gagnon, une chose est claire : « Je crois qu’il faudrait faire abstraction de la culture d’entreprise, mais plutôt parler de solutions qui répondent à une culture globale. Enfermé chez soi et même en étant en contact virtuel avec tous les médias disponibles, il manquera toujours une dimension à nos solutions ou aux dites solutions ».

Pour Robert Young, designer graphique et cofondateur de Maître D, la situation de la pandémie fut plutôt bénéfique. Il mentionne que : « De fait, la pandémie nous a aidés à prendre des décisions qui nous ont permis de vraiment changer de cap. Malgré le fait qu’on a conservé la même superficie pour nos bureaux et grâce aux technologies qui favorisent le travail à distance, nous avons engagé plusieurs chargés de projets, dont l’un résidant au Saguenay et l’autre vivant à New York. Le fait d’avoir engagé des gens de l’extérieur compense un peu le manque de présentiel et apporte aussi des visions différentes, ce qui renouvelle, d’une certaine façon, notre méthodologie de travail. Nous n’aurions jamais pris en considération cette réalité avant cela. »

L’identité de la 33e édition du gala ESTim de la Chambre de commerce de l’Est de Montréal sous la présidence de RBC a été créée par Maitre D. Sous le thème « S’allier dans la diversité pour avancer », l’image suggère la lettre D sur lequel se superpose une roue composée de couleurs et formes imbriquées, évoquant la diversité et le mouvement vers l’avant. Outre une cinquantaine de déclinaisons pour les réseaux sociaux et une affiche animée, c’est l’habillage complet sur le plateau de tournage du gala diffusé de façon virtuelle qui constitue la plus grande fierté de l’agence. Photos : Maître D

Robert ajoute : « Afin de mieux préserver les liens tissés dans notre équipe et pour bien aligner le déroulement de divers projets, on demande à nos collègues de travail de se présenter aux réunions de bureau hebdomadaires durant deux ou trois heures. Tout en respectant les consignes sanitaires, nous avons fait jusqu’à présent ces réunions à l’extérieur, sur une terrasse, en adoptant la formule hybride, en présentiel et en virtuel. Nous avons aussi créé des rubriques adressées à des mini-groupes et continué ainsi à maintenir une communauté virtuelle entre employés et en lien avec nos clientèles. Grâce à une plateforme en ligne, chacun peut participer à des réseaux de discussions sur des sujets qui les passionnent, tels que les vins, les voyages ou les sports. »

Le designer, visionnaire d’un monde meilleur?

Bruce Mau1a émis l’opinion suivante lors d’une entrevue diffusée en ligne durant la dernière édition du congrès annuel Design Thinkers. « Nous ne résoudrons pas les problèmes avec les outils du passé. Le design a évolué de l’opacité vers la transparence, de la forme vers une fonction utilitaire, dont l’approche est davantage centrée sur la qualité de vie. On devient plus conscient du rôle de la profession dans le contexte d’un monde en transformation, s’il trouve son inspiration dans les modèles inspirés des cycles de la nature. »

On sait que les disciplines du design nécessitent le travail en équipe, impliquant souvent des spécialistes de diverses disciplines. Si l’on interprète la citation de Bruce Mau, il est pertinent de se poser la question sur la faisabilité d’une véritable approche pluridisciplinaire, davantage centrée sur l’humain et son environnement.Comment éviter de tomber dans d’anciens schémas et répéter les erreurs d’un passé prépandémique ?

Selon Malaka Ackaoui :« L’humain devra être au centre des préoccupations des concepteurs. C’est ce que j’ai toujours fait dans ma vie professionnelle. Se préoccuper de l’humain signifie également que nous devons nous préoccuper de l’environnement. L’un ne va pas sans l’autre. Malheureusement, je ne crois pas qu’une majorité de designers appliquent véritablement une approche pluridisciplinaire centrée sur l’humain et son environnement. Il y en a encore qui sont centrés sur leur propre discipline et ne sont pas prêts à partager le “pouvoir” avec les disciplines connexes ou complémentaires. Je crois que l’éducation a un rôle important à jouer dans ce cas. Nous assistons toutefois à un mouvement d’ouverture, souvent par de plus jeunes designers qui sont prêts à travailler en collégialité. » 

Ironiquement, la période post-pandémique nous amène à considérer de nouveaux modèles d’entreprises. Cette conjecture est potentiellement prometteuse pour une relève qui possède déjà le feu sacré. Les institutions d’enseignement peuvent-elles alors répondre à leurs attentes ; cette question fera l’objet d’un volet complémentaire à cet article.

Note
1 Bruce Mau Design, studio de design multidisciplinaire à Chicago ainsi qu’à New York emploie des personnes provenant d’une multitude de disciplines. Bruce Mau croit que le design d’aujourd’hui porte trop d’attention à l’esthétisme au détriment du message. En 2004, il coordonne un grand projet intitulé Massive Change qui propose des solutions par le design aux différents problèmes de la société actuelle et future, centrées sur l’idée d’une pratique durable. 
Source : Wikipedia

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