SDA
Malheureusement, ce constat déplorable ne surprendra pas quiconque qui connaît un tant soit peu ce territoire. Depuis des décennies, les indicateurs sont au rouge dans l’Est. Selon les propres termes de la Direction régionale de santé publique de Montréal (Portrait de santé de la population, 2018), on retrouve dans ce territoire une « présence marquée de la défavorisation matérielle ». Soulignons entre autres les groupes vivant dans des conditions économiques difficiles (monoparentalité, personnes sans diplôme, immigrants de première génération, demandeurs d’asile, prestataires d’assistance sociale, etc.). On retrouve également dans l’Est une plus grande proportion de personnes âgées et une forte prévalence de maladies chroniques telles que l’hypertension, le diabète, l’asthme et les maladies pulmonaires.
L’est de Montréal rime aussi avec des poches de pauvreté de grande densité, où les citoyens sont entassés dans des logements insalubres et mal isolés. La violence conjugale et à l’enfance y trouve malheureusement aussi un nid propice. De plus, comme nous l’avons vu avec des travailleurs de la santé en provenance de l’Est en première ligne dans la lutte contre la COVID-19, de nombreux travailleurs pauvres doivent faire de long transit vers leur lieu d’emploi avec un service de transport collectif déficient. L’Est, c’est aussi des déserts alimentaires et un grand nombre de familles qui ne mangent pas à leur faim, un phénomène d’ailleurs en explosion depuis le début de la pandémie. On parle aussi de déserts médicaux puisque peu de médecins acceptent d’y pratiquer hors des centres hospitaliers ; les patients sont trop malades, demandent trop de temps et ne sont donc pas rentables…
Et que dire de la désuétude des infrastructures existantes ? Le centre hospitalier le plus important du territoire, l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, a largement dépassé sa vie utile et se décompose sous nos yeux. Idem pour la quinzaine de CHSLD du territoire. L’Est figure également tout en haut du palmarès des écoles en plus mauvais état, sans parler du déficit majeur en espaces verts par rapport aux autres secteurs de la région métropolitaine.
Que la COVID-19 ait trouvé dans l’est de Montréal un terreau fertile pour proliférer et créer de lourds dommages ne surprend donc pas. Mais le constat n’en demeure pas moins révoltant. Cette crise était tout à fait prévisible et évitable.
La déstructuration de l’est de Montréal que nous connaissons aujourd’hui prend ses racines dans la désindustrialisation massive qu’a connue Montréal au tournant des années 1970. Avec des pertes d’emplois par dizaine de milliers, les quartiers ouvriers de la métropole se sont effondrés et ont été laissés pour compte pendant qu’étaient développées les 2e et 3e couronnes. Les conséquences de ce laisser-faire sont dramatiques. Sur le plan économique, Montréal ne tire pas pleinement profit de toutes ses ressources et se prive d’une compétitivité accrue. Mais de façon plus importante encore sur le plan humain, par nos choix collectifs, nous avons créé des perdants. Des cohortes entières de citoyens ont été larguées dans les quartiers pauvres et ont été enfermées dans des problématiques systémiques extrêmement difficiles à détricoter.
Des interventions majeures, durables et rapides doivent être réalisées pour que ce qui se passe dans l’est de Montréal ne se reproduise plus jamais. L’État a un rôle important à jouer à ce titre, et ce, en partenariat avec la société civile. Comme le soulignait Josée Blanchette dans sa chronique du 22 mai dernier, il y a des limites à demander à des gens nés dans le mauvais code postal de se réinventer et de persévérer dans des circonstances qui vont bien au-delà de leur contrôle.
Un premier pas a été franchi en décembre 2018 lorsque le gouvernement du Québec nouvellement élu et la Ville de Montréal signaient une Déclaration pour revitaliser l’est de Montréal, reconnaissant ainsi les grands besoins du territoire. Nous avons salué à maintes reprises cette volonté d’agir. Nous devons aujourd’hui aller plus loin et surtout passer à l’action.
Nous jetons ici quelques idées pour amorcer cet urgent travail : mettre sur pied un comité interministériel sur l’est de Montréal (en incluant par exemple les ministères de l’Immigration, de la Santé, de la Métropole, de l’Économie, du Travail, etc.), aller de l’avant rapidement avec les grands projets d’infrastructures (prolongement de la ligne bleue, REM dans l’Est, reconstruction de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont, érection d’une antenne du CLSC dans le nord-est de Montréal-Nord, programme de rénovation massif des écoles, programme de rénovation des logements, etc.), « forcer » la mise sur pied de cliniques médicales, reconnaître le rôle vital des groupes communautaires sur le terrain et rehausser leur financement, collaborer avec la société civile pour le déploiement d’innovations sociales adaptées à la réalité de chaque quartier (par l’entremise entre autres d’initiatives en économie sociale), etc.
Il est indigne d’une société dite civilisée qu’on ait eu à attendre une crise d’une telle gravité pour prendre collectivement conscience de l’indigence dans laquelle vivent de trop nombreux de nos concitoyens. Pour que cela « aille bien » dans l’Est aussi et pour l’affranchir des profondes inégalités sociales et économiques qui y prévalent, l’occasion doit être saisie pour faire émerger un modèle de développement à la hauteur des défis écologiques, sociaux, économiques, culturels et numériques du XXIe siècle, et façonner un territoire plus juste et plus équitable.