Marie Louise Roy – Pour l’autonomie alimentaire

L’architecte et urbaniste Marie Louise Roy propose un point de vue sur l’autonomie alimentaire. Elle constate « que tous les morceaux du puzzle sont présents au Québec. Nous n’avons tout simplement pas mis ces derniers ensemble ». À lire également, les 20 ans de la certification bio, un texte de la revue culinaire Caribou.

Alimentation, comment le Québec pourrait-il être plus autonome ?

Par Marie Louise Roy

Marie Louise Roy, architecte, urbaniste, M. Sc. A. environnement et auteur (Vie de femme dans un métier d’homme aux Éditions Guérin), s’intéresse notamment à la santé environnementale des villes. Elle a un parcours diversifié. Consultante en planification urbaine, design écologique et développement durable, son expérience s’inscrit dans une approche « En dehors de la boîte », résume-t-elle. Coach accréditée (ICF), elle se spécialise dans le coaching systémique.

Constatant à quel point nos laitues et autres fruits et légumes nous provenant de la Californie, et voyant notre premier ministre canadien jongler avec la semi-fermeture des frontières due à la COVID-19, afin de s’assurer que nous ayons tout de même assez de denrées de cette nature, il m’est venu à l’idée de regarder de quelle manière le Québec pourrait être un peu plus autonome sur le plan alimentaire.

Après avoir fait le tour de la question, je me suis rendu compte que tous les morceaux du puzzle sont présents au Québec. Nous n’avons tout simplement pas mis ces derniers ensembles, faute de volonté politique (le lobby des déchets s’y opposant, explication un peu plus loin ci-dessous) et citoyenne. Les deux vont de pair, je crois. Mais lorsque le contenu de notre assiette est perturbé, pour ne pas dire remis en question, nous nous réveillons un beau matin et nous paniquons. Ma voisine travaille pour une grosse compagnie de malbouffe. Durant la période de confinement, les ventes de cette catégorie d’aliments correspondaient aux ventes enregistrées durant le temps de Noël, et ce à tous les jours. Impressionnant comme chiffre d’affaires ! Les Québécois(es) compensent donc leur anxiété avec du junk food. Je suis certaine que je ne vous apprends rien. Vous avez peut-être même acheté boissons gazeuses, croustilles et trempettes pour vous-même ou votre famille. Et tant pis pour la baisse du système immunitaire que ce genre de bouffe peut provoquer à l’usage !

En temps de pandémie, nous avons alors tous intérêt à renforcer notre immunité par une alimentation saine. Il semble bien que nous adoptions un comportement opposé. Serions-nous victimes de nos propres agissements en tant que société ? C’est une faiblesse à considérer en situation de crise, quelle qu’elle soit. En temps de crise, nous n’avons pas toujours le réflexe créatif. Nous allons vers le connu, surtout lorsque nous avons l’habitude de recevoir « un poisson dans notre assiette » tous les jours. Compte tenu de cette dynamique, il ne nous vient pas à l’idée de fabriquer une canne à pêche. Nous sommes en fait très dépendants de la mondialisation. Cette situation comporte ses maillons faibles et lorsque l’un d’eux flanche, c’est toute la chaîne alimentaire qui est perturbée.

Alors, comment faire ce virage vers cette autonomie alimentaire ? Bien que l’autonomie parfaite soit impossible sous notre climat, comment pouvons-nous réduire notre dépendance aux importations ? J’en reviens aux différents morceaux de puzzle qui sont tous présents au Québec.

Source : Wikipédia

Déchets organiques

Nous mangeons tous les jours, générant des déchets organiques ou non. Certaines personnes aiment composter eux-mêmes les déchets de table et vont choisir ce qu’ils mettent dans leur composteur personnel. Selon la tenure des habitations, il est parfois difficile de composter à longueur d’année. Beaucoup de villes offrent la cueillette du bac à compost de manière à assurer une approche clef en main. Ce contenu, c’est de l’or noir. Je m’explique.

Le contenu de ces bacs bruns finit toujours en compost en théorie. Certaines régions font peut-être du détournement aux sites d’enfouissement sans le savoir, car ils donnent la gestion de leurs résidus à contrat et ne sont pas toujours derrière les camions pour les suivre à la trace. Selon la provenance et le contenu du bac brun, ce compost peut être utilisé soit pour les platebandes, la pelouse ou même la régénération de forêts urbaines. Il ne peut malheureusement pas être considéré comme écologique, car seulement 4 % de la population mange du biologique. Donc, une large part du contenu du bac brun est assaisonné d’herbicides et d’insecticides, tels le glyphosate de Bayer (qui a acquis Monsanto) et d’autres fabricants de pesticides reconnus comme nocifs, notamment confirmé par notre courageux lanceur d’alerte et agronome national Louis Robert (La Presse).

Il y a même eu un lobby en Europe soutenu par Bayer-Monsanto pour continuer à utiliser le glyphosate jusqu’en 2022, sans parler des graines OGM qu’il vend également. Selon Monsanto : « Les agriculteurs ne pourraient nourrir l’humanité sans leurs produits. » Bref pour survivre contre les poursuites et jugements qui l’accablent, ce grand pollueur fait du chantage. Nous pouvons vraiment comprendre comment le lobby agroalimentaire tient les cordeaux de notre immunité (La Presse, Agence France-Presse).

Mais revenons au compost. Ce dernier possède une seconde valeur, ses biogaz qui sont compressibles et peuvent ainsi être livrés là où ils réintègrent le cycle de la chaîne alimentaire, en servant à chauffer des serres en hiver. De plus, en pleine crise de la COVID-19, Sophie Brochu, PDG d’Hydro-Québec, a confié avoir, au sujet des surplus d’électricité de la société d’État, « une ouverture dans le développement des serres ». Actuellement, cette avenue s’avèrerait onéreuse en raison des tarifs en vigueur : elle augmenterait les coûts de production et donc le prix des fruits et légumes ne serait pas concurrentiel sur le marché mondial (Droit de parole).

Le Jardin maraicher

L’agriculteur biologique

Un autre acteur dans le domaine de l’alimentation fait également partie du puzzle : l’agriculteur biologique sur microferme. Jean-Martin Fortin, auteur de la bible en la matière, Le Jardinier maraicher. Dans ce livre, il explique comment il est possible de produire des végétaux à l’année avec des techniques particulières, sélectionnant ses légumes en fonction des saisons. Il réussit le tour de force à nourrir 200 familles avec seulement 0,75 hectare de culture. Il a enseigné son modèle local d’agriculture à petite échelle à des centaines de producteurs dans 33 pays.

Un troisième acteur s’inscrit à une échelle très locale. C’est l’approche de la serre souterraine à huit pieds de profondeur (douze mois par année), développée par Félix Grimard et Paméla Guay-Tremblay, de Fortierville dans le Centre-du-Québec (Le Courrier du Sud, RDI Matin). Pour les mordus du jardinage individuel, cette approche s’avère être une avenue intéressante s’ils sont en mesure (temps, exigences techniques et règlements municipaux, etc.) de l’implanter.

Les deux premières approches (serres et jardins maraichers à longueur d’année) se complètent. Elles visent évidemment un plus grand nombre de consommateurs. Les serres peuvent faire pousser fruits, fleurs et légumes. Ces cultures poussent difficilement selon le modèle du jardinier maraicher. Une serre chauffée aux biogaz provenant de l’assiette même du consommateur permettrait de boucler la boucle et de fermer le circuit de l’autonomie. La Ville de Québec a construit une usine de biogaz qui valorise non seulement les matières organiques domestiques issues du bac brun, mais également les boues industrielles et agricoles (Recyc-Québec, La digestion anaérobie).

Serre souterraine développée par Félix Grimard et Paméla Guay-Tremblay. Photo : Marie-Eve Veillette - Le Courrier du Sud

Seulement deux villes au Canada traitent exclusivement les matières organiques résidentielles provenant du bac brun : les villes de Dufferin et Newmarket dans la grande région de Toronto. S’ils le font en Ontario, nous pouvons le faire au Québec. Ceci assure un compost de grande qualité, plus adaptée aux usages communautaires et agricoles.

Nuniculture

Pour compléter, il nous manque un seul élément pour assurer notre autonomie alimentaire : celui des protéines, ingrédient essentiel de l’assiette équilibrée. Ici je mets l’accent sur la protéine végétale, car nous avons assez de vaches, de porcs et autres animaux d’élevage qui risquent d’être malades (vache folle, etc.). C’est ici que s’insèrent les approches de nuciculture. Il s’agit de vergers avec des arbres à coques comestibles. Une expérience a été faite Au jardin des noix, à Saint-Ambroise-de-Kildare dans Lanaudière. Une idée originale d’Yvan et Alain Perreault visant à conserver leur terre familiale (Le Devoir). 

Les arbres à noix indigènes poussent très bien en terre argileuse. Ils ont planté plus de 4 000 arbres, dont plusieurs espèces de noyers, de noisetiers, de chênes, de caryers et de châtaigniers ; de quoi offrir une très belle variété au consommateur.

D’ailleurs, rien n’empêche une ville de commencer à planter elle-même des arbres à coque sur les terrains municipaux, dans les parcs et le long des voies de circulation résidentielles, question de marier l’utile à l’agréable. L’or brun produit par leur usine de compostage pourrait servir à nourrir ces arbres à coque municipaux ainsi que les vergers de nuciculture, avant d’être redistribués aux citoyens.

Au Jardin des noix

Comprenons-nous bien : les citoyens, qui sont les fournisseurs du compost et des biogaz nécessaires à cette chaîne alimentaire, devraient être les premiers à en profiter (voir le diagramme ci-dessous). Les produits issus de cette approche d’agriculture pourraient être redistribués localement dans les épiceries et dans les marchés publics avoisinants. Ainsi la boucle est bouclée.

À cette étape de la réflexion, nous pouvons nous demander pourquoi nous n’avons pas pensé à tout cela auparavant. Je dirais que la venue de la COVID-19 et l’importance de la qualité de la bouffe garantissant une immunité élevée nous font réfléchir et ouvre la porte à envisager ce genre de possibilités. Il ne reste qu’à convaincre nos politiciens, et à nous faire entendre plus fort que les lobbys des déchets ou du développement immobilier afin de passer à l’action. Le contenu de notre bac brun est une précieuse ressource locale qui doit profiter avant tout à la population qui le génère. Consulter la revue de presse : Le Devoir, Le Nouvelliste, Le Soleil et le Journal de Québec.

Pour faire un calcul simple, prenons l’exemple d’une ville de 15 000 personnes :

  • Si nous évaluons 2,1 personnes par famille, en arrondissant nous avons 7150 familles.
  • Le Jardinier maraicher nourrit 200 familles sur 0,75 hectare.
  • 7150 divisé par 200 familles multiplié par 0,75 hectares = 26.8 hectares total.
  • Pour ce faire, cette ville aurait besoin de 36 jardiniers maraichers qui fonctionnent sur le même modèle que celui de M. Fortier.
  • Additionnons à ceci l’espace des serres pour faire un chiffre rond de 30 hectares. Viennent en supplément les vergers de noix, quinze hectares environ, pour une production rentable sur le modèle de Lanaudière. Notre ville type aurait donc besoin d’une superficie totale de 45 hectares pour assurer son autonomie alimentaire.

J’ai entendu récemment M. Legault dire en point de presse autour de la COVID-19 qu’il serait possible que le gouvernement québécois puisse racheter des terres agricoles afin de les louer (bio, je l’espère, avec idéalement une clause d’achat aussi) aux petits agriculteurs maraichers sur le modèle du « Jardinier maraicher » de M. Fortier (L’Aut’Journal).

Si l’intention de la CAQ s’avère réelle, il serait à propos que le gouvernement se concentre sur le rachat des terres agricoles détenues par des investisseurs chinois et autres pays étrangers en tout premier lieu et que la location de ces terres soit strictement réservée pour de l’agriculture biologique. Consulter la revue de presse : Journal de Montréal et Le Soleil.

Si une municipalité (ou une région) proposait à ses citoyens d’acheter leur part de terres agricoles en copropriété avec un agriculteur désigné (comme cela se fait pour les condos) et qu’ils achetaient également un premier panier bio pour les douze mois de l’année, nous aurions un sociofinancement extraordinaire qui nous reviendrait probablement moins cher que les ingrédients livrés à la maison pour cinq repas par semaine. De cette manière, le monde « ordinaire » n’a pas à attendre après le gouvernement pour cultiver.

Pour les intéressés au compostage, consulter la liste de divers composteurs suggérés par le gouvernement du Québec.


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