Architecture de terre – Architecture de fibres Centre culturel Thread, Sénégal – Photo : Iwan Baan

Lors du Rendez-vous des écomatériaux 2021, l’architecte française Dominique Gauzin-Müller nous présentait quelques-uns des finalistes du TERRAFIBRA Award, un concours innovant réalisé dans le cadre d’une démarche en lien avec le renouvellement des ressources.

Une architecture frugale et créative en terre crue et fibres végétales

Par Dominique Gauzin-Müller

Professeure honoraire de la chaire UNESCO « Architectures de terre, cultures constructives et développement durable », l’architecte française Dominique Gauzin-Müller enseigne dans plusieurs universités internationales. Elle a écrit 21 ouvrages et créé plusieurs expositions dédiées à une approche écoresponsable de l’architecture et de l’aménagement des territoires. C’est pour valoriser les matériaux biosourcés et géosourcés qu’elle a initié et coordonné le TERRA Award puis le FIBRA Award, aujourd’hui regroupés en TERRAFIBRA Award. Le manifeste pour une frugalité heureuse et créative qu’elle a lancé avec Alain Bornarel et Philippe Madec a déjà été signé par 13 000 personnes (www.frugalite.org). Mme Gauzin-Müller nous présente quelques-uns des finalistes du TERRAFIBRA Award.

 

Le bâtiment est le plus grand consommateur de ressources et d’énergie et l’un des plus gros producteurs de déchets. Il est également responsable de près de 40 % des émissions de CO2. Face à cette inquiétante réalité, les professionnels du secteur doivent engager immédiatement une mutation complète de leurs habitudes polluantes et gaspilleuses. L’enjeu est de passer d’une architecture prédatrice à une architecture frugale, faisant appel aux ressources des territoires et déclinant de manière contemporaine des cultures constructives millénaires, délaissées au siècle dernier.

Le TERRAFIBRA Award, premier prix mondial des architectures contemporaines en terre crue et en fibres végétales, est porté par amàco et les Grands Ateliers. Il associe le TERRA Award 2016, prix mondial des architectures en terre crue, et le FIBRA Award 2019, prix mondial des architectures en fibres végétales. Le nouveau palmarès s’inscrit dans la dynamique des précédents et présente aux professionnels et au grand public des bâtiments inspirants, dans l’espoir de nourrir leur créativité.

Allier terre et fibres végétales dans cette troisième édition valorise la mixité des matériaux et réaffirme l’importance de l’intelligence constructive, qui utilise la juste quantité du bon matériau au bon endroit. La mise en lumière de la complémentarité des matières et de la grande diversité des techniques démontre qu’il est possible d’enrichir le projet architectural en recourant à des ressources renouvelables disponibles à proximité. Mettre en exergue la richesse des architectures de terre et de fibres, c’est aussi proposer une solution de rechange à l’hégémonie du béton armé, responsable d’environ 8 % des émissions de CO2.

Issus de 62 pays, les 310 candidats du TERRAFIBRA Award confirment que des pratiques vertueuses, inscrites dans des territoires très variés, existent à travers le monde. Enthousiastes, passionnés et généreux, les acteurs de ces réalisations rendent crédible l’utilisation de matériaux biosourcés et géosourcés ancrés dans le contexte local. Leurs choix associent des critères sociaux et écologiques aux aspects économiques.

L’objectif du TERRAFIBRA Award est aussi de souligner le courage des maîtres d’ouvrage, la créativité des concepteurs et le savoir-faire des artisans et entrepreneurs qui privilégient la terre crue et les matériaux en fibres végétales. Construits avec les ressources du territoire dans le respect de l’esprit du lieu, ces exemples font ressortir leurs qualités esthétiques, leurs avantages constructifs et leurs bénéfices environnementaux. Ils offrent des preuves tangibles qu’une architecture frugale émerge sur toute la planète, et qu’elle est créative et désirable.

Les 40 finalistes du TERRAFIBRA Award font l’objet d’un catalogue et d’une exposition itinérante intitulée TerraFibra Architectures à Paris. Le catalogue est distribué par le Pavillon de l’Arsenal. Se procurer le catalogue.

 

Architecture de terre

Anandaloy, centre pour personnes handicapées et atelier de couture, Rudrapur, Bangladesh

Anandaloy est au cœur de Rudrapur, un village situé au nord du Bangladesh. La rampe qui s’enroule autour du bâtiment occupe le devant de la scène pour montrer aux personnes handicapées qu’il leur est dédié. Dans l’atelier de l’étage, des femmes du village cousent les vêtements, sacs et coussins distribués par le label équitable Dipdii Textiles, créé par l’architecte Anna Heringer. Les constructions en terre et en fibres végétales ont, pour l’architecte allemande, « un énorme potentiel pour atténuer les problèmes majeurs de notre époque : changement climatique et pauvreté ». La majeure partie du budget de construction a profité à la communauté. Le bambou a été acheté aux agriculteurs locaux, et le chantier, entièrement réalisé à la main, a apporté du travail à une population souvent désœuvrée. Le mélange de boue et de paille des murs en bauge a été déposé couche par couche sur le soubassement en briques, puis arasé à la bêche. L’absence de coffrage autorisant des formes souples, le projet explore les capacités plastiques de la terre. Le bâtiment en retire une identité forte qui célèbre la diversité et la fantaisie. Tout en courbes, Anandaloy danse et mérite son nom : « lieu de joie » en bangladais.

Photos : Kurt Hoerbst – Architecture : Anna Heringer – Matériaux : murs en bauge (terre crue et paille de riz), charpente en bambou, isolation de la toiture en paille de riz et fibres de coco, couverture des vérandas en chaume.

 

Centre de services communautaires du village de Macha, Huining, Chine

Les futurs usagers du centre de services communautaires du village de Macha ont participé à l’élaboration du programme, qui regroupe bibliothèque, garderie, dispensaire, épicerie avec cybercafé et salle multifonctionnelle. Selon la tradition locale, les différents services sont répartis dans plusieurs volumes indépendants disposés autour d’une placette en suivant la pente du terrain naturel. Chaque bâtiment bénéficie ainsi d’une exposition maximale à la lumière du jour, d’une ventilation traversante et d’une large vue vers la vallée et ses cultures en terrasses. De multiples petits trous ménagés dans le mur de l’école maternelle y créent un nuage d’étoiles. Sur le plateau de Lœss, la terre est la seule matière première abondante. Elle est utilisée pour la construction de presque tous les bâtiments, mais les habitants la considèrent comme un « matériau de pauvre ». Améliorer cette image est l’un des objectifs de ce projet initié par la fondation Bridge to China, qui vise une meilleure valorisation de toutes les ressources disponibles localement à travers des formations en agriculture, artisanat, éducation, etc. Le chantier a permis d’initier villageois, artisans locaux et étudiants en architecture de Xi’an et de Pékin à la construction en pisé.

Photos et architecture : OnEarth Architecture/Wei Jiang et Jun Mu – Matériaux : pisé non stabilisé damé sur site (terre 50 %, gravier 30 %, sable 20 %).

 

Internat de l’école Canuanã à Formoso do Araguaia, Tocantins, Brésil

L’école Canuanã a été créée il y a quarante ans pour améliorer l’enseignement dans une région rurale, proche de la forêt amazonienne. De la maternelle à une formation en agriculture, elle accueille plus de 800 enfants et adolescents. Le campus offre à la fois un centre éducatif et un foyer chaleureux. Depuis 2017, deux nouveaux internats de 270 lits chacun accueillent les élèves du primaire dans un lieu qui a nettement amélioré leur qualité de vie et leurs résultats scolaires. Leur conception a été inspirée par des réflexions sur les cultures locales et la création d’un sentiment d’appartenance. Au lieu de répéter l’organisation classique des grands dortoirs, chaque ensemble comprend 45 chambres de 6 personnes, disposées au rez-de-chaussée autour de 3 cours intérieures. Sous la vaste toiture, l’étage abrite des salles d’étude et de loisirs ainsi que des espaces pour lire ou discuter dans le balancement des hamacs, à l’abri du vent et du soleil. Ces zones communes, conçues avec les élèves, rendent leur quotidien plus agréable dans une région où la chaleur est intense et constante tout en renforçant les liens entre eux et avec leur école.

Photos : Cristobal Palma – Architecture : Estúdio Gustavo Utrabo, Pedro Duschenes et Marcelo Rosenbaum – Matériaux : murs de blocs de terre comprimée stabilisée BTCs, structure en lamellé-collé d’eucalyptus.

 

Architecture de fibres

La Ferme du Rail, Paris, France

La Ferme du Rail est un lieu de vie et de formation réalisé dans le cadre de l’appel à projets Réinventer Paris 1, lancé par la Ville en 2014. Cette opération militante, initiée par des habitants et associations du 19e arrondissement, prouve qu’un autre mode de vie est possible, même dans une métropole. Son modèle économique écoresponsable, fondé sur les circuits courts, allie maraîchage urbain et solidarité afin de générer une activité agricole créatrice d’emploi. Deux constructions en bois isolées en paille encadrent le potager. À l’ouest, la résidence héberge 15 personnes en insertion et 5 étudiants en horticulture. Au nord, le bâtiment d’exploitation regroupe une grande serre, des ateliers, une champignonnière et un restaurant. Les clients y dégustent les fruits et légumes produits sur le site et ceux d’agriculteurs partenaires. La Ferme du Rail fournit aussi plusieurs services : collecte et traitement des déchets organiques, service d’entretien des espaces verts, organisation d’ateliers et de manifestations, etc. En accueillant tous les publics pour une initiation à de nouvelles formes d’agriculture et d’alimentation, cet équipement de quartier suscite réflexions et échanges sur la place à donner à la nature en ville. Frugal, joyeux et créatif, le projet commence à faire des émules…

Photos : Clara Simay – Architecture : Grand Huit/Julia Turpin et Clara Simay – Matériaux : structure en bois, isolation en paille, bardage en perches de châtaignier.

 

Rénovation thermique d’un immeuble patrimonial, Paris, France

Cette rénovation a nettement amélioré le confort et réduit les charges des habitants d’un petit îlot situé dans un quartier dense du 14e arrondissement de Paris. L’opération comprenait le ravalement des façades sur cour des deux immeubles et une isolation par l’extérieur en chaux-chanvre, qui a réduit les déperditions thermiques de plus de 50 %. Le chantier en site occupé fut un premier défi. L’autre challenge était la présence de frises colorées, corniches et garde-mangers, qui donnaient à cette rénovation une dimension patrimoniale. Le chantier s’est déroulé en plusieurs phases : moulage des modénatures existantes, reprise complète de ces modénatures et des enduits, mise en œuvre d’un gobetis et d’un corps d’enduit isolant en chaux-chanvre (8 cm), application d’un second enduit chaux-chanvre et fixation de goujons en inox pour le scellement des modénatures, finition en chaux-sable avec reproduction des anciennes modénatures. L’isolation par l’extérieur en chaux-chanvre est particulièrement pertinente dans le contexte parisien : le très bon rapport poids/performance permet d’équilibrer le budget, car il évite des reprises structurelles dans un quartier au sous-sol creusé de catacombes et d’anciennes carrières.

Photos et architecture : North by Northwest Architectes – Matériaux : enduit en chaux-chanvre en façade (8 cm).

 

École et résidence pour enseignants, Fass, Sénégal

Le succès du centre culturel Thread, réalisé en 2016 au Sénégal, a conduit la même équipe à construire à proximité une école primaire associant un enseignement laïque et l’éducation traditionnelle coranique, selon un modèle inédit qui pourrait être importé dans d’autres régions du pays. Le projet réunit sous un même toit 300 élèves appartenant à différents groupes ethniques. Inspiré par une typologie vernaculaire, le bâtiment principal se compose de quatre salles de classe et de deux espaces flexibles, disposés en anneau autour d’une cour intérieure, convertie en lieu de spectacle et de rassemblement au service d’une communauté regroupant une centaine de villages. Les enseignants sont logés dans une annexe construite sur le même principe. Le choix de matériaux traditionnels enracine le projet dans cette zone reculée de l’est du pays. Leur mise en œuvre par des ouvriers locaux garantit l’appropriation du bâtiment par les habitants et son entretien. Au-dessus des murs en briques de terre crue fabriqués par les villageois, la charpente est composée de trois couches de bambous assemblés par des liens végétaux selon une technique japonaise. La couverture en chaume, inclinée à 45 degrés, guide les précipitations vers un canal qui entoure le bâtiment, afin de fournir de l’eau potable et d’arroser les jardins potagers gérés par un collectif de femmes.

Photos : Iwan Baan – Architecture : Toshiko Mori Architect – Matériaux : murs en adobe, charpente en bambou, couverture en chaume.

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