Le facteur humain – L’oublié de la performance énergétique des bâtiments Wikipedia

Un bâtiment, c’est comme une automobile. La consommation énergétique du véhicule dépend du comportement du conducteur, et il y a sur la route autant de conducteurs que de comportements. C’est pareil pour un bâtiment et ses occupants. Le problème est que les outils de simulation pour calculer les besoins énergétiques d’un bâtiment ne tiennent pas compte de cette diversité des comportements. Il faut dire que le comportement humain est plus l’affaire des psychologues que des ingénieurs et qu’il se met difficilement en équation. La Chaire industrielle de recherche en construction écoresponsable en bois (CIRCERB), de l’Université Laval, a relevé le défi avec le bâtiment Les Habitations Trentino à Québec.

La Cité verte est peut-être le premier quartier à prétention environnementale à être sorti de terre à Québec. Dans ce quartier, construit en 2015, Les Habitations Trentino sont un complexe de 40 logements sociaux, dont la construction a été mandatée par la Société d’habitation du Québec (SHQ) qui voulait démontrer la rentabilité d’un bâtiment à faible consommation énergétique. Sans viser la certification Passivhaus, les concepteurs s’en sont inspirés. Brièvement, le bâtiment est compact. La résistance thermique des murs est de 6,5 (RSI) et celle des fenêtres est de 0,87 (RSI) grâce à un triple vitrage. Le taux de renouvellement d’air est de 0,6 à l’heure. Un mur solaire préchauffe l’air extérieur durant la saison froide. Le chauffage est fourni par la centrale à la biomasse qui alimente toute la Cité verte. Les simulations du bâtiment avec le logiciel Passive House Planning Package (PHPP) prévoyaient une consommation de chauffage de 16,6 kWh/m2a, juste au-dessus des 15 kWh/m2a requis pour la certification. Autre mesure environnementale, le bâtiment est en bois. En fait, il s’agit d’un jumelé puisqu’il est composé de deux parties identiques de 20 logements chacune, l’une en ossature légère et l’autre en CLT. L’objectif était de comparer les deux systèmes constructifs en matière de performance énergétique.

La réalité dépasse la simulation

Les logements ont été équipés d’une panoplie de censeurs pour mesurer, entre autres, la température et l’humidité de l’air, les consommations d’électricité et d’eau chaude et pour détecter l’ouverture des fenêtres et le fonctionnement des systèmes de ventilation. Ces censeurs ont généré un amoncellement de données que Jean Rouleau, étudiant au doctorat au CIRCERB sous la direction de Louis Gosselin, professeur en génie mécanique, a eu le mandat d’analyser. Pierre Blanchet, le titulaire du CIRCERB, tient à souligner la bonne collaboration de la SHQ et de l’Office municipal d’habitation de Québec (OMHQ) qui gère maintenant le bâtiment, pour l’accès au bâtiment et aux données.

Après analyse des données, le verdict de la consommation est tombé : la consommation moyenne du bâtiment en 2016 a été de 36,9 kWh/m2a ! « C’est nettement supérieur à la simulation, mais ce n’est pas un échec total, c’est meilleur qu’un bâtiment ordinaire », nuance Jean Rouleau. Des analyses plus fines ont montré que les locataires pouvaient chauffer jusqu’à 24 °C, ouvraient les fenêtres 10 % du temps en hiver et fermaient le système de ventilation. Surtout, les demandes en électricité, en chauffage et en eau chaude varient grandement d’un logement à l’autre. « Parmi les logements qui ont un même nombre d’occupants, il y a une grande variation de la consommation d’eau. Elle n’est pas liée au nombre d’occupants, mais au comportement des occupants », souligne Jean Rouleau. « La variable comportement est tellement forte que ça empêche de comparer l’ossature légère et le CLT », commente Torsten Lihra, professionnel de recherche au CIRCERB.

Les logements sociaux des Habitations Trentino font partie de la Cité verte à Québec. Le bâtiment est divisé en deux sections, l’une en ossature légère et l’autre en CLT, et sa conception est inspirée de la norme Passivhaus. Photo : Jean Rouleau

Modéliser les comportements

L’idée n’est toutefois pas d’accuser les occupants de cette contre-performance énergétique, mais de mieux tenir compte de leur comportement dans les simulations. Jean Rouleau s’est alors attelé à les modéliser. L’approche classique attribue à chaque occupant un comportement typique : il est présent dans son appartement du soir au lendemain matin, prend une douche par jour… Cette approximation simpliste qui suppose une homogénéité des comportements est bien loin de la réalité. Or, des écarts de comportements se traduisent par des écarts de consommation par rapport aux simulations. Jean Rouleau a plutôt adopté une approche statistique basée sur des modèles probabilistes du comportement d’ouverture des fenêtres, de la durée des douches, des températures de consigne… En assemblant ces modèles, il a produit un modèle centralisé du comportement des occupants et procédé à de nouvelles simulations du bâtiment. Et là, la consommation simulée varie grandement selon les comportements, comme observé dans le bâtiment. La suite serait de concevoir un bâtiment en s’appuyant sur des simulations qui tiennent compte du comportement des occupants, autrement dit à adapter le bâtiment aux occupants.

Le comportement en question

Une autre approche est de mobiliser le comportement des occupants pour qu’ils s’adaptent au bâtiment. Inconsciemment, c’est un peu ce que font les concepteurs quand ils présument que les occupants vont utiliser les thermostats et les systèmes d’aération conformément à leurs hypothèses. Or, l’expérience des Habitations Trentino montre que ce n’est pas le cas. Il faut dire que les coûts de chauffage et d’eau chaude étant inclus dans le loyer, les locataires n’avaient guère d’incitatif à économiser l’énergie. Le comportement est affaire de psychologie et c’est l’approche qu’a choisie Gaëlle Albert, une architecte qui a complété sa formation par une maîtrise en psychologie sociale et environnementale. Elle a effectué son stage de maîtrise au CIRCERB et enquêté auprès des locataires des Habitations Trentino pour cerner les motivations qui sous-tendent leurs comportements. Elle a développé un questionnaire pour connaître leurs perceptions du confort, leurs connaissances du bâtiment, leurs utilisations des équipements et leurs sensibilités écologiques. Il ressort du questionnaire qu’une température confortable doit avoisiner les 22 °C, ce qui est supérieure à la température utilisée pour les simulations. « Des gens n’acceptent pas de s’habiller autrement qu’en short et tee-shirt. C’est une question culturelle », observe Torsten Lihra. Inversement, quand il fait trop chaud, certains préfèrent ouvrir la fenêtre plutôt que de régler le thermostat ou le système de ventilation. « Certains locataires viennent d’un autre pays où ils ont l’habitude d’ouvrir les fenêtres et vivre confiné n’est pas concevable pour eux », rapporte Gaëlle Albert. D’autres ne sont pas familiarisés avec les systèmes de ventilation et ouvrir la fenêtre est ancré dans leurs habitudes. D’autres ne parviennent pas à régler le thermostat et se plaignent de ne pas avoir de contrôle sur la température de leur logement. « Il y a des thermostats, mais si la personne ne perçoit pas de changement de température, c’est comme si elle n’avait pas de contrôle et elle est frustrée », poursuit Gaëlle Albert. Mais comme l’a fait remarquer Jean Rouleau, « il n’y a pas que le volet énergétique qui explique l’ouverture des fenêtres. Il y a aussi les odeurs ». Pour renouveler l’air, certains occupants préfèrent alors ouvrir la fenêtre plutôt que d’ajuster la ventilation par crainte de faire entrer l’air du logement adjacent chez eux. Chaque appartement dispose pourtant d’une ventilation indépendante, mais tous ne l’ont peut-être pas compris. Les premiers locataires ont bien reçu une plaquette informative, mais lorsque Gaëlle Albert les a rencontrés, plusieurs ont avoué ne pas l’avoir lue. Et entre les premiers locataires et les suivants, l’information s’est parfois perdue.

Pour chacun des 40 logements des Habitations Trentino, la consommation énergétique cumulée de la ventilation, du chauffage, de l’eau chaude et de l’électricité a été mesurée. La consommation de la plupart des logements excède la simulation, mais on remarque surtout une très grande disparité des besoins en chauffage et en eau chaude. Source : Jean Rouleau

Modeler les comportements

Gaëlle Albert a proposé plusieurs avenues pour influer sur les comportements : une plaquette informative sur le fonctionnement du bâtiment, des messages de nature environnementale peints sur les murs des parties communes du bâtiment et des minuteurs dans les douches pour faire prendre conscience du volume d’eau utilisé. La question se pose alors de savoir s’il vaut mieux sensibiliser les occupants au respect de l’environnement ou au bon usage des équipements. « Il faut viser une conscience environnementale et installer des systèmes de contrôle simples et intuitifs que la personne conscientisée peut utiliser. L’inverse n’est pas vrai. Si on apprend à une personne à utiliser les équipements, mais qu’elle n’a pas de conscience environnementale, elle ne les utilisera pas », répond Torsten Lihra. L’analyse du questionnaire va dans ce sens puisque Gaëlle Albert a observé une corrélation entre la sensibilité écologique et les comportements d’économie d’énergie. Il reste à définir ce que doivent être des systèmes simples et intuitifs et quel niveau de contrôle laisser à l’occupant. Mais à quel occupant au fait ?


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