Sept bénéfices
- Captation du CO2
- Assainissement de l’air
- Création d’espaces verts
- Gestion des eaux pluviales
- Réduction des îlots de chaleur
- Augmentation de la biodiversité
- Amélioration de la santé globale des citadins
Des effets pervers
Mais remontons d’abord à la source du problème. Dans les villes industrialisées, la gestion des eaux pluviales est surtout orchestrée du point de vue du génie civil. Les routes, les toitures, les trottoirs et les stationnements sont en effet conçus pour diriger la pluie vers le réseau d’égout. Cette approche vient cependant modifier le cycle naturel de l’eau en détournant le processus d’infiltration de l’eau dans le sol et en éliminant la captation de l’eau par les espaces végétalisés.
Les eaux de ruissellement concentrent par ailleurs des polluants atmosphériques, qui se mélangent aux sédiments, aux hydrocarbures et aux métaux lourds lessivés par le ruissellement. Lorsque les ouvrages de surverse prennent le relais, cette eau se retrouve directement dans le milieu récepteur. À la longue, les matières organiques qu’elle contient, comme le phosphore et l’azote, mènent à l’eutrophisation du milieu, en favorisant la prolifération végétale et un appauvrissement en oxygène.
Les déversements ponctuels sont également synonymes de changements morphologiques, sous l’effet de l’érosion des rives et de l’accumulation de sédiments étrangers. Ces changements augmentent par ailleurs le risque de crue lors d’événements climatiques exceptionnels. Enfin, dans les villes où réseau pluvial et réseau sanitaire ne font qu’un, les rejets contiendront aussi des produits pharmaceutiques et des agents pathogènes, comme des streptocoques et des coliformes fécaux.
Jardins de pluie aménagés au projet Bonaventure à Montréal et sur un terrain résidentiel à Laval. Source : Groupe Rousseau Lefebvre.
Pour préserver les plans d’eau, il convient donc de réduire les volumes d’eau qui transitent dans le réseau d’égout. Et c’est là que les phytotechnologies interviennent. En se comportant comme des milieux humides, les bassins de biorétention, les toits verts et autres noues filtrantes contribuent activement à réduire les débits de pointe en rétablissant l’infiltration des eaux pluviales dans le sol.
Une évolution tranquille
« Depuis une dizaine d’années, on observe un changement de paradigme dans la gestion des eaux pluviales au Québec, constate Mélanie Glorieux, vice-présidente du Groupe Rousseau Lefebvre, une firme qui se spécialise notamment en architecture du paysage. De plus en plus d’infrastructures vertes, comme des bassins de rétention et des pavés drainants, et de phytotechnologies sont introduites dans les villes et les projets privés. Mais on sent encore de la réticence. »
Cette réticence n’est pas près d’être vaincue, croit Stéphanie Petit, coordonnatrice du secteur Eau à Réseau Environnement. « La gestion des eaux pluviales est encore peu réglementée au Québec, observe-t-elle. On voit de plus en plus de projets pilotes, mais on aurait besoin d’un cadre plus rigide. La refonte de la Loi sur la qualité de l’environnement est en cours, mais selon nous, elle ne contient pas assez de règlements pour favoriser l’implantation des phytotechnologies. »
En effet, la Loi modifiant la Loi sur la qualité de l’environnement vise à moderniser le régime d’autorisation environnementale et d’autres dispositions législatives qui en découlent. Elle prévoit aussi l’édiction de nouveaux règlements, dont le Règlement sur l’extension d’un système de gestion des eaux pluviales admissible à une déclaration de conformité. Ce règlement présente les normes de calcul et de conception devant être respectées pour que l’extension d’un tel système puisse être soustraite au processus d’autorisation du ministère de l’Environnement, un processus long et fastidieux.
Des outils de conception
« À l’heure actuelle, les concepteurs disposent du Manuel de calcul et de conception des ouvrages municipaux de gestion des eaux pluviales, un guide préparé par le ministère de l’Environnement, indique Stéphanie Petit. Son objectif est d’établir les règles et les critères de calcul et de conception pour l’installation ou le prolongement d’égouts pluviaux. Il sera converti en règlement dans la prochaine version de la LQE. »
Mais il y a un hic. Le manuel de calcul et de conception se limite aux bassins de rétention – à sec ou à retenue permanente –, aux fossés engazonnés et aux séparateurs hydrologiques mécaniques. Tout ce qui est biorétention, toitures végétalisées et pavés perméables est exclu du manuel. Cependant, à la suite d’une révision en avril 2017, le ministère de l’Environnement les prend tout de même en compte en exigeant que les plans et devis de ces ouvrages verts soient préparés par un membre en règle de l’Association des architectes paysagistes du Québec (AAPQ).
Bassins de rétention aménagés dans le quartier Centropolis à Laval ainsi qu’au parc des Semis dans un quartier résidentiel de Longueuil. Source : Groupe Rousseau Lefebvre.
Pour aller plus loin sur ces questions, le ministère de l’Environnement et le ministère des Affaires municipales ont produit un autre ouvrage de référence, le Guide de gestion des eaux pluviales, qui énonce les stratégies d’aménagement, les principes de conception et les pratiques de gestion optimales (PGO) pour les réseaux de drainage.
« Il y a aussi de nouvelles normes CSA sur les systèmes de biorétention et de biofiltration qui s’en viennent, signale par ailleurs Stéphanie Petit. Le ministère de l’Environnement prépare en plus des tables de cocréation sectorielles, dont les membres proviendront de différentes instances et organisations concernées par la gestion des eaux pluviales et le drainage urbain. Leur mission sera, d’une part, de valider et de bonifier la réglementation et, d’autre part, de préciser les concepts et d’identifier les freins. Ça devrait faire avancer les choses. »
Des bienfaits nombreux
Car le temps presse. Selon les projections du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), il ne fait aucun doute que la fréquence et la durée des précipitations extrêmes vont s’intensifier partout sur le globe au cours des décennies à venir. Pour inverser cette tendance apocalyptique et réduire la pression sur le réseau municipal, une seule solution s’impose : la révision des diagrammes d’urbanisation afin de ramener le verdissement au centre des décisions.
« Tout ce qui est plus vert possède le potentiel de créer un écosystème, d’augmenter la biodiversité dans les villes, commente Mélanie Glorieux. Les plantes contribuent aussi au cycle de l’eau par évapotranspiration, par infiltration et par filtration. Plus la plante est grosse, plus elle sera capable de capter et de traiter les eaux de ruissellement. À lui seul, un arbre adulte peut absorber jusqu’à 1,8 m 2 d’eau par année. C’est en soi une phytotechnologie et son rôle est très important en ville. »
Elle ajoute que les bienfaits des ouvrages de biorétention, la phytotechnologie la plus populaire à l’heure actuelle, vont au-delà de la biodiversité et de la captation des eaux pluviales. Les végétaux qu’ils mettent en scène contribuent en outre à assainir l’air des villes et à abaisser les températures, en luttant contre l’effet d’îlot de chaleur en milieu urbain. De plus, il a été démontré que les espaces verts influent de manière positive sur la santé mentale et physique des êtres humains.
Toits végétalisés sur des puits de lumière aménagés sur l’esplanade de la Place des arts à Montréal. Photo : Michel Bouliane.
S’il devient impératif de multiplier ces initiatives et de faire en sorte que ces aménagements végétalisés deviennent la norme en ville, il reste que, sous nos latitudes, la partie n’est pas gagnée d’avance. « Le sujet est maintenant bien documenté, mais, à cause de notre climat, on doit expérimenter en termes d’installation comme de végétaux, relève Jacques Brisson. Au Québec, on fait face à des enjeux particuliers, comme le ramassage de la neige. Cela demande d’adapter les ouvrages de bord de rue. Il faut créer des zones de biorétention, tout en respectant les autres usages. »
Pour que les phytotechnologies prennent le haut du pavé, il reste quand même tout un travail d’éducation à accomplir, tant auprès des citoyens que des décideurs. « Il faut agir à tous les niveaux pour réduire la quantité d’eau en amont, note Mélanie Glorieux. Chaque petit geste compte. Au niveau du lotissement, en recueillant par exemple l’eau des gouttières ou en aménageant un toit vert, comme au niveau municipal, par phytotechnologies. C’est à cette seule condition qu’on protégera le milieu récepteur. »