Onésime Tremblay – Précurseur du développement durable M. Onésime Tremblay, Saint-Jérôme, 73 ans, avril 1929 – Source : Société historique du Saguenay, P002, S7, P10266-6

Le 24 juin 1926, au Lac-Saint-Jean, 940 cultivateurs furent touchés par l’inondation de 25 000 hectares (60 000 acres) de leurs terres fertiles. Onésime Tremblay fit de leur infortune son combat.

Onésime Tremblay avait une démarche intellectuelle et politique de développement durable qui se heurtait à l’engagement du gouvernement en faveur du développement électrique. Il savait les conséquences de l’endommagement de ce capital naturel en bordure du lac. En effet, l’inondation forcée créa la perte d’une forêt d’ormes primitive, l’érosion des sols et l’appauvrissement de la biodiversité. De plus, Onésime Tremblay, devant le manque de concertation au niveau local (la compagnie proposa d’offrir en compensation aux cultivateurs la valeur marchande, alors qu’ils en demandaient la valeur productive) et le manque de connaissance en hydroécologie (aucune étude scientifique n’avait été effectuée et présentée aux cultivateurs), comprit que ces deux contraintes majeures ne respecteraient pas la protection environnementale et l’équité entre les populations concernées.

À Saint-Méthode, le 26 mai 1926, le niveau du lac dépasse les 21 pieds. Ce village sera sous les eaux en très grande partie, forçant le départ de plusieurs cultivateurs – Source : Société historique du Saguenay, SHS-P002, S7, alb.20-1, P004-02.

Le buste d’Onésime

Le 24 juin 2018 avait lieu à Métabetchouan, au Lac-Saint-Jean, le dévoilement du buste commémoratif d’Onésime Tremblay. L’œuvre a été réalisée par sa petite-fille, l’artiste Yvonne Tremblay-Gagnon.

L’artiste Yvonne Tremblay-Gagnon a créé le buste commémoratif d’Onésime Tremblay à partir des photographies familiales et des archives conservées à la Société historique du Saguenay. Le buste du personnage a d’abord été modelé avec de l’argile synthétique avant d’être moulé et fondu dans le bronze à la Fonderie d’art d’Inverness. Le socle de granit de Péribonka a été réalisé par la compagnie Granicor dont le propriétaire, Louis Ouellet, est le fils d’un des cultivateurs éprouvés par les inondations du 24 juin 1926. Marie Gagnon-Malo, René Malo, son mari, et leurs enfants Fanny-Laure et Laurent-Emmanuel ont payé les coûts se rapportant au monument cédé à la municipalité de Métabetchouan. Mme Gagnon-Malo, arrière-petite-fille d’Onésime Tremblay, et Joëlle Hardy, directrice de la Société historique du Saguenay, ont coordonné le projet entre les divers collaborateurs et la municipalité – Photos : Martine Couture / buste : Sylvain Blais.

La municipalité recevait, en cette fin de matinée de la Saint-Jean-Baptiste, les descendants et amis d’Onésime Tremblay entourés des citoyens de Métabetchouan. Onésime Tremblay est une figure emblématique du tournant du XIXe siècle et de la première moitié du XXe siècle pour la région jeannoise. Son implication à la tête du comité de défense des cultivateurs touchés par les inondations des berges et des terres agricoles bordant le lac fut immense. Sa volonté de faire reconnaître l’injustice qu’ils avaient subie le mena à la faillite et à la perte de tous ses biens. Les frais d’avocat pour intenter un procès à la compagnie Duke-Price (qui deviendra l’Alcan par la suite), propriétaire de la centrale hydroélectrique à l’origine du désastre, le ruinèrent.

Le rehaussement des eaux du lac Saint-Jean, qu’on baptisa « la tragédie du Lac-Saint-Jean », avait été provoqué par l’ouverture des vannes d’un barrage à la tête de la grande décharge à l’île Maligne, près d’Alma, lors de l’aménagement de la centrale. À l’époque, le gouvernement d’Alexandre Taschereau se positionnait du côté des industriels, ignorant les cultivateurs qui réclamaient que le barrage soit installé ailleurs afin d’éviter un tel désastre sur leurs terres agricoles fertiles et dans les villages bordant le lac. Onésime Tremblay décida d’affronter la suite, debout et droit.

En juin 2018, aperçu des terres agricoles en bordure du lac Saint-Jean. Elles ont été inondées en 1926 (la superficie inondée est estimée à 25 000 hectares, selon le livre Tragédie du Lac-Saint-Jean, comité de défense des cultivateurs lésés, 1927), après l’ouverture des vannes par la Duke Price au barrage à la tête de la Grande Décharge à l’île Maligne, près d’Alma. La compagnie n’avait pas prévenu les cultivateurs, leur assurant même que l’ouverture des vannes n’aurait lieu que deux ans plus tard. Selon Denis Trottier, initiateur du projet de la commémoration à Onésime Tremblay, « la quantité de terres qui a été complètement noyée n’est pas si grande qu’on pourrait le penser. Cependant, si l’on ajoute à cela les terres qui sont devenues impropres à la culture en raison de l’élévation de la nappe phréatique, cela fait beaucoup plus. Il faut noter également qu’au printemps, lors de la crue des eaux, beaucoup de terres étaient noyées temporairement, l’eau montant de près de 20 pieds par rapport aux basses eaux. Mais ce n’était pas un problème, parce que cela ne durait que quelques semaines. C’était même bénéfique parce que les terres s’enrichissaient d’alluvions fertiles. La tragédie, c’est que c’est devenu permanent », souligne M. Trottier – Photo : Manon Sarthou.

Les témoignages

Les intervenants réunis pour lui rendre hommage près d’un siècle plus tard ont témoigné de leur attachement envers ce personnage visionnaire malgré lui en matière de développement durable.

Denis Trottier, président d’Option régions et ancien maire de Péribonka, voue aussi une grande admiration à Onésime Tremblay. Il insiste sur l’incroyable abnégation dont ce dernier a fait preuve devant la cause à défendre. Il évoque le courage qu’a démontré cet être d’exception. « J’ai découvert Onésime Tremblay à travers le livre écrit par son fils, Mgr Victor Tremblay (La tragédie du Lac-Saint-Jean). Par la suite, j’ai appris qu’il avait été gérant de la ferme d’Augustin Normand à Péribonka. Mon arrière-arrière-grand-père, Auguste Gagné, ancien maire de Métabetchouan, a acheté le domaine de M. Normand et a bien connu Mgr Tremblay. C’était un homme intègre. Il n’a pas voulu de l’argent que la compagnie Alcan (Duke-Price a été rachetée en grande partie par Alcan en 1925) lui proposait en guise de dédommagement pour ses terres, car il estimait qu’on les lui avait volées. » Ainsi, Onésime Tremblay refusa les 7 000 $ qu’on lui offrait, estimant la valeur de ses terres agricoles à 168 000 $.

Carte du lac Saint-Jean en 1908 et photo aérienne en 2018. Ces images illustrent les terres de la Couronne et les diverses municipalités avant et après le débordement de 1926. On peut noter l’agrandissement du littoral du lac du côté de Métabetchouan, autrefois appelée Saint-Jérôme – Source : Carte, 1908, Université du Québec à Chicoutimi ; Photo aérienne, 2018, GoogleMaps.

André Fortin, maire de Métabetchouan–Lac-à-la-Croix et agriculteur, a acheté les 140 hectares de terres agricoles qui appartenaient à Pierre Tremblay, petit-fils d’Onésime Tremblay. Comptant parmi les terres inondées en 1926, elles abritaient alors une forêt primitive d’ormes et des sols argileux qui permettaient les meilleurs rendements agricoles de la région. Le maire de Métabetchouan est conscient de la valeur patrimoniale unique que recèle ce lieu. Avec respect et humilité, il rend hommage à Onésime Tremblay – qui fut, lui aussi, maire de Métabetchouan, de 1898 à 1900, de 1903 à 1908 et de 1913 à 1914. Dans son discours, il insiste sur son engagement social et politique inspirant. « J’ai écrit mon texte pour le dévoilement du buste d’Onésime Tremblay avec la plus grande précision possible, le faisant relire par une historienne. Je ne voulais pas me tromper », avoue-t-il en bon élève plus détendu après son allocution.

Onésime Tremblay lisant Le Devoir vers 1928. Ce visionnaire luttait non seulement contre la corruption politique, mais également pour la préservation d’une agriculture en harmonie avec l’environnement. En 1932 et 1933, il écrit une série d’articles publiés dans Le Bulletin des agriculteurssur ce qu’il a appelé « l’affaire du Lac-Saint-Jean », en se mettant notamment dans la peau d’un cultivateur lésé :
1-    La Couronne a fait cadastrer ma terre.
2-    La Couronne me l’a vendue.
3-    Je l’ai payée et j’ai rempli toutes les conditions.
4-    Je l’occupe et l’utilise en son entier depuis 70 ans.
5-    La compagnie Duke-Price arrive au pays et, sans avis préalable, elle inonde ma terre.
6-    J’ai sur ma propriété tous les titres possibles et la Duke-Price aucun.
7-    La Duke-Price ne veut pas même payer ce qu’elle a pris.
8-    Les gouvernants approuvent cet attentat criminel.
Tiré de : TREMBLAY, Laurent. Une poignée de Tremblay, Éditions Rayonnement, 1981, p.131. Photo : Société historique de Saguenay, P002, S7, P10266-02.

Yvonne Tremblay-Gagnon, petite-fille d’Onésime Tremblay, artiste et créatrice du buste commémoratif, se rappelle la curiosité de son grand-père. « Il aimait découvrir de nouveaux horizons. Il avait voyagé deux mois en Europe en 1921. C’était peu fréquent à l’époque. À son retour, il avait rapporté beaucoup de photos de sculptures qu’il avait vues au Louvre et au Vatican. Il m’aura sans doute donné le goût de devenir artiste et je lui en suis reconnaissante. Étant la benjamine de ses neuf petits-enfants, il m’avait prise en affection. J’ai eu le privilège d’écouter ses confidences, notamment sur son combat au lendemain de la tragédie du lac Saint-Jean. Plusieurs décennies plus tard, je m’en suis inspirée pour créer le buste en son honneur. »

L’Hôtel-Dieu Saint-Michel à Roberval lors de la crue des eaux en mai 1928. L’évacuation des malades fut envisagée – Source : Société historique du Saguenay, SHS-P002, S7, P03206-01

Historienne érudite, Joëlle Hardy, directrice générale de la Société historique du Saguenay, explique que le buste d’Onésime Tremblay a pu être créé grâce au talent de l’artiste Yvonne Tremblay-Gagnon, mais aussi grâce au foisonnement d’archives préservées à la Société historique du Saguenay. Depuis le début des années 2000, l’organisme à but non lucratif travaille à la numérisation de ses archives. Victor Tremblay, fils d’Onésime Tremblay et cofondateur de la Société historique du Saguenay, y avait réuni les archives familiales. M me Hardy explique : « La majorité des archives conservées par la Société historique du Saguenay concernant la tragédie du Lac-Saint-Jean ont été rassemblées par Mgr Victor Tremblay dans les années 1970 ou antérieurement. À travers le kilomètre linéaire d’archives conservées par l’organisme, des centaines de documents concernent la famille d’Onésime Tremblay. Mgr Tremblay a veillé à centraliser les informations afin d’éviter la dispersion des archives régionales. C’était sa vocation. »


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