Terres en dérive
Ces terres artificielles, aussi appelées polders, se sont multipliées. Si bien qu’aujourd’hui, près du tiers des terres se trouve au-dessous du niveau de la mer. Le point culminant des Pays-Bas se situe d’ailleurs à 323 mètres alors que son point le plus bas est à 6,70 mètres sous le niveau de la mer. C’est dire. Et le bras de fer engagé avec la mer est loin d’être terminé. Avec les changements climatiques qui s’annoncent, on prévoit une augmentation de 25 % des précipitations au cours des prochaines années. Une bonne partie du territoire néerlandais risque de se retrouver bientôt sous les flots. Et la pression urbaine ne cesse de s’accroître dans les zones inondables.
« Nos stations de pompage ultra-modernes fonctionnent déjà jour et nuit juste pour maintenir les polders au sec, souligne l’architecte et designer industriel Koen Olthuis, associé de Waterstudio.NL, un cabinet d’architecture qui œuvre uniquement dans la construction en zone inondable. Mais on commence à mesurer les effets du réchauffement planétaire. Maintenant, lorsqu’il pleut ou en période de crue, les pompes ne suffisent pas toujours. On doit alors entreposer l’eau pendant quelque temps ou élargir le lit des rivières. »
Aussi, pour diminuer la pression sur les villes, le gouvernement néerlandais publiait en septembre 2005 la liste de quinze zones dorénavant ouvertes à l’urbanisation, mais réservées à la construction amphibie. Puis, les autorités ont lancé un concours invitant ingénieurs, architectes et urbanistes à concevoir des projets urbains novateurs, comprenant des serres, des maisons, des usines, des parkings flottants. Une ville flottante de 12 000 bâtiments pourrait ainsi voir le jour près de Schiphol.
Une première mondiale qui confirmerait au pays son statut de chef de file en matière d’habitats aquatiques. « Ces points sont tous situés à l’embouchure de fleuves, là où l’eau, soumise aux courants et aux marées, est très dynamique, fait-il remarquer. Les solutions mises de l’avant doivent donc permettre aux bâtiments, mais aussi aux routes, de faire face à la fluctuation des eaux. »
Considérant qu’il valait mieux de chercher des solutions pour coexister avec l’eau, plutôt que de lutter contre, l’équipe de Waterstudio a récemment imaginé un projet de conversion et de réaménagement de polders existants. En d’autres termes, il s’agirait d’inonder de nouveau ces terres arrachées à la mer et aux plans d’eau douce. Par la suite, des villes flottantes, conçues pour un milieu dynamique, seraient ancrées aux infrastructures nouvellement immergées.
La maison amphibie Snel à Aalsmeer : Vue imprenable sur le fleuve. Source : Waterstudio
Un savoir-faire unique
Il faut dire que les Néerlandais n’en sont pas à leurs premières armes dans ce domaine. « Nous avons une longue expérience des maisons flottantes, rappelle-t-il. La technologie a donc beaucoup évolué depuis les premières maisons-bateaux. » Ces dernières sont d’ailleurs en voie d’être supplantées par les maisons flottantes. Suivant le principe de la bouée, ces structures peuvent s’élever avec la montée des eaux. Parfaitement adaptée aux zones maritimes, ce type de construction convient aussi aux canaux. Seuls les piliers et les amarres seront différents.
« Dans un canal d’Amsterdam, où la fluctuation du niveau de l’eau est quasi nulle sur une année, nous utilisons un système d’ancrage rigide, explique l’architecte. Sur les fleuves ou sur la mer, nous faisons plutôt appel à un système de pieux coulissants qui permet jusqu’à trois mètres de jeu toutes les douze heures. » Selon le degré de salinité de l’eau, les piliers coulissants seront fabriqués d’acier, de béton ou de bois. Toutefois, si le fond de l’eau est à plus de 20 mètres, le bâtiment sera plutôt amarré à un socle de béton solidement fixé à la digue. Il est ensuite relié aux services publics au moyen de conduits flexibles.
Ces maisons flottantes sont composées d’un caisson de béton et de polystyrène, dans des proportions variant en fonction de la flottabilité requise. D’une épaisseur minimale de 20 cm, cette coque composite assure aussi l’étanchéité de l’assemblage. Des fondations de huit mètres de profondeur et faisant 200 mètres de côté peuvent ainsi soutenir une structure atteignant jusqu’à 100 mètres de hauteur. La maison se complète d’une structure légère, souvent en bois, pouvant compter plusieurs étages.
Suivant l’emplacement et l’ampleur du projet, les maisons seront assemblées in situ ou en bateau-usine et remorquées jusqu’à leur point d’attache. « On dispose d’un réseau de transport comptant des milliers de kilomètres de cours d’eau et de canaux, aussi bien en profiter, poursuit-t-il. Si le remorquage n’est pas possible, on construit alors sur place. On peut aussi les livrer par transport routier, mais c’est plutôt rare. »
Un concept qui fait des vagues
Koen Olthuis est convaincu que la vague qui porte ce concept est appelée à prendre de l’ampleur : « Dans certaines grandes métropoles comme New York, Londres, Bombay, Tokyo, la valeur foncière atteint des sommets toujours plus élevés, observe-t-il. Ces villes occupent aujourd’hui la totalité de leur territoire et elles sont toujours plus denses. L’aménagement d’une infrastructure urbaine sur les plans d’eau qui les jouxtent pourrait leur permettre de poursuivre leur croissance. »
Pour leur assurer une intégration réussie, ces constructions flottantes doivent d’abord passer par une planification réfléchie. Car tout comme les villes auxquelles elles se grefferont, ces villes artificielles auront leurs quartiers résidentiels, leurs espaces verts et leurs zones industrielles. La seule différence, c’est qu’elles seront délimitées par des canaux, un peu comme à Amsterdam, et portées par des caissons flottants. Et que leur configuration pourra être modifiée au gré des besoins. Des aspects écologiques ou sociaux pourraient également stimuler la demande pour de telles infrastructures, notamment la protection de la vie aquatique.