La deuxième moitié du 20e siècle annonce de grands chantiers de rénovation urbaine menés dans les villes nord-américaines. En opposition à ces projets prennent forme des mouvements résidents organisés. C’est dans ce contexte et de manière réactive qu’apparaît une multitude de mouvements sociaux urbains et qu’émerge une véritable « conscience collective2 » cherchant à créer des changements dans le milieu urbain, en plus de revendiquer une planification de la ville plus en harmonie avec les aspirations des résident(e)s qui y vivent. De cette mouvance sont issues notamment les approches de community planning, de développement local et d’autres que l’on connaît aujourd’hui sous le nom d’urbanisme participatif. Plus encore, des approches qualifiées d’urbanisme communautaire émergent au cœur des communautés.
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Une démarche d’urbanisme communautaire tire son origine d’un mouvement populaire identifiant un problème ou un enjeu dans le milieu urbain qui l’entoure. Parfois en réaction à un projet d’aménagement dans leur milieu de vie ou tout simplement pour améliorer ce dernier, des membres de la communauté se rassemblent et forment un groupe actif qui lutte pour bonifier ou faire reculer un projet, par exemple la préservation d’un lieu ou l’intégration d’un aspect spécifique au projet. On reconnaît l’urbanisme communautaire à la réappropriation par ces membres du langage, des outils et expertises de l’urbanisme, réappropriation qui est notamment possible grâce à l’appui d’instances extérieures telles que les organismes communautaires. La visée est la création d’une vision concertée et rassembleuse pour le devenir de leur milieu de vie. Il s’agit donc de membres s’investissant dans leur communauté de manière collective et concertée, n’ayant pas nécessairement de leviers auprès des instances municipales, outre leur activisme et leurs partenariats.
Des mouvements populaires qui gagnent à prendre de l’ampleur au Québec
Des démarches d’urbanisme communautaire peuvent être observées dans la province. Une recension de telles initiatives québécoises a été réalisée par le Centre d’écologie urbaine de Montréal en 2022. De 2003 à 2021, 26 initiatives d’urbanisme communautaire ont été recensées au Québec. Il existe une grande variation sur l’ampleur, l’échelle, la mobilisation de chaque démarche et sur la portée de chacune, tout comme sur la documentation permettant de mieux comprendre les 26 initiatives. Parmi celles-ci, une dizaine d’interventions ont été choisies et étudiées afin de mieux cerner les conditions de réussite de l’urbanisme communautaire au Québec et leur apport potentiel dans l’aménagement des milieux de vie.
Cette analyse a permis d’établir deux grands constats. D’abord, l’urbanisme communautaire prend principalement naissance au sein de mouvements sociaux urbains. C’est habituellement un groupe de résident(e)s qui se forme autour d’un enjeu urbain qui instigue des démarches. Cela dit, la mobilisation populaire à elle seule est insuffisante pour avoir un impact tangible (modification de la planification ou des politiques publiques, influence sur la transformation d’un milieu, etc.). Selon les résultats de la recension, l’implication d’un organisme communautaire ou d’un acteur organisé de la communauté augmente grandement la réussite de la mobilisation et l’obtention de gains ou d’engagements. La moitié des 26 initiatives ont été accompagnées par des organismes communautaires et il s’agit des seules démarches documentées ayant eu un impact.
Dans un deuxième temps, nous avons découvert que la vaste majorité des démarches d’urbanisme communautaire recensées se sont déroulées sur l’île de Montréal, à l’exception d’une se trouvant à Laval. Les démarches d’urbanisme communautaire réalisées dans les dernières décennies sont donc concentrées dans la métropole, dans des milieux généralement denses, ce qui peut s’expliquer par la concentration de ressources communautaires et la proximité des individus.
L’urbanisme communautaire, une voie à encourager pour favoriser la transformation et la consolidation de nos milieux de vie
Les municipalités font face à des enjeux de plus en plus critiques : la crise du logement et les craintes que peut inspirer le développement chez les résident(e)s, les changements climatiques, l’étalement urbain et le besoin de consolidation des milieux bâtis, etc. L’urbanisme communautaire révèle une occasion de créer des interfaces collaboratives entre la population et les pouvoirs publics, de revisiter le rapport de pouvoir traditionnel, de développer le pouvoir d’agir et d’éduquer sur le territoire et la transition écologique.
Il est primordial d’encourager, d’appuyer et d’outiller les démarches d’urbanisme communautaire afin d’amplifier la voix de la population et de l’encourager à prendre part de manière active à son environnement. Une communauté ne s’auto-organise pas : il doit y avoir des dispositifs collectifs au pouvoir d’agir, et c’est ce que proposent les démarches d’urbanisme communautaire. Il est donc important de créer un terreau fertile à l’émergence de tels mouvements à l’extérieur des grands centres, en fournissant les ressources nécessaires aux initiatives citoyennes cherchant à générer un changement significatif dans toutes les régions du Québec.
Vision découlant d’une démarche d’urbanisme communautaire pour le parc des Gorilles dans Marconi-Alexandra à Montréal. – Source : Les Ami[le]s du parc des Gorilles
L’urbanisme communautaire nous démontre que d’autres avenues permettant de déterminer le futur d’un milieu existent. Ces voies de remplacement, où le crayon n’est pas entre les mains de parties prenantes politiques ou économiques influentes, ont réussi à façonner certains milieux québécois ; pensons aux nombreuses initiatives réalisées grâce à l’impulsion de la communauté dans Pointe-Saint-Charles, à l’engagement de la population de Côte-des-Neiges dans le dossier de l’ancien hippodrome ou encore à la mobilisation relative à certains espaces verts tels que le parc des Gorilles ou les Amis de Meadowbrook.
Notes
1 Démarche de planification ou d’aménagement unifiant les professionnel(le)s détenant les connaissances techniques et les citoyen(ne)s expert(e)s de leur milieu, des problèmes vécus et des besoins (CEUM).
2 CASTELLS, M. The City and the Grassroots, 1983.