La Cité verte est peut-être le premier quartier à prétention environnementale à être sorti de terre à Québec. Dans ce quartier, construit en 2015, Les Habitations Trentino sont un complexe de 40 logements sociaux, dont la construction a été mandatée par la Société d’habitation du Québec (SHQ) qui voulait démontrer la rentabilité d’un bâtiment à faible consommation énergétique. Sans viser la certification Passivhaus, les concepteurs s’en sont inspirés. Brièvement, le bâtiment est compact. La résistance thermique des murs est de 6,5 (RSI) et celle des fenêtres est de 0,87 (RSI) grâce à un triple vitrage. Le taux de renouvellement d’air est de 0,6 à l’heure. Un mur solaire préchauffe l’air extérieur durant la saison froide. Le chauffage est fourni par la centrale à la biomasse qui alimente toute la Cité verte. Les simulations du bâtiment avec le logiciel Passive House Planning Package (PHPP) prévoyaient une consommation de chauffage de 16,6 kWh/m2a, juste au-dessus des 15 kWh/m2a requis pour la certification. Autre mesure environnementale, le bâtiment est en bois. En fait, il s’agit d’un jumelé puisqu’il est composé de deux parties identiques de 20 logements chacune, l’une en ossature légère et l’autre en CLT. L’objectif était de comparer les deux systèmes constructifs en matière de performance énergétique.
La réalité dépasse la simulation
Les logements ont été équipés d’une panoplie de censeurs pour mesurer, entre autres, la température et l’humidité de l’air, les consommations d’électricité et d’eau chaude et pour détecter l’ouverture des fenêtres et le fonctionnement des systèmes de ventilation. Ces censeurs ont généré un amoncellement de données que Jean Rouleau, étudiant au doctorat au CIRCERB sous la direction de Louis Gosselin, professeur en génie mécanique, a eu le mandat d’analyser. Pierre Blanchet, le titulaire du CIRCERB, tient à souligner la bonne collaboration de la SHQ et de l’Office municipal d’habitation de Québec (OMHQ) qui gère maintenant le bâtiment, pour l’accès au bâtiment et aux données.
Après analyse des données, le verdict de la consommation est tombé : la consommation moyenne du bâtiment en 2016 a été de 36,9 kWh/m2a ! « C’est nettement supérieur à la simulation, mais ce n’est pas un échec total, c’est meilleur qu’un bâtiment ordinaire », nuance Jean Rouleau. Des analyses plus fines ont montré que les locataires pouvaient chauffer jusqu’à 24 °C, ouvraient les fenêtres 10 % du temps en hiver et fermaient le système de ventilation. Surtout, les demandes en électricité, en chauffage et en eau chaude varient grandement d’un logement à l’autre. « Parmi les logements qui ont un même nombre d’occupants, il y a une grande variation de la consommation d’eau. Elle n’est pas liée au nombre d’occupants, mais au comportement des occupants », souligne Jean Rouleau. « La variable comportement est tellement forte que ça empêche de comparer l’ossature légère et le CLT », commente Torsten Lihra, professionnel de recherche au CIRCERB.
Les logements sociaux des Habitations Trentino font partie de la Cité verte à Québec. Le bâtiment est divisé en deux sections, l’une en ossature légère et l’autre en CLT, et sa conception est inspirée de la norme Passivhaus. Photo : Jean Rouleau
Modéliser les comportements
L’idée n’est toutefois pas d’accuser les occupants de cette contre-performance énergétique, mais de mieux tenir compte de leur comportement dans les simulations. Jean Rouleau s’est alors attelé à les modéliser. L’approche classique attribue à chaque occupant un comportement typique : il est présent dans son appartement du soir au lendemain matin, prend une douche par jour… Cette approximation simpliste qui suppose une homogénéité des comportements est bien loin de la réalité. Or, des écarts de comportements se traduisent par des écarts de consommation par rapport aux simulations. Jean Rouleau a plutôt adopté une approche statistique basée sur des modèles probabilistes du comportement d’ouverture des fenêtres, de la durée des douches, des températures de consigne… En assemblant ces modèles, il a produit un modèle centralisé du comportement des occupants et procédé à de nouvelles simulations du bâtiment. Et là, la consommation simulée varie grandement selon les comportements, comme observé dans le bâtiment. La suite serait de concevoir un bâtiment en s’appuyant sur des simulations qui tiennent compte du comportement des occupants, autrement dit à adapter le bâtiment aux occupants.