« En termes économiques, il est concevable de s’exposer aux risques d’inondation si les bénéfices sont supérieurs aux coûts », commente Jean-Philippe Meloche, professeur à l’École d’urbanisme et d’architecture de paysage de l’Université de Montréal. Ce n’est pas pour rien que les Européens se sont installés d’un bout à l’autre du fleuve Saint-Laurent, colonisant le territoire, mais aussi la nature.
Les changements climatiques sont là
Cartes anciennes à l’appui, GianPiero Moretti montre comment les Européens ont bâti la Basse-Ville de Québec en éliminant un méandre de la rivière Saint-Charles et comment ils ont urbanisé la côte de Beaupré en comblant les battures. « Une attitude colonisatrice de la nature a pris place avec une superposition de structures artificielles sur les espaces naturels », poursuit GianPiero Moretti.
La rivière Saint-Charles faisait autrefois deux méandres avant de se jeter dans le fleuve Saint-Laurent. Cette reconstitution montre comment la Basse-Ville de Québec et le Vieux-Port se sont construits en empiétant sur la rivière Saint-Charles et son embouchure. Source : @ Creare_Gianpiero Moretti
Des quartiers ont été construits en zones inondables, protégés des inondations par des digues, ce qui a maintenu l’équilibre entre les coûts et les bénéfices. Mais les catastrophes engendrées par les changements climatiques sont en voie de briser cet équilibre. « Chaque décennie est plus chaude que la précédente. En 2020, la température moyenne était 1,2 °C plus élevée que durant la période préindustrielle. On s’approche du 1,5 °C. La récurrence des anomalies extrêmes de précipitations augmente, les risques hydriques vont augmenter et les conséquences des inondations vont s’accentuer », enchaîne Philippe Gachon, professeur au Département de géographie de l’Université du Québec à Montréal et directeur du Réseau Inondations intersectoriel du Québec (RIISQ). Au Québec, les inondations de 2011 dans la vallée du Richelieu, de Saint-Raymond en 2012 et 2014, et celles de 2017 et 2019 qui ont frappé de Gatineau à Montréal sont sans doute un prélude aux inondations à venir.
Zoom sur Pointe-Fortune et Sainte-Flavie
François Bélanger, le maire de Pointe-Fortune, relate les inondations de 2017 et 2019. Il faut dire que Pointe-Fortune, qui compte à peine 600 habitants, a le malheur d’être située juste en aval de la centrale hydroélectrique de Carillon du côté de l’évacuateur de crues et se trouve donc aux premières loges pour subir les inondations. « En 2017, raconte le maire, le débit du barrage a atteint 2 900 m3/s.
À Pointe-Fortune, des riverains construisent des murs pour empêcher l’eau d’avancer sur leur terrain. D’autres installent des blocs de béton pour empêcher l’eau de gruger la rive. Ces interventions offrent une protection ponctuelle, car l’eau frappe encore plus fort les terrains non protégés. Source : François Bélanger
Le cœur de la municipalité était sous l’eau. Quatorze propriétés ont été évacuées et trois maisons et un commerce ont été perdus. En 2019, le débit a atteint 9 500 m3/s. » Une étude de l’Université Laval, commandée par la MRC de Vaudreuil-Soulanges, décrit comment l’infrastructure du barrage et les murs de protection érigés par les riverains pour se protéger aggravent la situation. « Les vagues frappent les murs, rebondissent et amplifient d’autres vagues qui reviennent s’abattre sur des sections de rives non protégées en les érodant », explique François Bélanger. C’est là un exemple criant et dramatique de superposition de structures artificielles sur les espaces naturels mentionnée par GianPiero Moretti. Cet exemple fait aussi ressortir comment les protections mises en place individuellement par les citoyens ne font que déplacer le problème en aggravant l’érosion des berges.
Les villes côtières du Bas-du-Fleuve auraient pu se croire à l’abri de ces rivières qui débordent de leur lit, mais les grandes marées de 2010 ont révélé qu’un autre type d’inondation les menace. Cet hiver-là, le faible couvert de glace n’a pas protégé les rives de la fureur des vagues et 90 maisons ont dû être détruites ou déplacées. GianPiero Moretti a particulièrement étudié cette érosion côtière à Sainte-Flavie. Le village est étalé le long du fleuve et les résidents se protègent des grandes marées chacun à leur manière. Et là aussi, les murs apportent une protection ponctuelle, mais provoquent des remous qui érodent la côte plus loin. « La diversité des réponses de chacun risque d’accentuer le problème », prévient-il.
Érosion côtière, Sainte-Flavie
À Pointe-Fortune comme à Sainte-Flavie, les changements climatiques sont à l’œuvre et les municipalités tout comme les riverains semblent bien démunis dans leur tentative de se protéger de la fureur des eaux. Surtout, les mesures d’adaptation disparates révèlent un manque de concertation comme si des vases clos empêchaient d’avoir une vision d’ensemble pour apporter une réponse mieux adaptée.