Les lauréats
Le jury a retenu quatre projets : Couleur Nature par Vanderveken, Architecture + Paysage (Saint-Lambert, Québec) ; Future Drifts par Julia Lines Wilson (États-Unis) ; Rue Liereman / Organ Man Street par Pioniersplanters (Belgique) ; Superstrata par mat-on (Italie).
Le jury a également décerné une mention spéciale à trois projets : Welcome, Yellow Bricks Garden par Azzurra Brugiotti (Italie) ; En Équilibre par Sonia et Natalia Dacko (Espagne) ; Aguas par Jomarly Cruz Galarza et Virgen Berrios Torres (Porto Rico).
Couleur Nature par Vanderveken, Architecture + Paysage (Saint-Lambert, Québec) – Photos : Festival international de jardins et NEUF architect(e)s
Couleur Nature propose une réflexion par l’étrange sur la position du jardin dans notre société en confrontant les grands schèmes de la pelouse utilitaire et de nos dispositifs de loisirs individuels (à indices social et écologique pauvres) au jardin contemplatif (à indices réflexif et écologique élevés). Il n’est pas ici question de confronter la nature à la culture ou le naturel à l’artificiel, mais de juxtaposer ces deux visions du jardin pour démontrer l’absurdité d’une monoculture dominante qui, de manière générale, ne sert aucune utilité, si ce n’est de permettre à l’humain d’éprouver une vive satisfaction à arroser et à tondre sa pelouse ainsi qu’à remplir sa piscine dans un cycle perpétuel qui contribue au déclin graduel de la biodiversité.
Passer outre la surprise ressentie lors du déplacement de l’espace extérieur aseptisé et édulcoré à la beauté échevelée et changeante de l’espace intérieur, l’installation Couleur Nature amène ses visiteurs à reconsidérer leur rapport au temps et à leur environnement. Se réunir autour de la piscine ou sur la pelouse n’est pas comme se retrouver au jardin : ces environnements génèrent des activités, des états d’âme et des rythmes distincts.
Guillaume Vanderveken est architecte paysagiste AAPQ depuis plus de 15 ans et architecte membre de l’OAQ depuis 2023. À l’emploi des firmes Claude Cormier + Associés (aujourd’hui CCxA), Cardinal Hardy Architectes (aujourd’hui Lemay) et Provencher Roy + Associés Architectes, il a œuvré à des projets d’aménagement de grande envergure à Montréal, Toronto et Kingston. Avec Stefan Tischer, il a collaboré à deux jardins temporaires, soit Homme-Nature-Jardin (Festival international de jardins, Jardins de Métis, 2003) et Passiflora (Ortus Artis, Certosa di Padula [Chartreuse de Padula], Italie, 2004). Depuis octobre 2023, il est à la tête de sa propre agence, Vanderveken, Architecture + Paysage.
Future Drifts par Julia Lines Wilson (États-Unis) – Photos : Festival international de Jardins et Lydia Nichols
L’année de l’édition inaugurale du Festival international de jardins, le Plan d’action Saint-Laurent Vision 2000 (SLV 2000) identifiait les habitats d’espèces floristiques à protéger en priorité. L’une de ces espèces, l’aster d’Anticosti (symphyotrichum anticostense), est apparue durant l’Holocène par hybridation entre l’aster de New York (symphyotrichum novi-belgii var. novi-belgii) et l’aster boréal (symphyotrichum boreale). Vingt-cinq ans après la phase III du SLV 2000, malgré les mesures prises pour protéger leur habitat, la situation de l’aster d’Anticosti demeure préoccupante au Canada.
Ce jardin se présente d’emblée comme questionnant le passé et l’avenir. Si les variétés d’asters boréales et de New York se croisaient à nouveau, à quoi ressembleraient ces nouveaux hybrides naturels ? Quel avenir nous réserve l’interaction de ces espèces floristiques ?
Les massifs d’asters composant Future Drifts sont parcourus d’un sentier délimité de ganivelles – ou « barrières girondines » – si typiques des dunes de la Nouvelle-Angleterre. Ces clôtures perméables permettant à la flore de s’établir au-delà du parcours qu’elles balisent, seul le passage répété des promeneurs et promeneuses sur celui-ci déterminera les limites de l’étalement des asters.
Candidate à la maîtrise en architecture de paysage au SUNY ESF (The State University of New York College of Environmental Science and Forestry), Julia Lines Wilson s’intéresse à l’étude des processus écologiques à l’échelle du paysage et à la végétation spontanée. Sa pratique actuelle est nourrie par son travail antérieur en sculpture et en arts textiles – elle utilise d’ailleurs le riche vocabulaire du tissage pour questionner l’avenir des plantes, la biodiversité et l’expérience humaine.
Rue Liereman / Organ Man Street par Pioniersplanters (Belgique) – Photos : Pioniersplanters
Le potentiel des jardins n’est pas à négliger, il est immense. Dans une région européenne densément peuplée et fortement urbanisée comme la Flandre, la fraction du territoire occupée par les jardins domestiques ou privés (qui se dénombrent à environ deux millions) est estimée à 12 %. Cela équivaut à quatre fois la superficie totale des espaces naturels non résidentiels de la région. Par conséquent, dans la mesure où ils sont conçus et entretenus de manière naturelle, les jardins domestiques ont le potentiel de contribuer à diminuer les impacts des changements climatiques et à freiner l’appauvrissement de la biodiversité, en plus d’encourager une reconnexion des citadins à la nature.
Ce constat donne lieu à la reconstitution d’un jardin belge sur le site du Festival international de jardins. Extrait du tissu urbain d’une ville européenne de taille moyenne, ce jardin s’implante à Grand-Métis où il devient une mise en abyme, un jardin dans un jardin – une nouvelle entité dans le paysage canadien.
Pioniersplanters est un collectif belge composé de trois créateurs/artistes : Laurens Decoster est architecte et designer ; Bert Joostens est artiste et professeur ; Sander Wallays est architecte et paysagiste. Tous trois partagent une fascination pour la construction et pour la création. Leur travail s’étend de la ville à la forêt, de la montagne à la plage. Ils sont autant attirés par la conception d’une gouttière que par le détournement du cours d’un fleuve. En ses propres mots, le collectif décrit son approche comme généreuse, humaine, directe et légère.
Superstrata par mat-on (Italie) – Photos : Festival international de Jardins et mat-on
Le concept clé de Superstrata est celui du rhizome – un concept développé par les philosophes français Gilles Deleuze et Félix Guattari –, soit un système dans lequel les hiérarchies sont substituées par une structure horizontale permettant de nouvelles manières d’interchanger connaissances, connexions et possibilités.
Ainsi, l’installation investigue la dualité humain/nature : si nous ressentons, en tant qu’humains, le besoin d’imposer un ordre artificiel au vivant, la nature défie toute notion de structure ou de limite.
Les cartes géologiques expriment parfaitement cette dichotomie : elles représentent de complexes volumes sédimentaires d’après les principes de la stratigraphie, schématisant la non-linéarité de la nature et évoquant d’emblée le concept de déterritorialisation (Deleuze & Guattari) – un processus de décontextualisation permettant une éventuelle actualisation dans un nouveau contexte. Or, les humains sont loin d’atteindre ou même de tendre vers une déterritorialisation. Ils ressentent le besoin d’analyser et de systématiser leur environnement et leurs pensées.
Superstrata transpose les codes des cartes géologiques dans le monde réel, à échelle humaine. Ses visiteurs et visiteuses l’appréhendent à travers une grille perméable composée de structures métalliques en forme de croix marquant les intersections entre les plis des unités stratigraphiques d’un profil structural régional. Ces imposants marqueurs, à l’instar de contraintes imposées à l’esprit humain, n’interfèrent que minimalement avec la nature environnante, qui ne peut être assujettie à une grille ou à la logique. Cette puissante liberté qui caractérise la nature ne devrait pas effrayer l’espèce humaine, qui devrait plutôt s’en émerveiller et en tirer une leçon.
Le collectif mat-on [Matteo Fontana et Mattia Mattiuzzi] s’est formé naturellement des suites de nombreuses années de collaborations académique et professionnelle. Liant design et recherche, il s’évertue à créer des environnements capables d’enrichir le quotidien de ses habitants et habitantes. Il conçoit l’architecture comme un outil et adopte un point de vue béhavioriste et phénoménologique.
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